La vénerie comprend toutes les espèces de chasse qu'on peut faire avec des chiens courants ; celles du cerf, du daim, du chevreuil, du sanglier, du loup, du renard. Toutes ces chasses ont beaucoup de principes communs. Si chacune d'elles exige quelque différence dans le choix des chiens qui y conviennent, on emploie les mêmes moyens pour les rendre obéissants, sages, et gardant le change. Voyez MEUTE. Mais la connaissance des principes communs à toutes les chasses ne suffit pas au veneur ; il a besoin d'être instruit, relativement à chacun de ces animaux, de leurs inclinations distinctives, de leurs refuites, et de tous les différents moyens qu'ils emploient pour échapper à la poursuite. Voyez INSTINCT, LOUP, SANGLIER, etc. Ces connaissances sont surtout nécessaires pour le travail qui précède la chasse même, et duquel son succès dépend assez souvent.

Pour prendre à force ouverte des animaux sauvages, il est essentiel de ne pas fatiguer les chiens de meute par une quête inutîle et souvent longue. Si d'ailleurs on veut joindre à la certitude de prendre le plaisir que donnent l'appareil et le bruit d'une meute nombreuse, il faut disposer avantageusement les relais. Il est donc nécessaire de savoir d'avance où est l'animal qu'on veut attaquer, et de prévoir, en raison de la connaissance qu'on a du pays et des inclinations des animaux de cette espèce, quelles pourront être ses refuites lorsqu'il sera lancé. Le travail par lequel on s'assure de l'endroit où l'on ira attaquer, est une partie considérable de la vénerie. Elle exige des connaissances très-fines et en assez grand nombre.

Presque tous les animaux sauvages, carnassiers ou autres, cherchent leur nourriture pendant la nuit ; et à la pointe du jour ils entrent dans les parties de bois qui leur servent de retraite : c'est ce qu'on appelle se rembucher. Mais les bêtes de chaque espèce sont portées d'inclination à adopter des retraites différentes. Plusieurs même en changent selon les saisons. Un bon veneur doit être instruit de tous ces faits ; s'il Ve au bois pour le cerf, il doit savoir que depuis le mois de Décembre jusque vers celui d'Avril ces animaux se retirent en hordes dans le fond des forêts, dans les futaies où ils trouvent du gland, ou qui sont voisines des jeunes taillis : que pendant le printemps et la meilleure partie de l'été ils cherchent les buissons tranquilles et à portée des bons gagnages : que dans le temps du rut ils sont presque toujours sur pied, et n'ont point de rembuchement assuré. Il en est de même des autres animaux. La différence des saisons les porte à changer de retraite. Les loups, par exemple, qui pour l'ordinaire habitent les bois les plus fourrés et les plus épais, n'y rentrent guère pendant l'été lorsque les seigles et les blés sont assez hauts pour les couvrir. Dans cette saison les plaines deviennent bois pour eux.

Il ne suffit pas au veneur d'être instruit des connaissances relatives aux animaux qu'il veut détourner ; il faut qu'il soit muni d'un bon limier qui ait le nez fin et bien exercé, qui ne laisse point aller les vieilles voies, et qui ne s'emporte point jusqu'à crier sur celles qui sont fraiches. De la sûreté du chien dépend souvent le succès de la quête du veneur. Le limier en mettant le nez à terre, et en tirant sur le trait auquel il est attaché, indique la voie récente de l'animal pour lequel il a été dressé. Le veneur est averti par-là de porter les yeux à terre, et de chercher à revoir la voie de la bête dont son chien se rabat. Lorsque la terre est molle, et qu'elle reçoit parfaitement l'image du pied de l'animal, le jugement n'est pas difficîle à porter ; mais lorsque la terre est seche, il y faut beaucoup plus d'attention, de travail et de connaissances. Par exemple, si c'est pour un cerf qu'on est au bois, le veneur doit observer les portées, prendre le contrepié pour lever des fumées, tâcher de connaître les allures, en un mot réunir, autant qu'il peut, tous les différents signes par lesquels on peut s'assurer de l'âge de l'animal. En général il est toujours très-utîle de prendre le contrepié des bêtes qu'on a détournées ; on apprend par-là toute l'histoire de leur nuit : cette histoire donne quelque connaissance de leur caractère particulier, et indique une partie des ruses dont on pourra avoir à se défier pendant la chasse. On sent combien toutes ces précautions demandent d'expérience et de travail. Le veneur malhabîle ou négligent est souvent trompé par l'animal rusé qu'il a devant lui. Il en est qui sans être actuellement inquiétés, ne rentrent au bois qu'en cherchant par des feintes à dérober le lieu de leur retraite ; ils font une douzaine de pas dans le bois, et reviennent ensuite sur leurs voies pour aller se rembucher ailleurs : c'est ce qu'on appelle faux rembuchement. Si le veneur n'a donc pas l'attention d'examiner si son animal ne sort pas après avoir paru rentrer, il court risque de faire un faux rapport, et de se décréditer si l'on faisait souvent buisson creux sur sa parole. Lorsque le veneur est bien assuré que la bête qu'il suit, est rentrée dans le bois sans en être sortie, lorsqu'il a bien pris toutes les connaissances dont nous avons parlé, relativement à son âge, etc. il n'a plus qu'à en prendre les devants, pour savoir l'enceinte où elle s'est arrêtée. Si son chien lui en remontre, et qu'il la trouve passée, il doit répéter la même manœuvre jusqu'à ce qu'il soit assuré qu'elle ne passe plus. Mais en général il est plus sur de prendre d'abord les grands devants ; il est même presque toujours dangereux de trop raccourcir l'enceinte ; le veneur peut alors se nuire à lui-même, inquiéter la bête en lui donnant vent du trait, et la faire partir ; ce danger existe surtout par rapport aux animaux vivant de rapine, comme le loup ; la finesse de leurs sens et leur inquiétude naturelle les rendent très-difficiles à détourner.

Lorsque les veneurs sont rassemblés, et qu'ils ont fait leur rapport, on choisit entre les différents animaux détournés celui qu'on veut attaquer. On dispose les relais d'après la présomption qu'on peut avoir des refuites que fera la bête ; le veneur qui doit laisser courre, conduit la troupe et la meute à ses brisées. Les brisées sont des branches qu'il a jetées le matin pour se reconnaître, sur la voie de l'animal qu'il a suivi avec son limier. Lorsqu'on est bien sur que cet animal est seul dans l'enceinte, on peut y faire entrer sans chaleur les chiens de meute qui le rapprochent et vont le lancer. Mais en général il est plus sur de faire lancer à trait de limier par le veneur qui a détourné. Lorsqu'on a Ve la bête, et qu'elle n'est point accompagnée, on met les chiens de meute sur la voie ; et quand elle est ainsi attaquée, c'est la chasse proprement dite. La charge des veneurs est alors de suivre leurs chiens, et de les appuyer sans trop les échauffer : de les redresser promptement lorsqu'ils se fourvaient : de connaître ceux des chiens qui méritent créance : piquer à ceux-là, et y rallier les autres : de ne donner les relais que dans les moments où l'animal n'étant point accompagné, les chiens peuvent avoir le temps de goûter la voie avant d'être exposés à rencontrer du change : d'éviter par la manière de découpler ces chiens de relais, les inconvénients que pourrait occasionner la fougue de ceux qui sont trop ardents : de reprendre, autant qu'il est possible, les chiens qui s'écartent de la meute : les ramener sur la voie, et rendre par-là la mort de l'animal plus assurée, plus bruyante et plus solennelle. Voyez MEUTE.

Chaque animal, lorsqu'il est chassé, a des ruses communes à son espèce, et en outre il peut en avoir de particulières qui doivent être l'objet de l'attention du veneur. Ainsi son métier demande autant d'intelligence que de routine ; et en général un bon corps, un esprit actif, beaucoup de facilité à supporter le travail ; mais surtout un goût décidé pour la chasse qui supplée presque à tout le reste, et qui est le vrai génie de la chasse. Article de M. LEROI.

Eloge historique de la chasse. Dans tous les temps les hommes se sont exercés à la chasse, et l'ont aimée : les plus forts et les plus robustes en ont fait choix : on en trouve des exemples dans les siècles les plus reculés. Dans la Genèse il est dit que Nemrod arriere-petit-fils de Noè fut un violent chasseur, c'est-à-dire, le plus hardi, le plus adroit, et le plus infatigable dans cet exercice. Ismaèl fils d'Abraham et d'Agar, son esclave, s'établit dans le désert où il devint un adroit chasseur. Esau ne fut pas moins habîle dans cet art. Les enfants d'Israèl chassaient dans le désert. Samson brula les blés des Philistins par le secours des renards qu'il prenait, et en leur attachant des flambeaux ardents à la queue, et les laissant courir à travers les champs. David chassait les bêtes qui attaquaient les troupeaux de son père. Dans le Pseaume 41, il est parlé du cerf altéré qui soupire avec ardeur après les eaux du torrent. L'écriture sainte qui nous transmet l'histoire réelle du genre humain, s'accorde avec la fable pour constater l'ancienneté de la chasse. C'est une occupation divinisée dans la théologie payenne. Diane était la déesse des chasseurs ; on l'invoquait en partant pour la chasse, et au retour, on lui sacrifiait l'arc, les flèches et le carquois ; Apollon partageait avec elle l'encens des chasseurs ; on leur attribuait à l'un et à l'autre l'art de dresser les chiens. Céphale, favori de la divinité chasseresse, était excellent veneur, il eut pour compagnon le jeune Actéon fort heureux dans l'exercice de la vénerie. Apollon et Diane y élevèrent Chiron à cause de sa vertu et de son courage. Diane avait une telle affection pour ses chiens, qu'elle couronnait dans une solennité annuelle, à la fin de chaque automne, ceux qui avaient le mieux rempli leurs devoirs, elle leur imposait des noms convenables à leurs inclinations. Xenophon dans son livre de venatione, s'est appliqué à donner la signification de beaucoup de ces noms de chiens, tels qu'on les leur donnait de son temps. Quiconque entendrait bien le vieux langage gaulois, verrait que ceux de miraud, de briffaud, et autres semblables que portent présentement nos chiens de chasse, n'ont signifié autre chose que l'arrêteur, le pilleur, etc. toutes qualités propres à ces chiens. On donne à Pollux la gloire d'avoir le premier dressé des chiens à la chasse, et d'avoir appris la science du connaisseur. Castor a été le premier qui ait dressé des chevaux pour courre le cerf. Persée passait chez les Grecs pour le plus ancien chasseur de l'antiquité, mais Castor et Pollux lui ont disputé à bon droit cet honneur. Hercule combattit le furieux lion de la forêt de Nemée : on sait l'histoire d'Adonis et de Méléagre. Orcon a ajusté les meutes : Hippolite inventa les filets. Les Grecs disaient que les chiens mal dressés font haïr et abhorrer la vénerie à ceux qui l'aiment le plus. Alexandre le grand s'exerçait à la chasse dans les intervalles de ses travaux militaires ; il avait un vieux chien en qui il avait une si grande confiance, qu'il le faisait porter à la chasse ; à un défaut ou embarras on le mettait à terre, et alors il faisait des coups de maître, après quoi il était soigneusement reporté au logis, et bien traité. Albert le grand rapporte qu'Alexandre chargea Aristote d'écrire sur la chasse, et que pour fournir à la dépense de cette étude, il lui envoya huit cent talents, c'est-à-dire, un million quatre cent vingt mille livres, et qu'il lui donna un grand nombre de chasseurs et de pêcheurs pour travailler sous ses ordres, et lui apporter de tous côtés de quoi faire ses observations. Cyrus aimait beaucoup la chasse, tous les jeunes seigneurs de sa cour s'y exerçaient continuellement avec lui ; il y menait lui - même ses soldats en temps de paix, pour les former ou les entretenir aux exercices de la guerre, les rendre prompts à cheval, adroits, agiles, vigoureux ; il enjoignait aux gouverneurs des provinces de mener souvent à la chasse les jeunes seigneurs de leurs gouvernements ; il fit remplir les charges les plus honorables de la monarchie de Babylone par ses veneurs ; il faisait faire des parcs pour dresser ses chiens, les anciens les avaient inventés pour ce sujet et pour ajuster les meutes. Avant le règne d'Artaxerxes, il n'appartenait qu'au maître de tuer ou d'affoiblir ce qu'on chassait ; ce prince permit à ceux qui chassaient avec lui de frapper et tuer s'ils pouvaient les premiers ce qu'on poursuivait ; il parait cependant que ce roi allait moins à la campagne pour chasser que pour respirer un bon air, puisque le jeune Cyrus, pour engager les Lacédémoniens à se liguer avec lui contre son frère, alléguait entr'autres raisons qu'il n'était pas chasseur. Xenophon grand philosophe et grand général, après sa belle retraite des dix mille, se retira à Sillonte où il fit bâtir une chapelle à Diane, s'amusant à la chasse avec ses fils et ses amis ; ce fut aussi là qu'il composa ses ouvrages, principalement ce qu'il a écrit sur la vénerie, dont il faisait beaucoup de cas et de grands éloges ; il pensait que cet exercice fait les meilleurs soldats, qu'il n'y a ni art ni métier qui ait plus de ressemblance et de proportion avec la guerre, que la chasse ; qu'elle accoutume les hommes au froid, au chaud, aux fatigues ; qu'elle échauffe le courage, élève l'âme, rend le corps vigoureux, les membres plus souples et plus agiles, les sens plus fins ; qu'elle éloigne la vieillesse, et que le plaisir qu'elle procure fait souvent oublier les plus grands besoins. La chasse, dit M. Rousseau, Emile, t. III. p. 228, endurcit le cœur aussi bien que le corps. " On a fait Diane ennemie de l'amour, et l'allégorie est très-juste, les langueurs de l'amour ne naissent que dans un doux repos, un violent exercice étouffe les sentiments tendres : dans les bois, dans les lieux champêtres, l'amant, le chasseur sont si diversement affectés, que sur les mêmes objets, ils portent des images toutes différentes ; les ombrages frais, les bocages, les doux asiles du premier, ne sont pour l'autre que des viandis, des forts, des remises ; où l'un n'entend que rossignols, que ramages, l'autre se figure les cors et les cris des chiens ; l'un n'imagine que dryades et nymphes, l'autre que piqueurs, meutes et chevaux. " Lycurgue et Agesilas portaient singulièrement leur attention à ce que leurs veneurs fussent bien traités à leur retour de chasse. Les Spartiates aimaient les parties de chasse, et ceux qui ne pouvaient y aller, prêtaient leurs chiens et leurs chevaux à ceux qui n'en avaient point. Les veneurs de l'antiquité étaient ordinairement fort dévots, ils tenaient que les dieux ont pris plaisir à voir les homme s'adonner à un exercice aussi innocent que l'est la vénerie ; ils consacraient les premices de leurs chasses et de leurs prises à leur chaste Diane.

Les Romains nés guerriers firent de la chasse une affaire importante : elle fut l'école de tous leurs grands hommes ; chez ce peuple chacun pouvait chasser soit dans son fonds, soit dans celui d'autrui. L. Emilius donna au jeune Scipion un équipage de chasse semblable à ceux des rois de Macédoine ; après la défaite de Persée, Scipion passa à chasser tout le temps que les troupes restèrent dans ce royaume. Tout l'amusement de la jeunesse romaine, dit Pline dans son panégyrique à Trajan, et l'école où se formaient tous les grands capitaines, était la chasse : on peut dire au-moins que le courage fit les chasseurs, et l'ambition les guerriers. Les Grecs et les Romains ont toujours regardé la vénerie comme la source de la santé et de la gloire, le plaisir des dieux, des rois et des héros. Jules César faisant l'éloge des peuples du Nord, dit qu'ils sont habiles et attentifs à la guerre et à la chasse ; il donna lui-même à Rome de très-beaux spectacles de chasse pendant cinq jours. Pompée, après avoir subjugué les africains, exerça la vénerie parmi eux. Les Romains usaient d'un piege assez singulier ; ils plaçaient des miroirs sur les routes que tenaient ordinairement les animaux dangereux, et pendant qu'un d'entr'eux s'amusait à considérer son semblable qu'il croyait voir dans le miroir, les chasseurs cachés derrière ou sur les arbres des environs, le tiraient à leur aise. Le sépulcre des Nasons découvert près de Rome, et qui se trouve représenté dans les antiquités de Graevius fournit un exemple de cette ruse de chasse, laquelle est confirmée par un passage de Claudien.

La chasse, selon Pline, a donné naissance aux états monarchiques. Dans les premiers temps, dit cet historien, les hommes ne possédaient rien en propre, ils vivaient sans crainte et sans envie, n'ayant d'autres ennemis que les bêtes sauvages ; leur seule occupation était de les chasser ; de sorte que celui qui avait le plus d'adresse et de force, se rendait le chef des chasseurs de sa contrée, et les commandait dans les assemblées qu'ils tenaient pour faire un plus grand abatis de ces bêtes ; mais dans la suite ces troupes de chasseurs vinrent à se disputer les lieux les plus abondants en gibier, ils se battirent, et les vaincus demeurèrent soumis aux vainqueurs : c'est ainsi que se formèrent les dominations. Les premiers rois et les premiers conquérants furent donc des chasseurs. La collection de Philippe d'Inville présente une infinité de témoignages de l'antiquité, en faveur de la chasse, et les éloges qu'en ont fait Platon, Xenophon, Polybe, Pollux, Cicéron, Virgile, Horace, Seneque, Pline le jeune, Justin, Simmaque, Vegece, etc. Ce concours unanime prouve combien la chasse a été regardée utîle au prince et à la jeune noblesse destinée à être le soutien des états par sa bravoure.

Les Lapons négligent la culture de leurs terres pour ne vivre que de gibier et de poisson : presque tous les Tartares ne subsistent aussi que de leur chasse et de leurs haras ; quand le gibier leur manque, ils mangent leurs chevaux, et boivent le lait de leurs cavales. Les lettres curieuses des jésuites missionnaires à la Chine, contiennent des relations de chasses faites par des armées entières de plusieurs milliers d'hommes. Elles sont très-fréquentes chez les Tartares mongules. Les Indiens de l'Amérique chassent continuellement, pendant que leurs femmes sont occupées des soins domestiques. Quand ces sauvages entreprennent de longs voyages, ils ne comptent pour leur subsistance que sur les fruits que la nature leur offre par-tout en abondance, ou sur les bêtes qu'ils pourront tuer dans leur chemin. On peut assurer que la moitié des habitants du monde ne vit encore que de la chasse.

Nos premiers rois se sont conservé les grandes forêts de leur royaume : ils y passaient des saisons entières pour prendre le plaisir de la chasse. On voit dans Grégoire de Tours que le roi Gontran devint si jaloux de sa chasse, qu'il en couta la vie à trois de ses courtisans pour avoir tué un bufle sans sa permission. Il était pour lors dans les montagnes de Vauges, où il avait placé une de ces réserves de chasse. Charlemagne et ses premiers successeurs n'eurent point de séjour fixe, par le plaisir de chasser dans différents endroits ; ces monarques passaient leur règne à aller successivement d'Aix-la-Chapelle dans l'Aquittaine, et du palais de Casenveil dans celui de Verberie en Picardie. Toutes les assemblées générales de la nation où les grands parlements auxquels les rois présidaient en personne sur tout ce qu'il y avait de plus illustre parmi les français, se terminaient toujours par une chasse. Les chasseurs voulant faire choix d'un saint pour célébrer leur fête sous son auspice, réclamèrent avec toute la France S. Martin ; ensuite le royaume ayant changé de protecteur, les chasseurs n'adoptèrent qu'en partie S. Denis que tous les ordres de l'état s'étaient choisi ; ils voulurent un patron qui eut eu leur gout, et pratiqué leur exercice, et eurent recours à S. Hubert, dont on débitait que la vocation était venue par l'apparition qu'il eut en chassant d'un cerf qui portait une croix entre son bois. La fête de ce saint, qui arrive présentement le 3 Novembre, a beaucoup varié, ou plutôt y ayant eu plusieurs translations du corps de ce saint, chacune en fut une fête ; ainsi il y avait une S. Hubert en Avril, une en Mai, qui est le véritable temps de sa mort ; une autre en Septembre, une en Novembre, qui est celle qu'on a retenue, et enfin une en Décembre. Il n'y avait cependant que celles de ces fêtes qui arrivaient en Mai et en Novembre, au verd naissant, et à la chute des feuilles, qui se célébrassent avec plus d'éclat et & de solennité, parce qu'elles arrivaient dans le temps de deux grandes assemblées de la nation ; celle du printemps au champ de Mars, et celle d'automne ; ces deux occasions étant les plus favorables pour lier de nombreuses parties de chasse, pendant que la grande noblesse était réunie et en train de se mouvoir.

Il parait par des monuments certains que dès le onzième siècle, S. Hubert, nouveau patron des chasseurs, était encore réclamé contre la rage ; cette maladie attaquant plus ordinairement les chiens que tous les autres animaux par l'altération extrême qu'ils souffrent quelquefois à la campagne, ou quand on les néglige dans les chenils, ceux qui avaient soin des meutes, priaient le saint de préserver leurs bêtes de la rage, et la dévotion des valets passant jusqu'aux maîtres, ceux-ci adressèrent leurs prières au même saint pour qu'il les préservât de tout fâcheux accident dans le métier de la chasse. Arrien dit qu'il y avait des chasseurs dans les Gaules qui sacrifiaient tous les ans à Diane ; ils avaient pour cela une espèce de tronc dans lequel ils mettaient pour un lièvre pris deux oboles, pour un renard une dragme, pour une biche quatre dragmes ; ainsi tous les ans à la fête de Diane, ils ouvraient ce tronc, et de l'argent qui s'y trouvait, ils achetaient une victime, les uns une brebis, les autres une chèvre, quelques autres un veau ; le sacrifice étant achevé, et ayant offert les prémices des victimes à Diane, les chasseurs faisaient bonne chère, et la faisaient faire à leurs chiens qu'ils couronnaient de fleurs, afin qu'il parut que la fête se faisait pour eux.

Dans une entrevue faite entre la reine Jeanne de Bourbon, femme du roi Charles V. et la duchesse de Valais sa mère, le duc de Bourbon donna un spectacle de chasse aux deux princesses dans le voisinage de Clermont : il y prit un cerf, et leur en fit présenter le pied par son grand - veneur. François I. que Fouilloux appelle le père des chasseurs, s'étant égaré un jour à la chasse, fut obligé de se retirer chez un charbonnier, de la bouche duquel il entendit la vérité, peut-être, pour la première fais. On conte la même histoire d'Antiochus.

Accidents arrivés à la chasse. Adonis est blessé à mort par un sanglier : la Phénicie et l'Egypte retentissent des cris qui se font à ses funérailles ; son sang est changé par Vénus en une fleur, (l'anémone.) Méléagre mourut après avoir tué le monstrueux sanglier de Calydon : l'empereur Basîle de Grèce fut tué par un cerf aux abois : Théodebert, roi d'Austrasie, mourut de la chute d'une branche d'arbre qu'un bufle qu'il poursuivait lui fit tomber sur la tête, l'animal ayant heurté l'arbre avec ses cornes. Amé VI. comte de Savoye, périt d'une chute de cheval, étant à la poursuite d'un sanglier dans une forêt près de Thonon en Chablais. Marie, duchesse de Bourgogne, la plus riche héritière de son temps, mourut d'une semblable chute dans un retour de chasse. Chilpéric I. et Childéric II. furent tués en revenant de chasser ; le dernier pour avoir fait châtier indignement un seigneur de sa cour. On lit dans le manuscrit de Phoebus, au chapitre du Rut, qu'il a Ve des cerfs tuer des valets de limiers, et des limiers en les lançant, et d'autres venir sur les chevaux. Il parle encore d'un Godefroy d'Harcourt blessé au bras d'un coup de flèche à la chasse à l'arbalête. Sous le règne d'Henri IV. il y eut deux veneurs de S. M. tués par des cerfs, l'un dans la forêt de Livry, il s'appelait Clairbais ; l'autre appelé S. Bon, dans la forêt de Sennar. En 1725, M. le duc de Melun fut tué dans la forêt de Chantilly par un cerf qui lui donna un coup d'andouiller dans le corps. De mon temps, M. de Courchange, veneur de M. le comte d'Evreux fut tué sur le champ par un cerf en traversant une route : il y eut aussi un gentilhomme de M. le comte de Toulouse qui fut tué à la chasse du lièvre dans la plaine de S. Denis, d'une chute de cheval ; il se nommait M. Dâbeau. J'ai Ve plusieurs veneurs de S. M. culbutés de dessus leurs chevaux par des cerfs : M. de Lasmartre a été blessé à la cuisse par un cerf aux abois dans la forêt de Sennar. Quand les cerfs sont aux abois, ils sont plus dangereux, principalement dans la saison du rut ; aussi dit-on au cerf la bière, au sanglier le barbier.

Histoires de chasses, faits curieux. On lit dans le Roy modus du déduit royal, chap. j. que le roi Charles le Bel chassant dans la forêt de Bertilly, prit six-vingt bêtes noires en un jour, tant aux filets qu'aux lévriers. Fouilloux rapporte qu'un seigneur de la ville de Lambale avec une meute de chiens, lança un cerf en une forêt dans son comté de Penthiévre, le chassa et pourchassa l'espace de quatre jours, tellement qu'enfin il l'alla prendre près la ville de Paris. On voit dans la salle du présidial à Senlis cette inscription : " En l'an.... le roi Charles VI chassant dans la forêt de Hallade, prit le cerf duquel vous voyez la figure (elle est détruite) portant un collier d'or où était écrit ; Hoc me Caesar donavit ; de ce lieu on voit l'endroit où il fut relancé ".

Jean Sobiesky, roi de Pologne, entretenait pour la chasse cinq cent janissaires turcs, pris au milieu des combats, conservant leurs armes et leurs vêtements ; on leur marquait une enceinte dans une forêt ; ils tendaient les filets en laissant une ouverture qui répondait à la plaine : des chiens tenus en lesse formaient un croissant à une assez grande distance ; derrière eux le roi, les veneurs et les curieux décrivaient une même ligne. Le signal donné, d'autres chiens perçaient dans la forêt, et chassaient indifféremment tout ce qui se rencontrait ; bien-tôt on voyait sortir des cerfs, des élans, des aurox, taureaux sauvages d'une beauté, d'une force et d'une fierté singulière ; des loups cerviers, des sangliers, des ours, et chaque espèce de chiens attaquait la bête qui lui était propre, laquelle ne pouvait rentrer dans la forêt, ni s'arrêter aux filets, parce que les janissaires y veillaient. Les veneurs ne se mettaient du combat que lorsque les chiens étaient trop faibles. Cette multitude d'hommes, de chevaux, de chiens, et d'animaux sauvages, le bruit des cors, la variété des combats, tout cet appareil de guerre orné d'une magnificence convenable, étonnait les curieux du midi. Histoire de Jean Sobiesky.

M. de Ligniville rapporte une chasse qui a duré trois jours avec les mêmes hommes, chiens et chevaux. Louis XIII. qui suivant M. de Selincourt parfait chasseur, fut le plus grand, le plus habile, le plus adroit chasseur de son royaume, fit dans sa jeunesse sa première chasse avec la fauconnerie dans la plaine S. Denis, en présence de la reine et de toutes les dames de la cour, placées sur une bute de terre au lieu nommé la planchette ; tous les vols suivaient le roi dans tous ses voyages.

La seconde chasse faite par Louis XIII. fut aux chiens courants ; car outre les équipages pour le cerf, les chevreuils, loups, lièvres et sangliers, il y avait toujours cent cinquante chiens qui suivaient S. M. dans tous ses voyages ; il n'y avait point de jour que huit veneurs au moins n'allassent tous les matins dans les bois près desquels le roi passait, et qui ne lui fissent leur rapport de ce qu'ils avaient rencontré, cerfs, biches, renards, etc. des situations des buissons ; s'ils étaient en plaine, coteaux, ou lieux humides ; quelles étaient les refuites, etc. de sorte que le roi était informé à son lever de quelle bête il pourrait avoir du plaisir, et comment elle serait portée par terre par trente lesses de levriers qui suivaient l'équipage par-tout.

Quand le roi voulait chasser, l'ordre était donné aux gendarmes, chevaux-légers et mousquetaires, pour s'assembler à l'heure du départ ; les chasseurs allaient devant, et voyaient où était le vent pour disposer les accourts ; les toiles étaient ajustées pour cacher les levriers, et le roi trouvait tout disposé à son arrivée : ceux de sa suite bordaient le côté du mauvais vent, et se rangeant à cinquante pas les uns des autres le pistolet à la main, se tenaient prêts pour la chasse dès qu'elle commencerait. Le roi donnait le signal, et dès que les chiens découplés commençaient à chasser, la décharge se faisait du côté du mauvais vent, ce qui donnait une telle terreur aux bêtes, qu'elles fuyaient du côté des accourts, et à leur sortie du bois, les levriers cotiers étaient donnés, puis ceux de l'autre côté, de sorte que les bêtes allaient au fond de l'accourt où étaient les gros levriers qui les coèffaient, et le roi en avait tout le plaisir.

Sur le champ, chacun reprenait sa place pour voir sortir d'autres bêtes, lesquelles étaient encore courues, et toutes celles qui étaient dans les bois étaient portées par terre, ce qui durait tout le haut du jour et souvent fort tard, principalement quand il y avait des loups, car ces animaux ne sortaient qu'à force, et même il y en avait qui se sauvaient du côté défendu par les cavaliers, dont ils aimaient mieux essuyer les coups, que de sortir du côté de l'accourt qu'ils avaient éventé. Ces deux chasses que nous venons de décrire étaient pleinement royales. Le parfait Chasseur, par M. de Selincourt.

Le même auteur dit avoir Ve un cerf chassé pendant trois jours par trois équipages différents : voici comment il rapporte le fait. Les équipages de M. le duc d'Angoulême, de M. de Souvray et de M. de Metz étaient à Grosbais ; il fut laissé courre un cerf (on ne marque point son âge) en Brie, l'assemblée au mont Tetis, et fut couru la première journée jusqu'à la nuit, ayant mesuré tous les buissons et forêts de Brie, et revenant à la nuit dans le lieu où il avait été lancé ; il fut brisé la tête couverte. Le lendemain ces messieurs voulurent voir par curiosité ce que deviendrait ce cerf le second jour, et ils résolurent de le courre avec un autre équipage et d'autres chevaux ; il fut attaqué le lendemain matin où il avait été brisé, il fut très-bien donné aux chiens ; il recommença a prendre le même chemin qu'il avait fait le jour de devant, il mesura tous les mêmes lieux, et revint à la nuit dans le lieu où il avait été lancé, et fut encore brisé la tête couverte. Tous ces messieurs le soir ne savaient que dire, ni Duvivier, Artonge, Desprez, et tous les autres vieux chasseurs crurent tous que c'était un sorcier ; enfin, ils dirent qu'il y avait encore un équipage qui n'avait point couru, qui était celui de M. d'Angoulême, et qu'il fallait voir ce qui arriverait de cela. Le lendemain dès la pointe du jour, ils allèrent frapper aux brisées, ils lancèrent le cerf encore à cinq cent pas de là, et le coururent encore six grandes lieues, au bout desquelles ils le prirent sec comme bois, mourant plutôt de faim que pris de force ; car s'il eut eu le loisir de viander, ils ne l'auraient jamais pris, et tous demeurèrent d'accord que si ce cerf eut couru sur une même ligne, il fût allé à plus de soixante lieues de-là.

On voit au château de Malherbe la figure d'une biche qui avait un bois comme un cerf, et qui portait huit andouillers, laquelle après avoir été courue par deux veneurs du roi Charles IX. fut prise par les chiens pour un cerf : ces veneurs l'ayant détournée en prenant chacun un côté de l'enceinte, l'un la vit pisser de si près qu'il la jugea être une biche ; il n'en dit rien à son compagnon, il dit seulement en termes vagues que cela ne valait rien à courre. L'autre qui en avait Ve la tête, la jugea être celle d'un cerf, et dans cette confiance laissa courre ; elle fut prise enfin et reconnue biche, et celui qui l'avait vue pisser sans l'avoir dit à son compagnon, fut cassé pour avoir donné lieu à une telle méprise. La Briffardière, nouveau traité de la vénerie, ch. xiv. Il y a bien d'autres exemples de biches portant tête de cerf.

La première chasse que le roi Louis XV. a faite avec sa vénerie, était le jour de S. Hubert, 3 Novembre 1722, dans le parc de Villerscotterêt ; on y attaqua un cerf à sa seconde tête, et il y fut pris. Sa majesté revenait de Rheims où elle avait été sacrée.

Le 13 Juillet 1740, on attaqua à Compiègne un cerf dix corps dans les bordages près la croix du S. Cygne ; on le prit au village de Troly. Il était monté sur le haut d'une chaumière où il se promenait avec deux chiens qui l'aboyaient ; M. de Lasmastre, lieutenant de la vénerie, y grimpa, et fut lui couper le jarret : le cerf culbuta de haut en bas, et se tua. Le roi et toute la cour y était.

Dans la forêt de Fontainebleau, à la fin de Septembre 1750, on y prit un cerf dix corps, qui avait la tête velue comme un cerf qui n'a pas touché au bois au commencement de Juillet. Après la mort il fut examiné, il n'avait point de dintier ni dehors ni dedans ; apparemment que des loups, ou un chicot, ou une balle de braconnier en avait fait l'opération avant qu'il eut touché au bois, puisqu'il n'y a point touché après.

Chiens courants. Les auteurs anciens ne disent rien sur l'origine des chiens courants. Phaebus, dans son chapitre xix. rapporte qu'il y en avait de son temps de très-bons en Espagne ; mais qu'ils ne chassaient bien que quand ils avaient un animal près d'eux : il parle d'une autre espèce qui chassait lentement et pesamment, mais tout le jour ; et d'une troisième qu'il nomme beaux, à qui le vent, ni la pluie, ni la chaleur ne faisaient quitter la voie de ce qu'ils avaient attaqué. Il cite encore une autre qualité de chiens qu'il nomme cerfs beaux, muz cerfs, parce qu'ils étaient beaux, bons et sages pour le cerf qu'ils chassaient toujours quoiqu'il fût mêlé avec le change ; ils ne disaient mot jusqu'à ce que l'animal fut séparé du change et pris. Le même auteur fait mention d'une autre espèce de chiens sages qu'il appelle chiens beaux restis, lesquels ne voulaient chasser que le cerf. Le nom de restis leur était donné parce que quand un cerf était accompagné, ils demeuraient tout court, et n'allaient pas plus loin, s'ils n'étaient avec le veneur. Les mêmes chiens ne chassaient pas si-bien dans le temps du rut, et ne gardaient pas si-bien le change, les animaux étant tous échauffés ; de même ils chassaient les biches dans la saison où elles mettent bas, comme si c'eut été des cerfs échauffés ; ils ne chassaient pas si-bien depuis le commencement de Mai jusqu'à la S. Jean, à cause de l'odeur des herbes. Enfin il dit qu'il préfère les chiens courants aux levriers, allans et autres, parce que les premiers chassent tout le jour, etc. ibid.

Fouilloux s'étend davantage sur l'origine des chiens courants. Il tire de bien plus loin leur généalogie. Il dit qu'un certain Brutus descendant d'un roi des Latins, étant à la chasse, tua son père croyant tuer un cerf. Son peuple voulut se soulever contre lui, ce qui l'obligea à s'enfuir dans la Grèce d'où il vint en Bretagne avec son fils Turnus et un bon nombre de chiens courants. Ce sont les premiers qui aient paru en France. Le premier chien blanc fut donné par un pauvre gentilhomme à Louis XII. qui en fit peu de cas, les chiens dont sa meute était composée, étant gris ; il le donna au sénéchal Gaston qui en fit présent à son tour au grand sénéchal de Normandie, lequel donna en garde à un veneur nommé Jacques Bresé ; celui-ci lui fit couvrir des lices et en tira race. L'année d'après Anne de Bourbon, qui aimait fort la vénerie, envoya une lice appelée bande, pour être couverte par ce chien nommé souillard ; l'on en tira deux ou trois portées dont il sortit quinze ou seize chiens. cleraud, joubard, miraud, marteau, briffaud, haise, etc. depuis la race s'en est toujours augmentée ; et elle fut renforcée par François I. qui fit couvrir les lices qui en étaient sorties, par un chien fauve nommé miraud, que l'amiral d'Annebaud lui avait donné, etc. Les chiens fauves descendent de la meute d'un seigneur breton appelé Huet de Nantes... Suivant Charles IX. les chiens gris dont se servaient anciennement les rois de France et les ducs d'Alençon, étaient connus sous le règne de S. Louis. Il y a trois sortes de chiens courants, selon le rapport de Charles IX. dans son livre de la chasse royale, ch. VIIe Les premiers qui aient été en notre Europe ont été la race des chiens noirs, et celle des blancs ; mais cette dernière fut depuis confondue avec celle des chiens greffiers blancs. Toutes les deux sont venues de S. Hubert. Dans la suite S. Louis qui aimait fort la chasse, étant allé à la conquête de la Terre-sainte, envoya acheter en Tartarie une meute de chiens qu'on disait excellents pour la chasse du cerf ; il les amena à son retour en France ; c'est la race des chiens gris, la vieille et ancienne race de cette couronne. On dit que la rage ne les prend jamais. Les chiens gris sont grands, hauts sur jambes et d'oreilles. Ceux de la vraie race sont de couleur de poil de lièvre, ils ont l'échine large et forte, le jarret droit, le pied bien formé ; mais ils n'ont pas le nez si bon que les chiens noirs, ce qui fait que leur façon de chasser est toute différente ; car les autres chassent dans la voie juste ; ceux-ci au-contraire étant extrêmement vites chassent à grandes randonnées, loin des voies et à la vue les uns des autres. Le plus souvent au partir de la couple, ils s'en vont comme s'ils chassaient sans avoir rien devant eux, et leur furie seule les transporte. Comme ils n'ont pas le nez excellent, ils ne chassent que quand l'animal est près d'eux, et rarement ils sont sages dans le change ; s'ils y tournent on ne peut pas les rompre, il faut se rompre le cou et les jambes pour les tenir. Si un cerf s'enfuit droit devant lui sans retour ni change, ils le prendront bien vite ; mais s'il ruse, on peut les coupler et les ramener au chenil.

Voici ce que dit Salnove, ch. IIe des chiens gris. Ils formaient les premières meutes de nos rois depuis S. Louis. Ils étaient fort considérés des nobles, pourvu qu'ils fussent vrais chiens courants et non corneaux, c'est-à-dire chiens engendrés d'un mâtin et d'une chienne courante, ou d'une mâtine et d'un chien courant. Ceux-ci sont plus vites que les autres, ils coupent, ne retournent point, ne requêtent, ne crient que rarement, et sont très-nuisibles dans une meute. Les chiens gris peuvent chasser plus souvent que les autres, ils s'entretiennent en bon corps, sont peu pillards, moins sujets aux maladies que les autres chiens, ils chassent tout ce qu'on veut sans se rebuter dans l'hiver comme dans l'été, n'appréhendant ni le chaud ni le froid, et criant bien. La dernière meute des chiens gris dont Salvone parle, appartenait à M. le comte de Saissons, sous Louis XIII. Depuis ce temps il n'est plus fait mention de cette espèce de chiens. Il nous est venu dans l'équipage de Louis XV. des chiens de Normandie à poil gris ; ce sont des limiers qui ont le nez excellent ; ils sont vigoureux, mais pillards comme des mâtins, et s'étranglant souvent les uns les autres ; peut-être est ce un reste de cette ancienne race de chiens gris que S. Louis fit venir de Tartarie ; mais ceux-ci ont des qualités et des défauts que les autres n'avaient pas : il n'est pas possible de trouver de meilleurs limiers.

Les chiens blancs greffiers, selon le rapport de Charles IX. ch. Xe ont tant de bonté, qu'on n'en saurait dire assez de bien : ils réunissent toutes les qualités des chiens noirs et des gris, sans tenir rien de ce qu'ils ont de mauvais ; ils ont le chasser brave et en vrais chiens courants ; ils sont plus vites que les gris, et plus sages que les noirs ; ils n'appellent jamais qu'ils n'aient le nez dans les voies ; quand le change bondit, c'est alors qu'ils se glorifient en leur chasser ; s'ils sont bien conduits, ce sont vrais chiens de roi. On les nomme greffiers, parce que sous le règne de Louis XII. on fit couvrir par un chien blanc de la race de S. Hubert une braque d'Italie qui appartenait à un secrétaire du roi, que dans ce temps on appelait greffier. Le premier chien qui en sortit fut tout blanc, hors une tache fauve qu'il avait sur l'épaule ; ce chien était si bon qu'il se sauvait peu de cerfs devant lui ; il fit treize petits tous aussi excellents que leur père, et peu-à-peu la race s'éleva, de sorte que quand François I. monta sur le trône, sa meute n'était composée que de ces chiens. La maison et le parc des loges de Saint-Germain ne furent faits que pour y élever les chiens de cette race.

Les chiens noirs sont ceux qu'on appelle chiens de S. Hubert, dont les abbés de S. Hubert ont toujours conservé la race en mémoire de leur saint. Ceux qui sont de la vraie race ont des marques de feu sur les yeux et aux extrémités ; ils vont doucement, n'ont pas grand'force, sont timides dans le change et nullement entreprenans ; ils ont le nez bon, mais ils sont meilleurs à la main que pour chasser. Charles IX. Les chiens noirs, ainsi que le rapporte Salnove, ch. Xe sont inférieurs aux blancs. M. le cardinal de Guise en avait une meute, et M. le duc de Souvrai, l'un des meilleurs chasseurs de son temps, en avait une autre ; c'étaient de grands chiens, beaux et bien taillés, et qui prenaient des cerfs dans les pays où il y avait force changes.

Ligniville, dans son manuscrit, parle d'une race de chiens qui se nommaient merlans ; ils étaient en grande réputation en Lorraine ; ils gardaient le change naturellement. Son altesse le duc François de Lorraine, en présenta à Henri IV. qui les trouva fort bons. Le même auteur dit avoir Ve couvrir une lice par un loup, et que les chiens qui en sortirent ne valaient rien. Xénophon rapporte que de son temps il avait Ve deux races de chiens, des castors et des renardiers.

" Tous chiens courants, dit Charles IX. chap. XIe d'autre poil et race que ceux dont j'ai parlé, sont chiens bâtards de l'une et l'autre race mêlées ensemble, comme les chiens fauves qui sortent des gris et des blancs ; de ce poil sont venus les chiens de la Hunaudaye. D'autres que l'on appelait Dubais, qu'un gentilhomme du pays de Berry a donnés aux rois mes prédécesseurs. On peut faire état desdits chiens quant à la vitesse, mais ils ont faute de nez. Il y a d'autres races de chiens blancs et de chiens de S. Hubert ; mais ce sont communément gros chiens pesans qui ne sont à estimer.

Il y a une autre espèce de chiens qu'on appelle chiens de la Loue, que j'estime et prise beaucoup ; ce sont petits chiens qui sont poil blanc, qui chassent aussi joliment bien ; comme ils sont gentils et beaux, on les appelle chiens de la Loue, parce que c'était un gentilhomme du Berry qui porte ce nom-là, qui, du temps du feu roi mon grand-pere, prit la peine de les élever. Le roi les voyant si beaux et si gentils, les donna au feu roi mon père son fils qui pour lors était dauphin. Quant à ceux qui ont deux nez, ce sont chiens courants sans courre, car ils sont de race de chiens courants ; mais toutefois jusqu'à présent on ne leur a fait faire autre métier que de limier, et y sont fort bons et excellents. Et afin que je dise ce que c'est que les deux nez qu'ils ont, ce n'est pas qu'ils aient quatre nazeaux, mais c'est que le bout de leur nez et muffle est fendu, de façon qu'entre les deux narines il y a une fente jusqu'aux dents ; il s'en trouve de tout poil ".

Chiens anglais. Fouilloux n'en parle point dans son traité de vénerie, ni Charles IX. dans son livre de la chasse royale. Salnove en fait mention dans son ch. XIIIe De son temps ils étaient en usage en France ; il leur trouvait une obéissance qu'ils n'ont pas aujourd'hui : ils avaient le nez bon, s'attachant bien à la voie, ne la quittant pas, y étant juste, et ils chassaient avec plus de régularité que les chiens français. Aujourd'hui ces chiens sont bien changés, ils sont légers comme des levriers, percent dans les fourrés et dans les pays clairs ; ont toujours la tête des chiens français, chassent bien, sont vigoureux, tenant sur pied toute la journée ; quand ils se sont faits sages, il n'y en a pas de meilleurs ; mais ils ne crient pas si bien que les chiens français, particulièrement ceux du nord, qu'on nomme chiens du renard, lesquels ont 22 pouces de hauteur, la queue et les oreilles raccourcies. Les veneurs ne peuvent pas les tenir dans les enceintes, tant ils ont de vitesse et de légèreté. Il y a une autre espèce de chiens en Angleterre, qu'on nomme chiens du cerf, qui sont un peu plus grands ; ils sont environ de 24 pouces, et n'ont point les oreilles ni la queue coupées ; ils chapent bien, crient de même ; sont vigoureux, mais moins vites que les précédents ; ils vont du même pied que les chiens français, et sont bien plus obéissants que les autres anglais ; ils ont le nez excellent, et se font sages bien plus vite. Ce sont ceux que je désirerais qu'il y eut dans la meute du roi avec les chiens français ; par-là la meute serait plus ensemble, il n'y aurait pas toujours une tête de chiens en avant bien loin des autres, ce qui à la vérité fait prendre des cerfs, mais fait faire aussi des chasses bien désagréables.

Il y a aussi une troisième espèce de chiens qu'on nomme bicles, pour chasser le lièvre, ils ont 14 à 15 pouces. Une petite meute de cette espèce est charmante pour la chasse du lièvre et du chevreuil. La petite meute du cerf de S. M. Louis XV. a été commencée en 1726 par des chiens de cette espèce, auxquels on faisait d'abord chasser le lièvre, on les mit ensuite au chevreuil, puis au daim, et enfin au cerf où elle est encore actuellement. Elle est composée de presque tous chiens anglais du Nord.

M. de Ligniville fait bien l'éloge des chiens anglais, ils ont, dit-il, le sentiment excellent, puisqu'ils démêlent et s'approchent ce qui est fort longé ; la voix bonne et forte, ils chassent à grand bruit ; ils sont si vites, que peu de chevaux peuvent les tenir, à moins que ce soient des chevaux anglais, barbes ou turcs, et en haleine ; enfin ils sont de grande force à chasser, tiennent longtemps sur pied, et il serait extraordinaire de trouver un cerf qui les fit rendre. Avec ces quatre qualités, on peut les regarder comme la meilleure race de chiens, quand ils sont bien dressés et ajustés par les meilleurs veneurs.

Chiens français. La meute du roi Louis XV. est composée pour la plus grande partie de chiens français, qui ont été élevés au chenil que S. M. a fait construire exprès à Versailles. Il y en a de la première beauté, la plupart bâtards anglais qui sont moulés, vigoureux et chassent bien ; s'ils étaient réduits et sages, ils feraient la plus belle meute du monde ; mais la quantité de jeunes chiens qu'on y met tous les ans, fait tourner la tête à ceux qui sont sages et à ceux qui commencent à le devenir ; l'autre partie de la meute est de chiens anglais, moitié du nord, et moitié chiens du cerf : il y en a environ 1/4 d'anglais dans la meute qui est de 140 chiens. Il n'y a plus dans la vénerie de race ancienne ; toutes les espèces de chiens d'aujourd'hui ont été croisées de lices normandes, de chiens français, d'anglais, tout cela a été confondu ; on tire race des plus belles lices et des plus beaux chiens de la meute, anglais ou français : on tâche de proportionner la taille qui est pour la grande meute de 24 à 25 pouces français, je dis pouces français qui ont 12 lignes, car le pouce anglais n'en a qu'onze, c'est à quoi l'on doit prendre garde quand on fait venir des chiens d'Angleterre.

M. de Selincourt, dans son parfait chasseur, ch. 12. dit, qu'il y a trois sortes de chiens courants en France, aussi bien qu'en Angleterre. Les chiens pour le cerf, sont de la plus grande race, que l'on appelait anciennement royale. Leur naturel était de chasser le cerf, et de garder le change dès la seconde ou troisième fois qu'ils chassaient ; mais, depuis que les races anglaises se sont confondues avec les françaises, l'on n'y connait plus rien : ces belles races de chiens se sont évanouies, et de ces mélanges de races il n'est resté que la curiosité du pelage : l'on a choisi pour courre le cerf, les chiens blancs les plus grands que l'on peut trouver de race mêlée, parce qu'on a remarqué, que de ce poil, ils sont de plus haut nez, gardent mieux le change, sont plus fermes et tiennent mieux dans les chaleurs que les autres. Les Anglais font de même que les Français, et ne se servent que des plus grands chiens blancs qu'ils ont, pour courre le cerf. Ils sont très-vites et crient peu ; ils sont mêlés avec des levriers, qui, naturellement rident (terme que je ne trouve pas). Les Anglais ont, outre cela, de trois sortes de chiens ; les plus grands et les plus beaux sont dits de race royale ; ils sont blancs, marquetés de noir. Ils gardent fort bien le change, et sont dressés de telle sorte, qu'ils chassent tous ensemble sans oser se jeter à l'écart, de peur du châtiment que les valets de chiens anglais, qui sont très-rudes, leur donnent avec de grandes gaules qu'ils portent exprès : les seconds sont appelés beaubis, et les troisiemes bigles, dont il y en a de deux sortes, de grands et de petits ; on a confondu toutes ces races avec les françaises.

Figure et taille des chiens courants. Aucun auteur n'a désigné la taille des chiens courants ; mais ils décrivent bien leur figure. Voici le tableau que Fouilloux en fait. Il faut, dit-il, ch. VIe qu'un chien courant pour être beau, ait la tête de moyenne grosseur, plus longue que camuse, les nazeaux gros et ouverts, les oreilles larges de moyenne épaisseur, les reins courbés, le rable gros, les hanches grosses près des reins, et le reste grêle jusqu'au bout, le poil de dessous le ventre rude, la jambe grosse, la partie du pied seche et en forme de celle d'un renard, les ongles gros. On ne voit guère un chien retroussé, ayant le derrière plus haut que le devant, être vite. Le mâle doit être court et courbé, et la lice longue. Les nazeaux ouverts signifient chien de haut nez. Les reins courbés et le jarrêt droit, signifient vitesse. La queue grosse près des reins, longue et déliée au bout, signifient force aux reins, et que le chien est de longue haleine. Le poil rude au-dessous du ventre, dénote qu'il est vigoureux, ne craignant pas les eaux. La jambe et les ongles gros, le pied de renard, démontrent qu'il n'a point les pieds faibles, qu'il est fort sur les membres pour courre longtemps sans s'engraver.

Salnove, c. iv. dit qu'il faut qu'un chien courant ait la tête plus longue que grosse, que le front en soit large, l'oeil gros et gai, qu'il ait au milieu du front un épi, qui soit de poils plus gros et plus longs, se joignant par le bout à l'opposite l'un de l'autre. Je ne dis pas, continue-t-il, qu'il le faille à tous, mais quand il s'y rencontre, c'est un signe évident de vigueur et de force. Il faut aussi que le chien soit bien avalé, les oreilles passant le nez de quatre doigts au plus, et non comme celles qui le passent d'un grand demi pied ; nous appelons les chiens qui les ont ainsi clabots, à cause qu'ils demeurent à chasser dans trois ou quatre arpens de terre ou de bois, où ils retournent et rebattent les voies plusieurs fois ; ce qui les y oblige, c'est qu'ils ont naturellement peu de force. Il faut aussi que les chiens courants aient, s'il se peut, une petite marque à la tête qui ne descende pas au-dessous des yeux, qu'ils n'aient point les épaules larges ni trop étroites, que les reins en soient hauts en forme d'arc et larges, la queue grosse auprès des reins, en aménuisant jusqu'au bout, qui sera épié et relevé en s'arrondissant sur les reins, et non tournée comme une trompe, ce qui est marque de peu de force et de vitesse (mais l'on en peut faire des limiers). La cuisse en doit être troussée, le jarret droit et la jambe nerveuse, le pied petit et sec, les ongles gros et courts, qu'ils ne soient pas ergotés, au-moins pour courre, cela n'importe ; c'est la taille et les signes qu'il faut aux chiens courants et aux lices, pour être assurément bons. Le rein gros et la chair fort dure sur les reins, sont deux qualités qu'exige M. de Ligniville dans le choix des chiens.

Nous avons, dit le même M. de Ligniville de deux tailles de chiens courants ; des esclames (terme de fauconnerie, Dictionnaire de chasse par M. Langlais, p. 81.) approchant de la taille des levriers à lièvres ; d'autres plus gousseaux et mieux fournis comme levriers d'attaches. Les chiens esclames sont bien faits, arpés, c'est-à-dire ayant les hanches larges et étrignés comme levriers. Ces chiens doivent être vites pour les vues, de grandes jambes, force et vitesse pour un jour ; les chiens d'autres tailles harpés, mais plus gousseaux et mieux fournis des reins, et larges, plus ensemble, sans excès en leur taille, ne le doivent point céder à la fin du jour et des chasses à leurs compagnons, même s'il est question de charper trois jours de suite, comme on fait quelquefois. Je tiens que les chiens mieux fournis ne se rendent pas sitôt que les autres.

Le chien esclame doit avoir la tête plus longue que le gousseau, et celui-ci plus courte, toutes les deux doivent être proportionnées à la taille ; le reste leur sera commun sans excès à leur grandeur et taille, la tête seche, nerveuse, le dessus du front plein de petites veines, les yeux élevés, noir-clair, grand et large front, les tempes creuses, plutôt courtes oreilles que trop longues, sans poil au-dedans, le col assez long et délicat pour être prompt au mouvement, la poitrine large et grossette, les aisselles un peu distantes des épaules, les jambes de devant petites, droites, rondes et fermes, le pli des cuisses droit, les côtés non creusés, mais un peu relevés, les reins charnus, ni trop longs ni trop courts, les flancs entre le mol et le dur et bien troussés, les cuisses potelées, charnues en bas, larges par le haut, retirées en-dedans, le ventre avec ce qui en dépend bien vuidé, la queue remuante, droite, grosse près des reins plutôt que déliée, et venant à proportion à diminuer, déliée vers le bout, venant aboutir au nœud du jarret, s'il la tourne le long du tour et creux de la cuisse, les jambes de devant beaucoup plus hautes que celles de derrière, et les pieds petits, serrés et ronds. Voilà la taille d'un chien robuste, agile, léger et beau à voir, convenable aux efforts, tels qui sont choisis dans la meute de Xenophon et dont Cyrus et Alexandre se servaient.

Il n'y a rien à ajouter au tableau que M. de Ligniville fait du chien courant ; il le peint comme sont aujourd'hui nos plus beaux chiens français et bâtards anglais qui sont moulés ; il n'en marque point la hauteur, sinon celle du levrier pour lièvres. La taille de ces beaux chiens qui sont aujourd'hui dans la grande meute du roi, est de 24 à 25 pouces de hauteur.

Les Anglais, dit M. de Selincourt, observent réguliérement ce qu'il faut faire pour avoir de bons chiens courants, et pour en avoir quantité ; car ils gardent des lices exprès, qui ne vont jamais à la chasse, de toutes les meilleures races qu'ils aient, pour leur servir de lices portières, lesquelles ils laissent libres dans leurs basses-cours, comme les mâtines, qui n'avortent jamais, qui leur font tous les ans deux portées, dont ils n'en gardent jamais plus de six de chaque portée ; si bien qu'il n'y a point de lice qui ne leur donne tous les ans, l'un portant l'autre, une douzaine de chiens ; et comme ils abondent en laitage, et que leurs lices sont toujours en liberté, ils les nourrissent mieux que tous autres, et poussent leurs petits chiens jusqu'à l'âge de cinq mois, qu'ils ont fait leurs gueules à force de lait ; en telle sorte qu'ils deviennent beaux, grands et forts, et sont plus prêts à chasser à un an, que les autres à dix-huit mois ; et ainsi font-ils de toute autre race de chiens.

Si les français imitaient les anglais, qui font nourrir tous leurs jeunes chiens ensemble, et dès l'âge de six mois, les menant à la campagne pour leur apprendre à être obéissants, ne leur permettant pas que jamais ils se séparent les uns des autres ; ils auraient des chiens sages et obéissants, qui chasseraient toujours ensemble ; car les chiens français ont des qualités plus relevées que les chiens anglais. Ils ont les voix plus hautaines, chassent plus gaiement, la queue plus haute, tournent mieux, requêtent incomparablement mieux, rentrent mieux dans les voies, trouvent mieux les retours, et se font plus entendre de deux lieues, qu'une meute anglaise ne ferait d'un quart de lieue, parce qu'ils chassent le nez haut à plus d'un pied de terre ; au lieu que les anglais chassent le nez bas et d'une voix étouffée contre terre. Tous les avantages des chiens français s'évanouissent par la mauvaise nourriture qu'on leur donne, les faisant nourrir séparément ; les uns par des laboureurs, et les autres par des bouchers, en plein libertinage jusqu'à un an ou quinze mois ; pendant lequel temps ils acquièrent des qualités si vicieuses, qu'avant d'entrer au chenil, ils sont incorrigibles, et que l'obéissance et la crainte ne peuvent plus rien sur leurs vicieuses habitudes, et que ce n'est qu'à force de coups qu'on les peut réduire, encore n'en peut - on venir à bout : si bien qu'une meute ne devient sage qu'à force de vieillir.

La Briffardière, nouveau traité de vénerie, c. xxxvj. dit peu de chose sur les races de chiens courants : il donne aux chiens blancs la préférence sur tous les autres poils, et sur ceux d'une taille médiocre, qui sont plus vigoureux et courent plus longtemps que les chiens élancés et de haute taille : ces derniers n'ont que le premier feu, et après le premier relais, ils ne sauraient plus suivre les autres ; il propose, quand on a une meute de chiens blancs, de les faire chasser le lièvre deux fois la semaine, et que les piqueurs n'épargnent pas les coups de fouet, pour les rendre attentifs et dociles, pour leur apprendre à s'ameuter avec les autres, s'y rallier et tourner où l'on voudra : après, leur faire chasser le cerf ou le chevreuil, et en peu de temps ils seront formés : quand les lices deviennent en chaleur, les faire couvrir par les meilleurs chiens, comme il est dit ci-devant ; les séparer de la meute douze jours avant de mettre bas, etc.

Phoebus, dans son chapitre xxiij. du Chenil, dit comme les chiens doivent demeurer et comme ils doivent être tenus. De son temps il y avait un préau qui était construit exprès, avec une porte de derrière, pour que les chiens allassent au soleil, qui y donnait tout le jour ; les chiens pouvaient y aller quand ils voulaient : il prétend que cette construction de chenil avec un préau, les empêchait de devenir galeux si souvent ; (je serais bien de son sentiment, que le grand air ne peut faire que du bien aux chiens, surtout dans les beaux jours.) Il faisait ficher des bâtons en terre, environnés de paille, hors les bancs où ils se couchaient, pour que les chiens y vinssent pisser ; il en faisait mettre jusqu'à six. Si l'on frottait quelqu'un de ces bâtons avec du galbanum, tous les chiens iraient pisser contre. La méthode n'était que très-bonne ; cela les empêchait de pisser sur les bancs où ils se couchaient, ce qui faisait que leurs lits étaient toujours secs : l'on n'a plus cette habitude ; prétendant que des chiens, en jouant ou en se battant, ou en sortant de vitesse pour l'ébat ou pour manger la mouée, qu'ils pourraient s'étrufler, se blesser de différentes façons ; je laisse la chose à décider. Il y avait de son temps, des cheminées dans les chenils, pour les réchauffer dans l'hiver et quand ils revenaient de la chasse, ayant eu la pluie quelquefois toute la journée sur le corps, avoir battu l'eau dans des étangs ou des rivières, la boue, la crotte. Fouilloux parle de l'usage des cheminées. Il faisait bouchonner les chiens après la chasse, pour faire tomber la boue et la crotte. L'on avait conservé cet usage jusqu'au règne de Louis XIV. j'ai Ve de grandes cheminées, environnées de grillages de fer, dans les chenils de Versailles ; je crois que c'est la peur du feu qui les a fait détruire ; je les approuverais cependant, pour le bien et la conservation des chiens : à l'égard du feu, on peut prendre des précautions comme on les prenait dans ce temps-là, où il n'est point mention qu'il soit arrivé d'accident.

Phoebus, dans son chap. xxiv. dit, qu'il faisait mener ses chiens à l'ébat deux fois le jour, le matin et le soir, au soleil, en beau et grand pré ; on les y peignait et bouchonnait tous les matins, on les menait dans des lieux où il y avait des herbes tendres ou blé verd, pour qu'ils se purgeassent ; on leur donnait de la paille fraiche une fois le jour, et celle de dessus les bancs on la mettait dessous les pieds. Charles IX. leur faisait donner de l'eau fraiche deux fois le jour, les faisait rendre obéissants à l'ébat ; il voulait qu'on ne les laissât pas écarter, qu'on les fit rentrer dans la meute, en les corrigeant et les nommant par leurs noms, qu'on les tint en crainte et obéissance le plus qu'on pourrait ; qu'on les pansât deux fois le jour : c'était la méthode du règne de Charles IX. et de Salnove ; ils ajoutent, sans y manquer, si on les veut avoir beaux, vigoureux, et toujours en bon corps. Il y avait deux petits valets de chiens ordinaires, qui couchaient au chenil. Ligniville dit qu'il faut des planches le long des murailles où couchent les chiens, pour les garantir de l'humidité des murs contre lesquels ils s'appuient. La précaution est très-bonne ; on les faisait panser le matin à six heures en été, et à cinq le soir, en hiver à huit heures du matin et à trois du soir ; on les faisait promener et mener à l'ébat après leurs pansements, les y laissant une heure dehors. M. de Selincourt recommande la même chose, disant que si les chiens ne sont bien pansés et tenus proprement, qu'il en arrive toujours deux accidents fort grands et fâcheux, qui sont la gale et la rage ; il recommande de même des cheminées dans les chenils et grand feu au retour des chasses froides et humides en hiver.

On ne peut rien ajouter pour la propreté des chiens à l'usage que les anciens en avaient ; je suivrais avec plaisir leur méthode ; aujourd'hui on s'est relâché sur bien des bonnes choses qu'on a abolies pour en introduire d'autres qui ne les valent pas, comme de laver les chiens le lendemain des chasses en hiver avec de l'eau glacée dans un grand chenil qui n'a de chaleur que ce que les chiens lui en donnent ; cela doit leur être bien contraire. On ne les panse plus, ou on ne le fait que très-rarement ; quand ils ont été lavés, en voilà jusqu'à la prochaine chasse sans qu'on les peigne ni qu'on les brosse ; je ne désaprouverai pas qu'on les lave dans l'été, dans les jours de chaleur le lendemain des chasses : cela les délasse, et ne peut que leur faire du bien ; mais cela n'empêcherait point qu'ils ne fussent pansés avec le peigne et la brosse tous les jours une fois jusqu'au jour de la chasse. En lavant les chiens en hiver avec de l'eau froide, vos vieux chiens qui à peine sont réchauffés de la veille, se mettent les uns sur les autres pour trouver de la chaleur, se salissent autant qu'ils l'étaient auparavant, ne peuvent se réchauffer qu'avec bien de la peine, ils maigrissent à vue-d'oeil, et ne durent pas longtemps. Les auteurs anciens disent que leurs chiens courants duraient en bonté et force neuf ans dans leurs meutes ; aujourd'hui quand ils en durent six, c'est beaucoup.

Si les chiens, dit Fouilloux, avaient des poux et puces, pour y remédier, il faut les laver une fois la semaine avec un bain fait de cresson sauvage, autant de feuilles de lapace, de marjolaine sauvage, de la sauge, du romarin et de la rue, faire bouillir le tout jusqu'à ce que les herbes soient bien cuites et consommées, les ôter de dessus le feu, les laisser refroidir jusqu'à ce qu'elles soient tiedes, puis bien laver les chiens ou les bien bouchonner, ou les baigner l'un après l'autre : cela se doit faire dans les grandes chaleurs trois fois le mois au-moins, une poignée de chaque herbe pour un sceau d'eau, suivant la quantité plus ou moins.

M. de Selincourt, dans son ch. XIIIe des équipages, donne de très-bons conseils que j'ai transcrit mot-à-mot. Il y a, dit-il, deux saisons de l'année auxquelles il faut donner plus de soin au maintien d'une meute pour la garantir de toutes les maladies qui règnent en ces deux saisons, l'une est le printemps, l'autre l'automne. En celle du printemps, parce que le soleil remonte et donne vigueur à toutes choses, qu'en ce temps les animaux sont en leur plus grande force, et principalement les cerfs ; et qu'aux chasses qui se font en Avril, les chiens font plus d'efforts en une qu'en plusieurs, en tout temps de l'année ; c'est pourquoi il faut purger les chiens, les saigner, les panser, et les tenir plus nets qu'en toute autre saison, et leur donner une meilleure nourriture, ayant soin de ceux qui sont maigres, et par conséquent plus susceptibles des maux qu'ils peuvent communiquer à tous les autres, leur donner de la soupe, et les remettre en état.

Quant à l'automne qui rend tous les corps des animaux plus débiles et plus lâches, c'est en cette saison qu'il en faut avoir un soin plus particulier.

Quand on en a grand soin et qu'on tient les chiens proprement, on ne voit guère de meutes attaquées d'aucunes maladies générales qui les ruinent ; et ce ne sont jamais que les grands excès des curées trop fréquentes et des grands efforts que fait une meute qui leur causent la rage de glai ; grande rage qui infecte l'air des chenils et qui se communique. La première se guérit, si elle arrive au printemps, par des remèdes rafraichissants ; la seconde qui n'est que particulière, se guérit par des saignées et par des purgations de sené ; la troisième se guérit par des bains salés, ou par le bain de la mer, et en séparant les chiens les uns des autres le plus promptement que faire se pourra.

Salnove, ch. XIIe rapporte qu'il y avait une ancienne coutume dans la vénerie du roi, que les chiens mangeaient du pain de froment, du plus blanc et du meilleur ; les valets de chiens en prenaient pour leur nourriture sans en abuser.

Il faut faire une très-exacte visite des grains et farines dont on nourrit les chiens, lesquelles sont quelquefois échauffées par la quantité ou épaisseur de grains qu'on met dans les greniers, et quelquefois aussi on fait le pain avec de l'eau puante, par la négligence, paresse, et saleté des boulangers, qui ne se donnent pas la peine de vider tous les jours leur grande chaudière, dans laquelle la vieille eau a croupi et formé du verd-de-gris ; ils remettent de l'eau par-dessus, la font chauffer, et font le pain avec, ce qui est très-contraire aux chiens, et peut leur donner des maladies qui commencent par des dégouts, suivis de cours de ventre, de flux de sang, et même de la rage, à laquelle aboutissent tous ces maux ; une seule fournée de pain mal cuit rend toute la meute malade une semaine entière, et principalement les chiens les plus voraces, et qui mangent ordinairement le mieux.

Il faut mettre le boulanger sur le pied de vider et nettoyer sa chaudière tous les jours, cela ne peut faire qu'un très-bon effet pour garantir du verd-de-gris, qui est un poison, quand même la chaudière serait étamée.

Le boulanger doit aussi examiner la farine qu'on lui livre, et si elle n'était pas bonne ne la pas recevoir : celui qui a la direction de l'équipage doit y être bien attentif, et s'en rapporter pour l'examen à lui-même, et s'il était absent qu'on reçut de mauvaise farine, faire punir celui qui l'a livrée et celui qui l'a reçue ; au moyen d'une pareille exactitude le service pour la nourriture des meutes sera toujours bien fait.

On donne aujourd'hui du pain d'orge pur aux chiens du roi, cela leur tient le corps frais et en embonpoint ; la nourriture en est bonne ; ils en mangent deux fois le jour : les jours de chasse on doit leur donner à déjeuner, mais le quart de ce qu'ils ont coutume de manger, pour ne les pas trop remplir, mais seulement les soutenir tout le jour que la chasse dure, car souvent ils ne rentrent que bien avant dans la nuit ; ces jours-là on leur prépare une bonne mouée, qu'on leur fait manger après la chasse ; et après qu'ils ont mangé leur soupe ou mouée, on leur fait faire la curée.

Service du chenil. Voici ce qui est en usage pour les meutes du roi sa majesté Louis XV. pour le service du chenil.

Dans l'été, les valets des chiens doivent se trouver au chenil à cinq heures du matin, pour sortir et promener les limiers, les lices en chaleur, et les boiteux ou malades ; le valet de chien qui sort de garde et qui a passé la nuit dans le chenil avec les chiens, est chargé de bien nettoyer et balayer chaque chenil, de mettre la paille de dessus les bancs par terre, et de la paille blanche neuve sur les bancs, de nettoyer et vider les baquets où l'on met leur eau ; le valet de chien qui prend la garde est chargé d'aider à son camarade à nettoyer et enlever les fumiers, et de mettre de l'eau fraiche dans tous les chenils. A six heures on promene la meute ; on les tient ensemble le plus qu'il est possible, à la réserve de ceux qui se vident ou prennent du verd ou de l'herbe pour les purger, ce qu'il faut leur laisser faire, et laisser un homme pour rester auprès d'eux jusqu'à ce qu'ils aient fini ; pendant ce temps on promene les autres.

Il faut que celui qui a la direction de la meute examine les chiens boiteux, ceux qui paraissent n'avoir pas la gaieté ordinaire, qu'il voie s'ils ont la gueule bonne, c'est-à-dire si un chien est malade. Pour cela on lui lave les lèvres, et si on lui remarque une pâleur qui n'est pas ordinaire, on est sur qu'il est malade, on lui tâte les côtes vis-à-vis le cœur ; quand il a la fièvre on en sent les battements bien plus vifs et plus fréquents que d'ordinaire ; on le fait séparer sur-le-champ, et on le traite suivant la maladie qu'on lui trouve ; il faut avoir du papier, un crayon, et écrire chaque chien boiteux ou incommodé, pour le panser suivant son mal, et ne le point mener à la première chasse, jusqu'à ce qu'il soit bien refait et rétabli ; par ce moyen on sait le temps de son incommodité, le genre de sa maladie ou accident, et celui qui est en état d'être mené à la chasse ou non. Après les avoir fait promener trois quarts d'heure ou une heure, on les ramène au chenil, que les deux valets de chiens ont bien balayé, nettoyé, renouvellé de paille blanche et d'eau fraiche ; il faut les faire panser, les bien peigner et brosser, ce qui se fait en cette manière : chaque valet de chiens est obligé d'avoir une étrille, brosse, peigne, ciseaux, et une couple : chacun prend un chien avec sa couple, lui met les deux pieds de devant sur le bord du banc où couchent les chiens, commence à le bien peigner, à rebrousser ses poils d'un bout à l'autre, et après on le brosse bien par tout le corps ; on doit leur passer la main sous le ventre, entre les cuisses, les épaules, voir s'il n'y a point de crotte seche, et l'ôter s'il s'en trouve, à chaque chien on doit bien nettoyer la brosse avec l'étrille ; en les pansant on doit examiner s'ils n'ont point de dentée de la nuit ; s'ils en ont, il faut leur couper le poil ; de même s'il y avait quelques dartres qui voulussent venir on leur coupe le poil pour les panser suivant le mal. Quand on a fini de panser les chiens et qu'il ne s'en trouve plus par l'appel qui en est fait par les valets de chiens, chacun serre ses ustensiles ; on met au gras, c'est-à-dire qu'il doit y avoir un petit chenil à côté du grand, qui ait communication par une porte l'un dans l'autre, et on met dans le petit les chiens qui sont trop gras (pour bien chasser) ; quand l'on y a mis ceux que l'on juge à propos, le premier valet de chiens examine s'il y en a une grande quantité, on y fait rester le dernier valet de chiens, après quoi on entre les auges dans lesquelles on casse le pain ; on les laisse manger environ une heure ; on examine ceux qui ne mangent pas, s'ils n'ont point l'air triste ou fatigué de la chasse, ou mal au ventre, suivant ce qu'on leur remarque on les sépare ou on leur donne du lait ou du bouillon, de la soupe ou de la viande, ce qui parait à propos ; quand on voit qu'ils ne mangent plus et qu'il se trouve assez de pain, pour que les chiens gras et gourmands n'en mangent trop, on leur ouvre la porte, après quoi on finit le reste des autres, on ôte les auges et l'on panse les boiteux et les malades : on les laisse tranquilles jusqu'à quatre à cinq heures du soir qu'on recommence la même cérémonie, à la réserve du pansement, du peigne, et de la brosse, qu'on ne doit faire que le matin : dans l'hiver on ne les doit sortir qu'à huit heures et le soir à trois.

Le premier valet de chiens est chargé du pansement des boiteux, malades, ou blessés ; il a quatre sols par jour de plus que ses camarades ; ces pansements se font toujours sous les yeux et les ordres de celui qui a la direction de la meute et qui en rend compte au commandant ; il lui fait part aussi de tous les détails qui concernent le service de la meute et prend ses ordres pour les chasses, les départs, les chiens à mettre aux relais, ceux qu'il faut reformer, généralement tout ce qui est du détail de la meute, et des valets de chiens.

Quand la meute doit chasser, celui qui en a la direction doit avoir un petit état de tous les chiens boiteux de la dernière chasse, des malades, fatigués, maigres, enfin de tous ceux qu'il ne croit point en état d'aller à la chasse ; arranger en conséquence le tout, par ordre de meute et de relais ; ayant ôté tout ce qui ne doit point marcher, il voit d'un coup d'oeil ce qui lui reste de chiens pour la chasse, suivant l'heure du départ de la meute ; si c'est le matin, on avance l'heure ordinaire pour les sortir à l'ébat qu'on fait moins long ce jour-là qu'un autre ; après qu'ils sont rentrés on met au gras, et on leur casse le quart du pain qu'ils ont coutume de manger, comme il a déjà été dit ; un moment après on laisse venir les gras, quand ils ont fini, ce qui est bientôt fait, on sépare tous ceux que l'on a marqués ne devoir point aller à la chasse, relais par relais ; quand cela est arrangé de cette façon, et la séparation faite, on les sort dans la cour, et on les fait rentrer la porte entre-baillée pour les compter un à un ; vous devez trouver le compte que vous avez arrangé sur votre billet ; il faut panser les boiteux qui restent, et après vous faites préparer les couples pour le nombre des chiens qui vont à la chasse ; celui qui est de garde demeure au chenil pour avoir soin de ceux qui restent, et les autres vont se préparer, et doivent se trouver au chenil pour coupler ; il faut, en couplant les chiens, les égaliser autant qu'il est possible, tant du poil que de la taille, et s'il y a des chiens querelleurs et de mauvaise humeur, il faut les mettre avec une lice, sans que cela dérange les places que les chiens tiennent à chaque relais. On couple une demi-heure avant celle du départ : quand l'heure dite est arrivée, on fait partir les chiens accompagnés de celui qui en a la direction ; c'est le premier piqueur qui ne Ve plus au bois, et à qui on donne deux chevaux pour conduire l'équipage au rendez-vous, se promener pendant la chasse, et se rendre utîle suivant son savoir ; il doit y avoir deux valets de chiens à pied à la tête des chiens, et l'on donne des chevaux aux autres pour contenir les chiens, afin qu'ils ne s'écartent pas de la meute. Un d'eux Ve devant, pour faire arrêter et ranger les voitures ; si l'on doit séparer des relais en chemin, le valet de chien à pied, du relais qu'on sépare, prend les chiens dudit relais ; son camarade à cheval étant au rendez-vous, et ayant été au bois, ne peut point les accompagner ; il les conduit à l'aide des palfreniers dudit relais à l'endroit qu'on lui a nommé, où son compagnon Ve le rejoindre après avoir fait son rapport au commandant. Les chiens étant arrivés au rendez-vous, dans une place éloignée des chevaux, à l'ombre dans l'été et au soleil dans l'hiver, le rapport étant fait, celui qui a la conduite de l'équipage prend les ordres du commandant pour la distribution des relais qui sont venus au rendez-vous, les envoie aux endroits nommés, et se tient prêt avec les chiens de meute, pour les conduire où l'on doit attaquer sitôt que le roi est arrivé, ou qu'il en reçoit l'ordre ; étant à l'enceinte on fait prendre la meute avec les contre hardes, c'est une double couple au milieu de celle qui tient les deux chiens couplés ensemble ; chaque homme en prend huit ou dix, plus ou moins suivant le nombre de chiens qu'il y a de meute, et les hommes qui sont pour cela ; on fait un détachement d'une harde de six vieux chiens, avec lesquels on Ve fouler l'enceinte pour faire partir le cerf ; l'usage des vieux chiens est très-bon pour cela, il se pratique à petite meute, et ils s'en trouvent bien. Sitôt que le cerf est lancé, et qu'il s'est fait voir, on mène les chiens de meute sur la voie, on les découple, et ils chassent : les valets de chiens à pied suivent la chasse, ramassent les chiens traineurs, les mènent doucement pour les donner dans un besoin, ou à la fin d'un cerf.

Quand un cerf se fait prendre bien loin du séjour de l'équipage, qu'il est tard quand la chasse est finie, on doit coucher au plus prochain endroit commode ; le lendemain on part du matin pour rentrer au séjour : on envoie les valets de chiens à cheval, dans tous les endroits où la chasse a passé, pour ramener les chiens qui n'ont pas pu suivre, ou qui se sont écartés après du change. L'usage de la vénerie est que sa majesté défraye hommes, chiens, et chevaux : quand les retraites sont longues, et qu'il y a assez de jour pour rentrer au logis, on doit faire manger un pain ou deux aux chiens en route ; cela les met en état de faire le chemin plus à leur aise ; on fait rafraichir de même l'équipage sur le compte du roi.

On donne à chaque valet de chiens qu'on oblige à coucher dehors, vingt sols, et on leur rend le déboursé qu'ils ont faits pour leurs chevaux.

Curée. De retour de la chasse on attend que les valets de chiens à cheval soient rentrés ; en attendant on dépouille le cerf, on lève les morceaux, le commandant prend ce qu'il juge à propos, celui qui a la direction du chenil dispose du reste : ensuite on tient les membres, la carcasse, le cimier, et la pance vuidée et lavée, enfermés ou éloignés de l'endroit où on fait manger la mouée versée dans des auges : on ouvre la porte du chenil : il faut avoir la précaution qu'il y ait un homme à chaque porte en l'ouvrant, et qu'il s'y tienne jusqu'à ce que les chiens soient tous passés, de crainte qu'ils ne s'y heurtent, et ne s'étruslent ; il serait à propos qu'elles s'ouvrissent en-dehors, il y aurait moins de danger : quand ils ont mangé leur mouée, on dispose la curée dans l'endroit qui est choisi pour cela, s'il était possible que ce fût sur l'herbe, cela n'en serait que mieux : on y disperse le cerf, et on tient les chiens sous le fouet en les laissant crier ; ce qui fait un bruit mélodieux pour ceux qui aiment la chasse ; quand on les a tenu quelques minutes dans cette position, on leur abandonne le cerf dispersé, et ils font la curée, on leur crie halaly, pour les animer davantage ; l'on s'est relâché de même sur les trompes dont les valets de chiens devraient toujours se servir à la curée ; ce qu'on ne pratique plus qu'à Fontainebleau, cependant cela ne peut faire qu'un très-bon effet, en animant les chiens, et accoutumant les jeunes à connaître la trompe et à y venir quand ils sont séparés de la meute ; d'ailleurs la meute du roi doit être distinguée par les plus brillantes opérations, on n'aurait pas dû laisser abolir cet ancien usage. Il y a encore une méthode qui s'est introduite depuis un temps, qui est de mettre les chiens au gras les jours de chasse ; je ne comprents pas comment l'on n'en reconnait point l'abus, il en résulte différents inconvénients : 1°. les chiens qui sont dans l'embonpoint, souvent sont les plus vigoureux, les meilleurs, et ceux qui ont le plus travaillé, soit pour chasser ou avoir battu des eaux froides, ce qui les a mal menés ; vous leur donnerez pour leur peine le reste des autres, dont la plupart n'ont servi de rien à la chasse, cela me parait contraire au bien de la chose. 2°. En voulant mettre au gras la nuit comme il arrive presque toujours, les valets de chiens ouvrent la porte des gras, et à grands coups de fouet dans le chenil, crient aux gras ; il en entre des gras, des maigres, des jeunes, des vieux, des craintifs, tous pêle-mêle : on ferme la porte, et l'on vient annoncer qu'on a mis aux gras ; c'est un ouvrage très-mal fait, et une méthode qui est beaucoup plus nuisible qu'utîle au bien du service.

Anciennement on donnait aux chiens quand le cerf était pris, le foie, le cœur, le poulmon, et le sang mêlés avec du lait, du fromage et du pain, le tout bien mêlangé et coupé : on mettait le tout sur la nappe du cerf, ce qui a fait conserver le nom de nappe à la peau du cerf. Il n'y avait pas un si grand nombre de chiens dans les meutes qu'aujourd'hui : on donnait le forhu après.

On a aussi supprimé le forhu, qui avait été de tous les temps en usage, et qui faisait un bon effet ; quand les chiens avaient fait la curée, et qu'il n'y avait plus que les os, un valet de chien qui tenait le forhu au bout d'une fourche, criait tayoo, les chiens quittaient les os sans peine, et s'assemblaient autour de lui : pendant ce temps on ramassait les os, on les jetait dans l'endroit destiné pour cela : on approchait les chiens du chenil, et on leur jetait le forhu, en attrapait qui pouvait ; voici le bon effet de cette pratique : elle les faisait quitter sans peine les os du cerf, ce qui ne se fait qu'à grands coups de fouets redoublés, étant animés ils se laissent couper le corps, et ne quittent qu'à force de coups ; ces pauvres animaux qui un instant avant étaient caressés et animés, l'instant d'après vous les écrasez de coups de fouets pour les faire quitter ; c'est un contraste qui ne doit pas faire un bon effet : le forhu prévenait cela ; si-tôt qu'ils entendaient crier tayoo, ils quittaient les os pour se rassembler au forhu : on avait peu de peine à les y faire aller, au premier coup de fouet ils partaient, et cela leur en épargnait beaucoup d'autres ; en second lieu cela les accoutumait à connaître un tayoo, et à s'y porter, ce qui peut faire encore un très-bon effet à la chasse ; des chiens sans voies qui l'entendaient crier, s'y portaient.

Le forhu, terme ancien, est en usage parmi tous les auteurs qui ont écrit de la chasse ; c'est la pance du cerf bien vuidée, nettoyée et lavée qui était mise au bout d'une fourche avec les boyaux, un valet de chiens des plus grands et des plus forts tenait la fourche ; quand les chiens avaient fini la curée, il se mettait au milieu d'eux en criant tayoo, ils quittaient aisément les os pour se rassembler autour du valet de chiens ; il y en avait plusieurs qui sautaient en l'air pour l'attraper, quand ils étaient tous rassemblés, en les rapprochant du chenil, on le jetait au milieu d'eux, cela n'était pas long à être dissipé ; on les menait après à la mouée, ceux qui n'en avaient pas assez mangé avant la curée achevaient de se remplir, quand ils avaient fini, on les faisait rentrer au chenil : quand les chiens rentrent au chenil, la porte doit être tenue entre-baillée pour les compter, et voir s'il en manque ; quand cela arrive, on met un poèslon de mouée dans un petit chenil avec de la paille blanche et de l'eau, on recommande de laisser les portes de la cour du chenil entre-ouverte, pour qu'ils puissent entrer et aller dans le chenil où ils trouvent ce dont ils ont besoin ; le lendemain, s'il en manque, on les appelle tous par leurs noms avec la liste ; on connait ceux qui manquent, de quels relais ils sont, et on envoye deux valets de chiens les chercher ; si la chasse a fait une grande refuite, il faut envoyer un homme à cheval. Comment voulez-vous qu'un homme qui a fait toute la chasse à pied la veille, qui est rentré tard et a fatigué, puisse faire dix à douze lieues, l'allée, le revenir, et le chemin que la chasse a fait ? il le promet, mais il n'en fait rien ; avec un cheval l'on serait assuré qu'il ferait le chemin ; il ne faudrait qu'un vieux cheval pour cela, qui épargnerait peut-être bien des accidents, car des chiens qui manquent deux ou trois jours et quelquefois plus, peuvent être mordus par des chiens enragés, sans qu'on le sache, ils sont remis avec les autres, au bout de quelque temps ils deviennent malades au milieu de la meute ; voilà comme la plupart des malheurs des meutes arrivent : si elle a fait peu de pays, un homme à pied suffit ; le lendemain des chasses s'ils ont les pieds échauffés, sans être dessolés, on peut les leur saucer dans de l'eau et du sel, cela les rafraichit ; s'ils sont dessolés, on les sauce dans du restrainctif. Pour les voyages et routes, Salnove dit que la marche ordinaire des chiens courants doit être par jour de six lieues, qu'on en faisait quatre le matin en été, qu'on les faisait diner, et quand le grand chaud était passé, on faisait les deux lieues pour aller à la couchée, ch. lj. Ligniville dit que rien ne gâte ni n'estropie tant que les grandes retraites : le bon veneur fait retraite partout.

Marche de l'équipage en route. Quand le roi veut chasser dans les forêts de Fontainebleau, de Compiègne, de Senart, Saint-leger, etc. il donne ses ordres au grand veneur qui les donne au commandant ; celui-ci fait assembler les officiers de service à qui il donne l'ordre qu'il a reçu pour le jour du départ de l'équipage, et l'endroit où il doit aller ; il règle l'heure et l'endroit où l'on doit aller coucher ; s'il y a plusieurs jours de marche, on choisit un valet de limier des plus intelligens pour aller devant la veille du départ de l'équipage où il doit aller coucher, pour marquer grange ou écurie pour loger les chiens commodément, que l'endroit ferme bien, que les fenêtres ne soient point trop basses, afin que les chiens n'y puissent sauter, la faire bien nettoyer, la rendre propre, y faire faire une belle paille blanche et de bonne eau fraiche, prendre du monde pour cette opération, et chercher pareillement des endroits plus petits pour y mettre les limiers, les lices en chaleur et les boiteux, y faire pareillement mettre de belle paille et de l'eau fraiche, qu'il y ait une cour qui ferme bien, de crainte qu'il ne sorte quelques chiens ; on fait porter ordinairement le pain pour le souper des chiens, on le leur fait casser dans des vanettes, et on le leur porte dans l'endroit, on leur en donne autant qu'ils en veulent manger ; il n'y aurait pas grand mal quand on leur casserait le matin quelques pains sur la paille un peu avant de les coupler, ils en feraient mieux la route. Pour ne pas retarder la marche de l'équipage, il faut faire mener doucement les vieux chiens. Les limiers sont conduits par un valet de limier, un valet de chien à cheval et un valet de chien à pied, quand il y en a beaucoup, s'il y en a peu, un valet de chien à cheval, et un à pied suffisent : en passant des forêts, si l'on fait bien, on les prend à la harde de peur qu'ils n'échappent, parce qu'ils sont moins dociles que les chiens de la meute ; on prévient encore par-là bien d'autres accidents. Les lices sont menées par un valet de chien à pied la veille du départ : le boulanger part deux jours avant l'équipage, pour préparer le pain, la mouée, et tout ce qui concerne son état, afin que rien ne manque à l'arrivée de la meute. Le roi donne les voitures nécessaires pour porter dans les voyages les ustenciles du fourni, du chenil, et les bagages des officiers et autres de service.

Tous les officiers de la vénerie doivent accompagner la meute en habit d'ordonnance, il doit y avoir un valet de limier devant l'équipage avec un fusil chargé pour tirer sur les chiens qui se trouveraient seuls sans maître, et qui auraient mauvaise mine, ou avertir ceux à qui les chiens appartiendraient de les prendre, les attacher, et s'éloigner du chemin ; de même avertir les voitures de s'arrêter avant d'arriver à la meute : quand la route est longue, et qu'il n'y a point de bois à passer, on doit laisser les vieux chiens et les plus sages en liberté, et les autres doivent être couplés en arrivant ; à l'entrée de quelque forêt il faut tout coupler, et que les chiens soient bien environnés de cavaliers, le fouet haut de crainte qu'ils n'éventent ou n'aient connaissance de voyes qui ne feraient que passer, ou des animaux ; on ne fait faire à l'équipage que huit à dix lieues par jour, quelquefois douze ; quand on Ve de Versailles à Compiègne, on a été coucher à la Chapelle, partir à minuit, rafraichir à Garche, donner du pain et de l'eau aux chiens, envoyer les vieux chiens quatre heures devant la meute, le lendemain faire dix lieues, et tout arriver en bon état : cela s'est pratiqué dans les chaleurs du mois de Juin en 1764. A la moitié de la route, on fait rafraichir les valets de chiens, et donner du pain aux chiens ; ceux de l'équipage qui veulent boire un coup, le font : tout cela est sur le compte du roi.

Meutes. Les meutes n'étaient pas si considérables anciennement, en nombre de chiens, qu'elles le sont aujourd'hui. Phoebus faisait mener à la chasse plusieurs espèces de chiens ; outre les chiens courants, il avait des levriers, des allans qui servaient à arrêter et terrasser les animaux, apparemment qu'il les faisait donner avec les levriers dans des détroits, plaines ou futayes.

Fouilloux, et Charles IX. ne disent rien de positif sur le nombre des chiens dont les meutes étaient composées ; on faisait six relais chacun d'environ six chiens, ils étaient conduits chacun par un gentilhomme et son domestique à l'endroit qu'on leur destinait : il y avait, selon les apparences, autant de meutes de chiens que de relais, ce qui pouvait aller environ à soixante chiens à la chasse ; suivant cet état, il fallait que la meute fût composée de quatrevingt chiens ; il y en a toujours de boiteux d'une chasse à l'autre, des malades, fatigués, et lices en chaleur ; c'est aussi le nombre que Salnove donne à-peu-près aux meutes de son temps ; on faisait de même six relais. Il dit, ch. 9. qu'il a Ve plusieurs années dans la meute du Roi jusqu'au nombre de trente chiens découplés ou laissés courre, n'y ayant qu'un seul valet de chien devant eux qui tenait deux houssines en ses mains, suivant celui qui laissait courre avec son limier qui chassait de gueule, en renouvellant de voies lancer le cerf et sonner pour donner les chiens qui pourtant ne passaient pas que le valet de chien ne se fût détourné à droit ou à gauche, et qu'il n'eut laissé tomber ces houssines à terre, ou au-moins fort bas. Du temps de Salnove on menait donc à la chasse environ 60 chiens, puisqu'il y en avait trente de meute, et six relais qui ne doivent pas moins être que de cinq ou six chiens chacun. Ligniville dit que le nombre de vingt-cinq chiens suffit pour forcer ce qu'ils ameutent et chassent.

Le même dit aussi avoir dressé et ajusté des meutes de cinquante à soixante chiens par les règles de vénerie qui étaient très-bien au commandement et obéissants à la voix des veneurs.

Toutes les meutes bien dressées dont il parle, n'étaient que de cinquante à soixante chiens, entre autres celle de M. le prince de Conti, et celle du cardinal de Guise, qu'il avait vues les premières, et qui chassaient si juste qu'elles prenaient par tout pays un cerf. Les meutes de M. de Saissons et de M. le duc de Vendôme, qui avaient été dressées par messieurs de S. Cer, et M. de Carbignac, veneurs d'Henri IV. prenaient quelquefois 50 à 60 cerfs sans en manquer un.

Il a Ve en Angleterre les chiens de sa majesté britannique prendre un cerf qui se mêlait avec plus de 2 ou 300 daims, et avec plus de 100 cerfs, desquels les chiens le séparaient partout, et pas un chien ne tournait au change. Ils séparaient l'animal qu'ils chassaient également à vue, comme par les voies.

Avec les mêmes chiens, il a Ve le lendemain attaquer un daim, le chasser, se mêler avec des hardes de cerfs et de daims, le séparer partout, et le prendre.

Ils chassaient tous les jours, hors le dimanche, le cerf ou le daim. Ils ne faisaient point de relais ; on attaquait avec toute la meute, sans en manquer un. Ils avaient la précaution en Angleterre de les faire porter où le roi voulait chasser, dans des carrosses faits exprès ; on les rapportait de même. Les veneurs en Angleterre, n'allaient point aux bois pour y détourner le cerf ; ils ne s'appliquaient point à avoir les connaissances du pied, ni des fumées, et ne se servaient point de limiers ; ils menaient leur meute dans les parcs ; attaquaient un cerf ou un daim dans les hardes d'animaux, où le gros des chiens tournait les autres, s'y ralliaient et ne se séparaient plus.

Le roi Jacques demanda à Henri IV. de lui envoyer des plus habiles de ses veneurs, pour montrer aux siens les connaissances du pied du cerf, et la manière de le détourner et le laisser courre avec le limier, afin qu'il put courre dans les forêts de ses états, et plus dans des lieux fermés comme ses parcs, où jusque-là il avait toujours couru, et n'avait pu connaître les cerfs qu'en les voyant. Le roi y envoya messieurs de Baumont, du Moustier, et quelques valets de limiers : depuis de S. Ravy et plusieurs autres bons chasseurs, y sont allés.

Les veneurs que Ligniville a connus en Angleterre, étaient des plus habiles pour dresser des meutes ; il en fait un grand éloge, et si les jeunes veneurs faisaient quelques fautes volontaires, ou par ignorance, que le roi en eut connaissance, il donnait aussitôt des ordres pour y remédier. Il assure avoir beaucoup appris en ayant Ve chasser la meute du roi d'Angleterre pendant 4 ou 5 mois, avec tout l'ordre et règles de chasses possibles, et que les veneurs anglais distinguaient le cerf qu'ils avaient attaqué, quand il se mêlait dans des hordes d'autres cerfs, à ne s'y pas tromper.

Salnove, ch. ix. dit que la meute du roi était de chiens blancs, qui étaient d'une sagesse et hardiesse admirables ; que dans les forêts de S. Germain, de Fontainebleau et de Monceaux, où il y avait une quantité de cerfs innombrable ; ils chassaient un cerf quatre ou cinq heures. Quand il se mêlait avec 5 ou 600 cerfs, ils le séparaient, le maintenaient parmi tout ce change jusqu'à ce qu'ils l'eussent porté par terre.

Aucun auteur n'a écrit avec tant de détail pour former de bons veneurs et dresser les meutes, que M. de Ligniville : ce qu'il en dit est très-instructif.

Pour faire une bonne meute, il observait de n'avoir que 50 à 60 chiens, tous du même pied. Quand il avait un chien qui était trop vite, qui avait toujours la tête bien loin devant les autres, il lui faisait mettre un collier avec trois plates longes trainantes, sur lesquelles le chien en courant mettait les pieds de derrière ; il lui faisait baisser le col, et arrêtait sa grande vitesse, et le faisait aller du même pied que les autres. Il y en a eu à qui l'on a mis des colliers de plomb de trois à quatre livres ; mais cela fatigue trop un chien (j'adopterais plutôt la plate longe). Quand un chien coupait par ambition pour être à la tête, il ne le gardait pas dans sa meute ; il voulait que ses chiens chassassent toujours ensemble : pour peu qu'il remarquât qu'ils fissent une file, il faisait arrêter la tête, et attendait les autres jusqu'au dernier, cela arrive souvent dans la chasse, comme quand le maître était éloigné, ou à attendre un relais qui avançait. Il voulait que ses veneurs fussent toujours collés aux chiens, sans les presser ; quand les chiens étaient à bout de voie à un retour, ils remarquassent s'il n'y en avait pas quelqu'un qui trouvât le retour plutôt que le gros de la meute, et qui s'en allât ; pour lors il envoyait l'arrêter jusqu'à ce que tous fussent ralliés. Il y a des chiens qui sentent la voie double, qui ne se donnent pas la peine d'aller jusqu'au bout du retour, qui abrégent par ce moyen, et s'en vont seuls. Mais pour faire de belles chasses il faut que tous les chiens soient ensemble, ils en chassent bien mieux et à plus grand bruit ; et jamais ne chassent si bien quand ils sentent la voie foulée par d'autres qui sont devant eux, cela les décourage. Le veneur étant bien à ses chiens, remarque quand le cerf est accompagné, les bons chiens balancent, les timides demeurent ; c'est pour lors qu'il doit les laisser faire, sans trop les échauffer, ni intimider, jusqu'à ce que le cerf soit séparé du change, ce qu'il remarquera à ses bons chiens qui renouvellent de gaieté, et crient bien mieux.

Si le cerf étant accompagné, pousse le change et fait un retour, les chiens qui ne sont point encore sages percent en avant, et emmenent les autres ; mais le veneur attentif au mouvement de ses chiens, observera que les bons chiens tâtent les branches, pissent contre, si on ne les anime pas trop, croyant que le cerf perce ; vous les verrez revenir chercher la voie de leur cerf. Pour lors il faut envoyer rompre les chiens qui s'en vont en avant après le change. Pendant ce temps vous retournez dans vos voies juste, jusqu'à ce qu'avec vos bons chiens vous ayez trouvé la voie, ou ayez relancé. Quand vos chiens sont bien juste dans le droit, vous les arrêtez pour attendre qu'on vous rallie ceux qui ont tourné au change ; et quand tout est bien rallié, vous laissez chasser vos chiens bien ensemble ; on les appuie ; on parle aux bons ; on sonne : cela fait la chasse belle, et accoutume les chiens à chasser ensemble, les rend obéissants, les fait sages, et les dresse. Les vieux et les bons apprennent aux jeunes, à bout de voie, à retourner dans les chemins, routes ou plaines ; à mettre le nez à terre pour être juste à la voie. Je dis que les vieux apprennent aux jeunes, c'est quand la meute est à bout de voie, les vieux retournent la chercher dans les chemins, mettent le nez à terre et crient, les jeunes vont à eux, apprennent que quand on est à bout de voie il faut retourner pour la retrouver, l'ayant Ve faire aux bons chiens, et dans les routes ou chemins qu'un cerf aura longé, les vieux s'en rabattent, chassent et crient, les jeunes mettent aussi le nez à terre, et s'accoutument à chasser dans tous les endroits, et se forment ainsi.

Il faut une distance convenable pour parler et appuyer les chiens, les tenir en obéissance, les faire chasser ensemble ; ne jamais attendre qu'ils soient trop éloignés ; il les faut tenir dans la justesse de vénerie ; ne les pas trop presser ; les appuyer à côté de la voie. Si les veneurs vont dans la voie du cerf, ils courent risque de passer sur le corps des derniers chiens, de les rouler et de les estropier (ce que j'ai Ve arriver) ; et les chiens qui viennent derrière dans la voie, ne chassent plus avec le même plaisir, sentant la voie foulée par les cavaliers.

Il faut observer que quand on découple la meute dans la voie du cerf, il y faut être bien juste ; car au-dessus ou au-dessous, les chiens s'en vont de fougue, sans voie, et attaquent tout ce qui leur part, et l'on a de la peine à les y remettre. Cela fait le commencement d'une vilaine chasse, les veneurs ne se doivent mettre à la queue de leurs chiens qu'après que le dernier sera découplé.

Ligniville dit qu'il a été plus de dix ans à avoir peu de plaisir à la chasse, pour trop mettre de jeunes chiens dans sa meute, et qu'il s'en revenait souvent sans rien prendre. Le temps, l'expérience et l'exercice lui ont dessillé les yeux ; depuis il n'en a mis que ce que la nécessité exige, et lesquels ont été mieux dressés et ajustés à ceux du petit nombre : la quantité nuit beaucoup.

Il en mettait tous les ans la sixième partie de sa meute ; dans une meute composée de 60 chiens, il en mettait 10 de la même taille, même race et même vitesse.

Il dit encore que pour forcer un cerf il fallait science de veneur et force de chiens ; qu'il ne faut pas laisser soustraire sa meute en donnant par trop ses chiens, sous espérance d'avoir force jeunesse à mettre au chenil ; ne jamais se défaire de la tête de la meute, ni des chiens de confiance : il faut peu de chose pour mettre une meute en désordre. Il faut l'âge, la vie, le soin et le travail d'un vrai bon veneur pour la rendre excellente.

Il ajoute qu'il faut exercer les chiens deux ou trois fois la semaine ; que ceux qui ont besoin de repos doivent être à la discrétion du veneur ; combien de jours de repos il leur faut pour être en corps raisonnable, pour avoir force, haleine et sentiment dans les chaleurs. S'ils sont par trop défaits, ils n'ont pas assez de force ; s'ils sont trop pleins, ils manquent d'haleine et de sentiment.

Des lices ouvertes pour en tirer race. Si vous voulez avoir de beaux chiens, dit Fouilloux, ch. VIIe ayez une bonne lice qui soit de bonne race, forte et proportionnée de ses membres, ayant les côtés et les flancs grands et larges. Pour la faire venir en chaleur ; prenez deux têtes d'aulx, un demi rognon du dehors d'un castor, avec du jus de cresson alénais, une douzaine de mouches cantharides ; faites bouillir le tout ensemble dans un pot tenant une pinte, avec de la chair de mouton, et faites-en boire deux ou trois fois en potage à la lice, elle deviendra en peu de temps en chaleur, et faites-en autant au chien pour le réchauffer ; il faut tâcher de la faire couvrir s'il est possible, dans le plein cours de la lune. Le même auteur prétend, que si l'on donne pendant neuf jours à une lice qui n'a point encore porté, neuf grains de poivre dans du fromage, elle ne deviendra point en chaleur. Dans toutes les portées, il y aura des chiens qui ressembleront à celui par lequel la lice aura été couverte la première fois ; si c'est un mâtin, levrier, basset, etc. toutes les portées en tiendront un peu. Il faut observer de donner à la lice un jeune chien, plutôt qu'un vieux ; les jeunes chiens en seront bien plus légers et plus vigoureux. Il ne faut pas baigner les lices dans le temps de leur chaleur, cela leur est contraire, leur glace le sang, leur donne des rhumatismes, des tranchées et autres maladies. Quand les lices sont pleines, il ne faut pas les mener à la chasse, mais les laisser en liberté dans une cour ; quand elles ont conçu, elles sont ennuyées, dégoutées ; il leur faut faire du potage, au-moins une fois le jour. Il ne faut pas faire couper une lice quand elle est en chaleur, elle serait en danger de mourir, et autant qu'il est possible, qu'elle n'ait point rapporté quand on la coupe : en le faisant, il faut prendre garde de couper les racines. Quinze jours après sa chaleur, elle est bonne à couper, quand même elle aurait été couverte, mais le plus sage est qu'elle ne l'ait point été. On ne doit tenir, selon Salnove, ch. XVe dans une meute de cinquante à soixante chiens, que cinq ou six lices ouvertes, que l'on appelle portières ; on ne doit s'en servir que pour porter des chiens. Elles doivent être choisies hautes, longues et larges de coffre, qu'elles soient de bonne et ancienne race, et de vrais chiens courants sans aucun défaut. Pour en être plus assuré, il faut que celui qui a le gouvernement des chiens tienne un état généalogique de tous ceux qui sont dans la meute, afin de mieux connaître les races ; savoir si dans les portées d'où elles sont, il n'y en a point qui tombent du haut-mal, ou qui soient sujets à la goutte, querelleurs, pillars, mécans, obstinés à la chasse, etc. et ne tirer race que de ceux où l'on ne connait aucun défaut. Avec ces précautions, on ne peut avoir que de beaux et de bons chiens. Pour faire devenir la lice en chaleur, on peut lui donner deux ou trois fois une omelette avec de l'huîle de noix, une demi douzaine d'œufs, et de la mie-de-pain de froment, à laquelle étant presque cuite, on ajoutera une douzaine de mouches cantharides ; et si c'est une lice qui n'ait jamais porté, on ne la provoquera point par ce moyen à la chaleur, qu'elle n'ait quatorze à quinze mois, âge où elle peut porter de beaux chiens et les nourrir. Néanmoins si elle devient plus tôt en chaleur d'inclination d'un mois ou deux, vous ne laisserez pas de la faire couvrir, et non pas devant qu'elle ait passé sa plus grande chaleur ; vous la tiendrez enfermée pour empêcher qu'elle ne soit couverte par d'autres chiens, que par celui que vous lui destinez.

Salnove est à cet égard du sentiment de Fouilloux ; il a remarqué que toutes les portées jusqu'à la troisième, tiennent de la première. Si vous avez la curiosité de conserver les couleurs de poils dans votre meute, il faut tenir la lice dans un endroit où elle ne voie que des chiens de la couleur que vous demandez. Il faut que sa plus grande chaleur soit passée pour la faire couvrir, afin qu'elle retienne mieux ; vous devez choisir l'un de vos meilleurs chiens, l'un des plus beaux, des mieux faits, des plus vigoureux, criant bien et de bonne race. Si c'est une lice qui n'ait jamais porté, il la faudra tenir avec un couple dont vous lui aurez bridé la gueule, pour l'empêcher de vous mordre vous et le chien, autrement elle aurait de la peine à souffrir celui-ci. Si l'un d'eux était ou plus petit, ou plus grand, il le faudrait soulager au besoin, en choisissant un lieu ou plus haut ou plus bas. Mais si c'est une lice qui ait déjà porté, il suffira que vous la fassiez enfermer avec le chien, faisant observer par la fente de la porte ou par une fenêtre, pour être assuré qu'elle est couverte, et il faut qu'elle le soit jusqu'à deux fois ; vous la tiendrez ensuite enfermée comme auparavant, jusqu'à ce qu'elle soit tout à fait refroidie ; vous jugerez qu'elle le sera, quand vous lui verrez le bouton entièrement retiré comme avant sa chaleur ; cela étant vous la remettrez avec les autres dans le chenil et la pourrez faire chasser, jusqu'à ce que ses mamelles grossissent et s'avalent ; mais avant cela, vous connoitrez qu'elle est pleine par la dureté du bout de la mamelle ; c'en est aussi une marque certaine si elle bat les chiens, et qu'elle ne puisse les souffrir. Lorsqu'elle sera avalée, vous la sortirez du chenil pour la mettre en liberté. Il la faut bien nourrir de potage et de lait, quand il en sera besoin lui donner du pain de froment, et non de seigle qui relâche ; si elle est dégoutée, donnez-lui du lait récemment tiré. Salnove, ch. XVe

Voici ce que Charles IX. dit sur le même sujet. Il faut être curieux de choisir une lice qui soit grande de corps, qui ait le coffre large, le jarret droit, le poil court et gros, sans être gras, qu'elle soit harpée, et ait l'échine large. Il faut que le chien qui doit la couvrir soit semblable, d'autant que les petits tiendront toujours du père et de la mère ; il faut aussi qu'ils aient le nez bon et soient vites. Après avoir choisi chiens et lices de pareille beauté et bonté, il faut les accoupler ensemble.

Pour faire entrer une lice en chaleur, afin d'en avoir plus promptement de la race, il faut la mettre et tenir avec des lices en chaleur, l'enfermer dans un tonneau qui soit barré afin qu'elle n'en puisse sortir ; il faut au-travers des barreaux lui montrer de petits chiens, les lui faire sentir ; si malgré tout cela elle ne devient point en chaleur, il faut faire couvrir d'autres lices devant elle, et alors elle ne tardera pas à être en chaleur. Quand elle y sera, il faut attendre qu'elle commence à se refroidir pour la faire couvrir, car dans sa grande chaleur, elle ne tiendrait pas ; il ne la faut faire couvrir que deux fais, et depuis qu'elle est couverte il la faut laisser en liberté, car la nature lui a bien donné le jugement, que pour conserver ce qu'elle a créé dedans son corps, elle se garde soigneusement ; vous diriez qu'elle est gouvernée par quelque raison ; jamais elle ne s'allonge et s'efforce de peur de se blesser ; si elle est obligée de passer par quelque endroit étroit et mal aisé, elle se ménage et se conserve fort curieusement. Pour la nourriture, si on lui donne son saoul à manger, elle ne se portera pas bien ; le bon traitement l'engraisserait de sorte qu'elle ne pourrait aisément faire ses petits, elle les rendrait morts ou en mauvais état ; au contraire, il n'y a point de danger de la tenir un peu maigre. Il ne faut pas lui donner de potage salé ni de viande crue, car cela la ferait avorter ; c'est pourquoi on ne donne jamais la curée aux lices pleines ; on reconnait qu'une lice l'est, quand les mamelles se nouent, le coffre s'élargit, et que le ventre s'abaisse ; cela ne s'aperçoit que quinze jours après qu'elle a été couverte.

M. de Ligniville s'étend peu sur cet article : voici ce qu'il en dit. Il demande que la lice ait le rable fort gros, la chair dure et les côtés ouverts, sans avoir le ventre avalé, les flancs larges qui proviennent des côtés ouverts, comme lévriers et tous chiens harpés qui en sont plus vites et ont plus de force et de reins que les autres. Il faut que le chien et la lice aient quatre qualités pour en tirer race. Ces qualités sont, un sentiment exquis, la voix belle, de la vitesse, et beaucoup de force.

M. de la Briffardière ne dit rien de plus. Les lices portent soixante-trois à quatre jours plus ou moins, et font jusqu'à douze petits ; ce qui n'est pas à souhaiter, car dans cette grande quantité ils ne sont jamais si beaux, si grands, si bien formés, que quand il y en a la moitié de moins.

L'on observe aujourd'hui une partie de ce qui est dit ci-dessus, pour le choix et les qualités du chien et de la lice. On laisse à la nature le soin de mettre cette dernière en chaleur : sitôt qu'elle y est, et que les chiens vont après, on la sépare ; et au bout de 12 jours, on lui donne le chien destiné pour la couvrir ; le surlendemain on la fait couvrir par le même chien une seconde fais. (Il y a bien des meutes où on ne les fait couvrir qu'une fais, et elles retiennent de même.) On laisse toujours un jour entre les deux couvertures ; on laisse aussi reposer le chien une chasse après qu'il a couvert la lice. Quand celle - ci parait pleine, on l'envoie au chenil destiné pour cela. On observe aussi de ne point faire couvrir une jeune lice à sa première chaleur ; on attend à la seconde ; elle est alors bien plus formée, et mieux en état de porter ; et les chiens qui en sortiront seront bien plus beaux et plus vigoureux. Il arrive aussi qu'une lice qui devient en chaleur à un an ou quinze mois, si elle est couverte et qu'elle ait une portée, cela l'effile, la rend faible et délicate pour toujours. Il ne faut pas faire couvrir les lices par de vieux chiens ; passés six ans ils n'y sont plus propres. On doit choisir le chien bien sain, surtout qu'il ne tombe point du haut mal ; ne pas lui faire couvrir trop jeune de lice ; à deux ans il est dans sa force ; avant ce temps, cela l'effilerait. Il faut laisser passer une chaleur après que la lice aura mis bas, avant de la faire recouvrir, afin qu'elle ait le temps de se rétablir.

Phoebus dit que les lices viennent en chaleur deux fois l'an, qu'elles n'y viennent que quand elles ont au-moins un an ; que leur chaleur dure vingt-un jours, quelquefois vingt-six ; que si on les baigne dans une rivière, elles seront moins de temps en chaleur ; ce qui, comme le remarque Fouilloux, leur est très-contraire ; qu'elles portent neuf semaines, etc.

Une lice coupée chasse toujours, et dure autant que deux lices ouvertes dont on tire des portées.

Si l'on veut faire couler une lice, il faut la faire jeuner un jour, et lui donner, mêlé avec de la graisse, le lait de tithymale ; toutesfais cela est périlleux, si les chiens sont formés. Le suc de sabine dans du lait donné le matin à jeun à la lice, pendant deux ou trois jours de suite, fait le même effet. On les fait couler aussi en leur donnant le matin du plomb à lièvre dans un verre d'huile.

Si l'on ne veut pas qu'une chienne nourrisse, on peut lui faire perdre le lait avec de l'eau de forge, dans laquelle les maréchaux éteignent le fer rouge et leurs outils, en lui frottant matin et soir le bout des mamelles avec cette eau pendant huit jours. J'en ai fait plusieurs fois l'expérience.

Du soin qu'on doit avoir des lices lorsqu'elles font leurs chiens, et quand elles les nourrissent, et des soins que demandent les petits. Quand on s'aperçoit (Charles IX. ch. xiij.) que la lice veut mettre bas, il faut que ceux qui en ont soin, soient attentifs à ce que les petits sortent les uns après les autres sans se serrer, jusqu'à ce que le dernier soit sorti. Or quand la lice est délivrée, il faut lui changer sa nourriture, lui en donner plus qu'auparavant et de meilleure, comme potages, viandes, et autres choses qui la peuvent engraisser et rétablir. Si elle a plus de chiens qu'elle n'en peut nourrir, il faut ne lui en laisser que trois, et donner les autres à d'autres chiennes qui aient des petits du même âge, surtout des lèvrettes, si l'on peut en avoir ; elles sont meilleures pour cela que les autres, pour deux raisons ; 1°. à cause de leur grandeur et force, ce qui fait qu'elles ont plus de lait que les chiennes plus petites, et plus d'étendue : de sorte que les petits sont plus à leur aise. 2°. c'est que les chiens qui en sont nourris retiennent la vitesse du levrier. Pour faire que lesdites lèvrettes ou autres chiennes, à qui l'on veut faire nourrir d'autres petits, ne fassent difficulté de les recevoir au lieu des leurs, il en faut tuer un et frotter de son sang ceux que vous mettez sous cette nourrice ; en les voyant ainsi couverts du sang du leur, elle les léchera, et les prendra comme si elle en était la vraie mère. (Aujourd'hui on n'est plus dans cet usage. On mêle avec les petits de la mâtine les étrangers qu'on veut qu'elle nourrisse ; on reste auprès, on les remue ensemble, afin qu'ils prennent l'odeur des siens qu'on lui ôte à mesure qu'elle s'accoutume avec les autres sans leur faire du mal.) Il y a des lices qui à force de lécher leurs petits, les mangent ; et si on le craint, il faut les emmuseler quand on les quitte, jusqu'à ce qu'on revienne auprès d'elles pour les faire manger. Ce danger n'est plus à craindre au bout de neuf jours. On doit laisser teter les petits pendant deux mois. Le lieu où l'on tient la lice tant qu'elle a ses petits, doit être chaud, sans feu ; si on peut les mettre au bout d'une écurie ou étable à vache, ils y seront bien surtout en hiver ; mais il faut leur faire faire une séparation avec des clayes, de peur que les animaux n'en approchent et ne les écrasent. Cette chaleur est douce et tempérée.

Les lices qui mettent bas au mois de Janvier, ont communément des chiens plus beaux que les autres, parce que tandis qu'il fait froid, ils demeurent toujours sous la mère qui les en garantit ; vient ensuite le printemps, etc.

Les petits chiens, dit Phoebus, naissent aveugles, et ne voient clair qu'au bout de neuf jours ; ils commencent à manger au bout d'un mois ; il faut ne les retirer de dessous leurs mères, qu'au bout de deux ; leur donner du lait de chèvre ou de vache avec de la mie de pain matin et soir ; pour le soir, on peut leur donner, à cause que la nuit est froide, de la mie de pain trempé avec du bon bouillon gras, et les nourrir ainsi jusqu'à ce qu'ils aient six mois ; alors leurs dents de lait étant tombées, on peut leur apprendre à manger du pain sec avec de l'eau peu à peu, car les chiens nourris de graisse et de soupe depuis les six premiers mois, sont de mauvaise garde, et n'ont pas aussi bonne haleine que quand ils vivent de pain et d'eau.

Il y a, au rapport de Fouilloux, ch. VIIIe des saisons où les petits chiens sont difficiles à élever. Ordinairement ils sont sans force et sans vigueur, quand ils naissent sur la fin d'Octobre, à cause de l'hiver qui commence à régner, et parce qu'alors les laitages dont on les nourrit n'ont pas une bonne qualité. Une autre mauvaise saison est en Juillet et Aout, à cause des grandes chaleurs, des mouches et des puces qui les tourmentent. La vraie saison est en Mars, Avril et Mai, que le temps est tempéré, que les chaleurs ne sont pas fortes, et que c'est le temps que la nature a marqué principalement pour la naissance des animaux sauvages, ainsi que des vaches, des chèvres, des moutons, etc. Si une lice met bas en hiver, il faut prendre un muid ou une pipe bien seche, la défoncer par un bout, puis mettre de la paille dedans ; coucher le muid ou pipe en quelque lieu où l'on fasse ordinairement bon feu, et mettre le bout défoncé du côté de la cheminée, afin qu'ils aient la chaleur du feu. Il faut que la mère soit bien nourrie de bons potages de viande de bœuf et de mouton, pendant qu'elle alaite. Quand les petits commenceront à manger, il faut les accoutumer au potage qu'on ne salera point, mais dans lequel on mettra beaucoup de sauge et d'autres herbes chaudes ; et si l'on voyait que le poil leur tombât, il faudrait les frotter d'huîle de noix et de miel mêlés ensemble, en les tenant proprement dans leur tonneau, et changeant leur paille tous les jours. Quand ils commenceront à marcher, il faut avoir un gros filet lassé à mailles de presse, et attaché avec un cercle au bout du tonneau, pour les empêcher de sortir, de peur qu'on ne leur marche sur le corps, et leur donner à manger souvent et assez dans leur tonneau. Ceux qui naissent en été, doivent être mis en lieu frais où les autres chiens n'aillent pas ; on doit mettre sous eux quelques clayes ou ais avec de la paille par-dessus qu'il faut changer souvent, de crainte que la fraicheur de la terre ne leur fasse du mal. Il faut les placer dans un endroit obscur pour qu'ils ne soient pas tourmentés des mouches ; on doit aussi les frotter deux fois la semaine au moins avec un mélange d'huîle de noix et de safran en poudre, ce qui fait mourir toutes sortes de vers, fortifie la peau et les nerfs des chiens, et empêche que les mouches, puces et punaises ne les tourmentent. On peut aussi frotter la lice de même, en y ajoutant du suc de cresson sauvage, de peur qu'elle ne porte des puces à ses petits : quand ceux-ci auront trois semaines, il leur faut ôter un nœud ou deux de la queue avec une pelle rouge sur une planche. Quand ils commenceront à boire et à manger, il leur faut donner du bon lait pur tout chaud, soit de vache, de chèvre ou de brebis. On ne doit les mettre aux villages qu'à deux mois pour plusieurs raisons, dont la première est que plus ils tetent, plus ils tiennent de la complexion et du naturel de la mère ; et ceux qui seront nourris par leur mère propre, seront toujours meilleurs. L'autre raison est que, si vous les séparez avant deux mois, ils seront frileux, étant accoutumés à être échauffés par la mère.

Les anciens ont prétendu qu'on connaissait les meilleurs chiens en les voyant teter ; que ceux qui tetent le plus près du cœur sont les plus vigoureux, parce que le sang est en cet endroit plus vif et plus délicat. D'autres ont dit les reconnaître dessous la gorge, à un certain signe du poil, en forme de poireau ; les bons en ont un nombre impair, les mauvais un nombre pair ; il y en a qui ont regardé deux ergotures aux jambes de derrière, comme un mauvais signe, une ou point comme une bonne marque. D'autres veulent que les chiens qui ont le palais noir soient bons ; que ceux qui l'ont rouge soient mauvais, et que s'ils ont les naseaux ouverts, cela prouve qu'ils sont de haut nez. Un auteur assure que pour connaître les meilleurs chiens d'une portée, il faut les ôter de dessous leur mère, et les éloigner de leur lit ; et que ceux qu'elle reprendra les premiers pour les y reporter, seront assurement les meilleurs. Quoi qu'il en sait, ceux qui ont les oreilles longues, larges et épaisses, le poil de dessous le ventre gros et rude sont les meilleurs ; Fouilloux assure l'avoir éprouvé.

Quand les petits chiens auront été nourris deux mois sous la mère, qu'on verra qu'ils mangeront bien, il les faut envoyer au village, en quelque lieu qui soit près des eaux, et loin des garennes. S'ils manquaient d'eau, quand ils viendraient en force, ils pourraient être sujets à la rage, parce que leur sang serait sec et ardent ; et s'ils étaient près des garennes, ils pourraient se rompre et s'éfiler après les lapins.

On doit les nourrir aux champs de laitage, de pain, et de toutes sortes de potages, cette nourriture leur est beaucoup meilleure que celle des boucheries, d'autant plus qu'ils ne sont point enfermés, et qu'ils sortent quand ils veulent, qu'ils apprennent le train de la chasse, mangent de l'herbe à leur volonté, s'accoutument au froid, à la pluye, en courant après les animaux privés nourris parmi eux. Au contraire, si on les nourrissait aux boucheries, le sang et la chair les échaufferaient tellement, que quand ils seraient grands dès les deux ou trois premières courses qu'ils feraient à la pluie, ils se morfondraient, deviendraient plutôt galeux, seraient sujets à la rage, et à courir après les animaux privés pour en manger le sang, sans apprendre ni à quêter, ni à chasser en aucune manière.

On doit retirer les petits chiens du village à dix mois, et les faire nourrir au chenil tous ensemble, afin qu'ils se connaissent et s'entendent. Il y a une grande différence entre une meute de chiens nourris ensemble et de même âge, et une de chiens amassés ; après que vous les aurez retirés au chenil, il leur faut pendre des billots de bois au col, pour leur apprendre à aller au couple.

Le pain qu'on leur donne, doit être un tiers d'orge, un tiers de seigle, et un tiers de froment ; ce mélange les entretient frais et gras, et les garantit de plusieurs maladies. Le seigle seul les relâcherait trop, le froment seul les constiperait ; en hiver on leur donnera des carnages, principalement à ceux qui sont maigres et qui courent le cerf, mais non à ceux qui courent le lièvre. Les meilleures chairs et celles qui les remettraient le plutôt sont celles de cheval, d'âne, de mulet. On peut mêler quelquefois un peu de soufre dans leur potage pour les échauffer.

Voici ce que dit à ce sujet Charles IX. c. xiv. et XVe après que les petits chiens ont tetté deux mois, il les faut tirer de dessous la mère, et les mettre dans un endroit où ils soient bien nourris de pain de gruau, lait et autres choses semblables, sans qu'ils en aient faute ; on doit les laisser en liberté dans la maison d'un laboureur ; et afin qu'ils s'accoutument au chaud et s'endurcissent les pieds, il faut que le laboureur qui les a en garde, les mène avec lui quand il Ve aux champs : jusqu'à l'âge de six mois ils ne pensent qu'à jouer ; mais quand ils entrent au septième, on ne doit point les perdre de vue, de peur qu'ils ne chassent les lapins, les lièvres, et autres animaux sauvages, ce qui ne peut leur servir de rien ; mais au-contraire ils s'éfilent, n'étant point encore assez formés.

Quand le laboureur les a nourris jusqu'à huit mois, comme il est dit ci-dessus, il faut qu'il les change de façon de vivre, et qu'il leur donne du pain tout sec, le meilleur qu'il peut trouver. Depuis cet âge jusqu'au bout de l'an qu'ils doivent demeurer chez lui, il est besoin qu'il leur attache des bâtons au col pour les apprendre à aller au couple, et qu'il les mène parmi le monde et les animaux, afin qu'ils ne soient point hagards quand ils entrent au chenil.

Dès que les chiens ont un an accompli, il est nécessaire de les tirer d'avec le laboureur, et s'il y a quelque gentilhomme qui ait une meute de chiens pour lièvres, on doit les lui donner, et laisser pour quatre mois, car il n'y a rien qui leur fasse sitôt le nez bon que de chasser avec de bons chiens ; ils apprennent à requêter, et d'autant que le sentiment d'un lièvre n'est si grand que celui du cerf, et qu'il ruse plus souvent, cela leur fait le sentiment meilleur, plus délié et plus subtil ; il faut que le gentilhomme les fasse chasser avec sa meute deux fois la semaine, qu'il les tienne sujets et obéissants, et pour ce faire, qu'il ait quelques valets de chiens à pied avec la gaule, qui les fassent tirer où ils entendent sonner. Il faut aussi ne jamais sonner à faute, c'est-à-dire, que la bête ne soit passée, ou que ce ne soit pour faire curée, car cela leur ferait perdre toute créance.

Tandis que le chien est chez le gentilhomme, on doit le nourrir de pain sec, et le bien traiter de la main, ce qui lui profite autant que toute autre nourriture : l'endroit où on le tient doit être souvent renouvellé de paille fraiche, et tenu proprement. Après qu'il aura demeuré quatre mois chez le gentilhomme, il l'en faut tirer et le mettre au chenil. Il n'appartient à nul de nommer chenil le lieu où l'on met les chiens, qu'à celui qui a meute royale de chiens, qui peut prendre le cerf en tout temps sans autre aide que de ses chiens.

Salnove, ch. XVIe dit à-peu-près la même chose sur les lices et les jeunes chiens ; seulement il ajoute qu'il faut mettre peu de paille les deux ou trois premiers jours après la délivrance de la lice, de peur que le trop ne fit étouffer les petits, et qu'on doit les changer tous les jours de paille pour les garantir des puces et de la galle ; que s'ils en étaient atteints, il faudrait les frotter d'huîle de noix et de lait chaud. Quand la lice est en travail, on doit lui donner du potage, du lait, et même des œufs frais ; s'il était long, lui faire avaler seulement les jaunes, retirer le premier chien de dessous elle, et ainsi des autres, de crainte qu'elle ne les étouffe pendant son travail. Pour la première portée, il faut demeurer près de la lice deux ou trois jours, afin d'empêcher qu'elle ne tue ses petits par imprudence ou par malice, ou qu'elle ne les mange ; car si elle prenait cette mauvaise habitude, il serait ensuite mal-aisé de l'en empêcher ; si cela arrivait, il faudrait la faire couper pour s'en servir à la chasse.

Pour les petits que vous mettez sous la mâtine, il faut observer ce qui est dit dans Charles IX. avoir un état bien en règle de la couverture, du nom du père et de la mère, du jour de leur naissance, du nombre des mâles, et de celui des femelles, afin que la race s'en connaisse à l'avenir, et aussi pour savoir quand il les faudra retirer de dessous la mère pour les sevrer, le temps qu'il les faudra faire nourrir chez le laboureur, quand il faudra les en retirer pour les mettre au chenil ; et quand on voudra en tirer race, vous en sachiez l'âge, ainsi que pour les faire couvrir à-propos, et qu'ils ne soient pour cela ni trop jeunes, ni trop vieux, ce qui ne doit être qu'à deux ans pour les mâles, plus tôt cela les affoiblirait ; et passé quatre ans ils feraient des chiens sans force et sans vigueur ; il faut donner aux petits chiens pendant cinq à six jours du lait sortant du pis de la vache, ou bien le faire chauffer, afin de leur empêcher les tranchées qui ne manqueraient pas de venir sans cette précaution, ce qui pourrait les faire maigrir. Lorsque vos petits auront un mois, vous leur donnerez deux fois le jour du lait, ou une fois seulement, avec un peu de mie de pain ; si les mères en ont assez d'ailleurs pour les tenir en bon état : sinon, vous les sevrerez à six semaines, après quoi il faudra les tenir encore un mois au-moins chez vous, pour les accoutumer à manger du potage de lait, que vous leur donnerez pour les rendre plus forts, avant que de les faire nourrir chez le laboureur.

Evérer ou énerver les chiens. Pour faire cette opération, il faut un rasoir ou un bistouri bien tranchant ; un poinçon fort aigu, ou une petite branche de bois en forme de fosset. On fait prendre le chien ou la chienne (car cette opération leur est commune) avec une couple, on lui ouvre la gueule, dans laquelle on passe un mouchoir qu'on tient des deux côtés pour la maintenir ouverte ; on prend la langue avec la main qui doit être enveloppée d'un mouchoir ; pour que la langue ne glisse point pendant l'opération, on la renverse pour voir et sentir un petit nerf long comme la moitié du petit doigt, et gros comme un ferret d'aiguillette, formé comme un ver, ayant les deux bouts pointus. C'est ce corps qui pique le chien lorsqu'il est ému par le sang qui bout dans ses veines lors de l'accès de la rage, de sorte qu'il croit qu'il sera soulagé toutes les fois qu'il appuyera ce nerf ou ver fortement contre quelque chose en la mordant. Ce nerf grossit en proportion de l'âge et de l'accès de la rage. Après avoir fait tirer la langue du chien, il la faut tendre le long de ce nerf seulement, pour y passer par-dessous le bout du poinçon, et l'ayant pris, vous l'enleverez en même temps avec assez de facilité, parce qu'il n'a aucune adhérence, après quoi vous laisserez aller le chien, qui se guérira de sa salive. On fait cette opération à l'âge de trois ou quatre mois ; elle prévient tout accident dans les meutes et les chenils, puisque les chiens auxquels on l'a faite, s'ils deviennent enragés, ne mordent jamais, et meurent de la rage, comme d'une autre maladie, cela peut aussi détourner le mal, ou du-moins le rendre plus facîle à guérir. Salnove, c. XVIIe

Phoebus faisait éverrer ses chiens courants.

Gaston de Foix dit qu'il faut ôter un ver que le chien a sous la langue, lui donner après du pain avec de la poudre de chélidoine, mêlés dans de la vieille graisse, ajoutant que cela est contre la rage quand un chien a été mordu. S'il y a plaie, il veut qu'on y applique de la feuille de rue, du sel, de la graisse de porc, le tout mêlé avec du miel. Claude Gaucher Damartinoy, aumônier de Charles IX. auteur d'un poème intitulé, les plaisirs des champs, dans le chapitre de la chasse, dit qu'il faut faire éverrer les chiens quand ils ont atteint quinze mois. Fouilloux sans rien dire de positif sur cela rapporte seulement que plusieurs ont prétendu que ce ver que les chiens ont sous la langue est la cause qui les fait devenir enragés, ce qu'il nie, quoiqu'on dise que le chien éverré est moins sujet à cette maladie. Quoi qu'il en sait, il ne rejette, ni n'approuve cette opération. Nous avons Ve ce que pense Salnove à ce sujet. M. de la Briffardière dans son nouveau traité de vénerie, p. 371, à l'occasion de la rage, dit que c'est une sage précaution d'énerver les chiens à qui il n'en arrive jamais aucun inconvénient. Elle est si utile, qu'on ne devrait jamais la négliger ; car jamais les chiens énervés ne courent, ni ne mordent quand ils sont enragés. On prétend même que les jeunes chiens en viennent mieux, et se tiennent plus gras.

On ne devrait donc jamais mettre des chiens dans des meutes, qu'ils n'eussent été auparavant éverrés. La meute du roi a été gouvernée par un veneur nommé la Quête, pendant quarante ans, et il n'est arrivé pendant ce temps aucun accident de rage dans la meute de sa majesté, parce qu'il n'y entrait aucun chien qu'il ne fit éverrer.

Depuis lui on a négligé cette opération, aussi voilà cinq fois que les deux meutes du cerf de S. M. ont été attaquées de la rage. Je me suis trouvé à un voyage de Saint-Leger en 1764, de service pour celui qui a la conduite de l'équipage. J'ai fait énerver toute la meute, qui était composée de 82 chiens et 11 limiers, avec l'approbation du commandant ; le temps nous apprendra quel en sera le résultat, et autant qu'il y aura des chiens à qui on n'aura pas fait l'opération, je la leur ferai faire, elle n'est suivie d'aucun fâcheux accident ; le chien énervé le matin, mange à l'ordinaire du pain le soir. On a toujours dit éverrer, quoique ce soit un nerf et non un ver que le chien a sous la langue. M. de la Briffardière nomme l'opération énerver, et ce doit être sa vraie dénomination.

Après l'opération, continue Salnove, vous mettrez vos chiens chez des laboureurs, qui seront en pays de froment et non de seigle, dont la nourriture ne vaut rien pour de jeunes chiens, parce qu'elle passe trop promptement, et ne nourrit pas assez, pour leur faire le rable large, et toutes les autres parties à-proportion, comme il faut que les chiens courants les aient pour être forts ; il ne faut pas non plus qu'ils soient près des forêts ou des garennes, en y chassant ils s'éfileraient ou se feraient prendre par des loups, ou même par des passants. Il faut donc que cette nourriture se fasse où il y ait des plaines, prairies ou pâturages, où l'on nourrisse des vaches, afin que le lait, qui est la principale nourriture des chiens à cet âge, ne leur manque pas. On récompensera le maître pour l'obliger à en nourrir d'autres avec le même soin. Salnove et Charles IX. recommandent, pour rendre les petits chiens plus beaux, de donner aux filles de quoi les rendre jolies. Mais surtout qu'on ne les fasse pas nourrir à des bouchers, cela les rend trop gras, trop faibles, trop pesans, et les accoutume tellement à la chair, que si on ne leur en donne souvent, ils deviennent maigres, sans vigueur, ne voulant pas la plupart du temps manger du pain.

Leur nourriture doit être jusqu'à sept mois, selon le même auteur, de pain de froment mêlé avec du lait, et ensuite de l'orge. L'eau et la paille fraiche ne doivent point leur manquer : à 10 ou 12 mois on les retire pour les mettre au chenil, les accoutumer avec les autres, et les rendre obéissants. Salnove condamne les billots ; selon lui la meilleure et plus sure méthode c'est, après avoir mis dans le chenil les jeunes chiens avec ceux qui sont dressés, de les mener à l'ébat avec eux deux fois le jour, coupler un jeune chien avec un vieux, après avoir choisi les plus doux, les plus patiens, les moins querelleurs, afin qu'ils les souffrent quelques jours se mouvoir et sauter autour d'eux sans les mordre ; et qu'il y ait des valets de chiens attentifs pour les déharder, les faire suivre et marcher avec les vieux, en les caressant de temps-en-temps, et lui démêlant les jambes qui se prennent dans les couples ; on continuera ainsi sept à huit jours. C'est le temps qu'il faut à un jeune chien pour aller au couple. Les valets des chiens de garde doivent être plus exacts et plus attentifs au chenil quand on a mis de jeunes chiens, jusqu'à ce qu'ils soient accoutumés avec les vieux.

Tout ce que Salnove dit dans ce chapitre des jeunes chiens mis au chenil est en usage aujourd'hui. Cet auteur blâme qu'on nomme, qu'on sonne au chenil. Fouilloux est d'un sentiment contraire. Je crois qu'il est nécessaire que les chiens connaissent la trompe pour se rallier, et pour y venir quand ils sont égarés.

Usage qui se pratique présentement pour élever les jeunes chiens. J'ai rapporté le précis de tous les sentiments des auteurs qui ont écrit sur la chasse en français, sur l'origine des chiens courants, leurs figures, celles des lices destinées pour rapporter, leurs couvertures ; quand elles mettent bas, les soins qu'on doit en prendre, la quantité de petits qu'on doit leur laisser pour les nourrir, du temps qu'on doit les laisser sous leurs mères, ce que l'on doit observer pour les sevrer, pour les accoutumer à manger, le temps qu'il faut les mettre à la campagne chez les laboureurs, celui de les retirer et de les mettre au chenil, et les accoutumer à aller aux couples.

Je vais donner l'usage qui se pratique aujourd'hui pour les meutes du roi.

Sa majesté Louis XV. a fait construire un chenil à Versailles pour les élèves des jeunes chiens ; la distribution des logements, chenils, cours, bassins, ne laisse rien à désirer pour toutes les commodités nécessaires, et chaque âge des jeunes chiens qui n'ont nulle communication les uns avec les autres.

Ce que je croirais à-propos, serait d'y joindre une basse-cour, et qu'il y eut des vaches et autres animaux pour plusieurs raisons. La première, c'est que les petits chiens que l'on accoutume à prendre du lait au bout de six semaines ou deux mois qu'ils ont tetté, l'auraient pur et tout chaud sortant du pis de la vache ; on serait sur qu'il n'aurait point été baptisé, comme est celui de la plupart des laitières qui l'apportent de la campagne, et qui mêlent celui du soir avec celui du matin. Une seconde raison est que dans l'écurie ou étable où seraient les animaux, je ferais faire au bout une séparation de claie, dans laquelle séparation il y aurait des petits compartiments de treillage pour y mettre les petits chiens de différents âges et leurs nourrices ; cette chaleur douce et naturelle se communiquerait à eux, et pour l'hiver cela ferait un très-bon effet ; ils ne maigriraient ni ne dépériraient point comme ils font la plupart, dans les froids qui leur sont très-contraires, rien n'étant plus frileux que les petits chiens, et on serait à portée de leur distribuer le lait avant qu'il eut le temps de se refroidir.

Quand ils commenceraient à se promener, je leur ferais voir les animaux en rentrant et en sortant, afin de les enhardir à tout, et qu'ils ne fussent ni hagars ni effrayés pour la moindre chose, comme ils le sont tous en sortant du chenil des élèves.

Nourriture des jeunes chiens. Le pain qu'on est dans l'usage à-présent de donner aux chiens du roi, est de farine d'orge ; je demanderais que pour celui qu'on donne aux petits chiens jusqu'à l'âge de six mois, on fit bluter la farine d'orge avec moitié farine de froment, afin qu'il n'y eut ni son ni paille dans le pain qu'on leur donnerait, pour qu'ils le mangeassent mieux, qu'ils ne trouvassent rien de rude ni piquant à leurs petites gueules et petits gosiers, et qu'ils eussent moins de crainte en mangeant ; je leur ferais mettre de la mie de ce pain dans du lait soir et matin, et pendant la journée toujours des petits morceaux de ce même pain dans quelque chose de propre et où ils pussent atteindre pour en manger quand ils auraient faim. Comme ces petits animaux ont l'estomac chaud, et que leur digestion se fait promptement, ils ne souffriraient pas la faim si longtemps, et quand on leur donnerait à manger leur pain trempé dans du lait, ils le mangeraient moins avidement, et n'en prendraient pas à se faire devenir le ventre comme des tambours : ce qui est bien contraire à un chien courant. Salnove dit qu'on leur donnait autrefois du pain de froment avec du lait jusqu'à sept mois. Je leur donnerais donc, comme il a été dit, le matin, du pain trempé dans le lait, dans la journée, du pain à ceux qui auraient faim, et le soir, si l'on veut, au lieu de lait avec du pain, je leur donnerais de la mouée. Cette mouée, comme elle se fait aujourd'hui, n'était point en usage autrefois : c'est une très-bonne nourriture ; on la fait avec les issues de bœuf, c'est-à-dire, pieds, cœur, mou, foie, rate et pance bien lavés et bien nettoyés ; on les fait cuire ; on trempe du pain dans le bouillon, et la viande est coupée par petits morceaux, qu'on mêle avec le pain trempé : ce qui fait un mélange très-nourrissant. On proportionne la quantité d'issues de bœuf au nombre de chiens qui doivent en manger ; pour vingt grands chiens il faut une issue ; ainsi on peut se régler sur la quantité de grands et de petits chiens ; il faut la donner à une chaleur modérée, c'est-à-dire, qu'on y puisse souffrir le doigt sans se bruler, et la faire manger aux petits chiens le soir : cela les soutiendra mieux que le lait et le pain pour leurs nuits qui sont souvent froides et longues.

On doit continuer cette nourriture jusqu'à six mois qu'il faut commencer à leur faire manger du pain tel qu'on le donne aux autres chiens de la meute, leur donner pendant quelque temps une fois de la mouée par jour, la leur diminuer peu-à-peu et les accoutumer à ne manger que du pain, afin que quand on les met dans le chenil avec les autres, ils y soient faits, et n'y maigrissent point. Quand on leur ferait manger de temps-en-temps de la chair de cheval crue, surtout dans l'hiver, depuis six mois jusqu'à un an, cela ne peut faire qu'un bon effet ; il faut observer, si on leur donne de cette viande, que l'animal ne soit mort que de mal forcé, comme tours de reins, jambe cassée et autres accidents qui font tuer les chevaux sans être malades.

Il y a des exemples à rapporter sur cela : la plupart des chiens anglais ne sont nourris que de chair de cheval ; nous avons eu dans la meute du roi des chiens d'un nommé Maisoncelle, qui élevait des jeunes chiens aux environs de Paris ; il ne les nourrissait que de chair de cheval ; nous n'avons point eu de chiens français plus vigoureux ; ils avaient 26 pouces, et étaient très-beaux. M. le duc de Gramont avait un équipage avec lequel il chassait le cerf et le chevreuil ; il ne faisait vivre ses chiens que de chevaux morts ; à la réforme de son équipage on en a mis environ une douzaine dans la meute du roi, qui étaient très-bons et vigoureux.

A un an on les doit mettre au chenil : c'est l'âge pour les accoutumer avec les autres à aller aux couples ; pour les y faire peu-à-peu, il faut d'abord les mettre avec des vieux chiens doux et sages, les mâles avec les lices, et les lices avec des mâles, les accoutumer à manger le pain sec avec les autres, à faire les curées, à apprendre leurs noms et l'obéissance, connaître les valets de chiens et la trompe. A quinze mois on fait chasser les lices, et à dix-huit les mâles : c'est l'usage qui est observé dans la vénerie du roi. Quand on les mène à la chasse les premières fais, ils vont couplés avec les autres aux brisées ; un valet de chiens les prend à la harde, à laquelle il ne doit y en avoir que six pour pouvoir les mener plus aisément ; il se promene pendant la chasse ; s'il la voit passer, il se met sur la voie, afin de donner de l'émulation aux jeunes chiens en leur faisant voir passer et crier les autres, et tâcher de se trouver à la mort d'un cerf pour les faire fouler ; à la seconde chasse, si celui qui en est chargé peut se trouver à la fin d'un cerf qui ne doive pas durer longtemps, il peut les découpler, après en avoir demandé la permission à ceux qui peuvent la lui donner, et à la mort du cerf les laisser fouler ; et quand on dépouillerait un peu du col, leur laisser manger de la venaison toute chaude : c'est une petite curée qui doit faire un très-bon effet ; aux chasses suivantes, on les peut découpler avec les autres, et avoir soin que les valets de chiens à pied les reprennent quand on les verra trainer derrière les autres ou dans les routes. Si l'on veut courre un second cerf, il faut les faire recoupler et renvoyer au logis, et observer cela jusqu'à ce qu'ils aient atteint toute leur force, qui est à deux ans ; sans cela si on les laisse chasser tout le jour, et un second cerf, l'ambition des jeunes chiens étant de suivre les autres, quand on donne un relais frais, ils ne peuvent plus atteindre, ils s'efforcent, s'effilent, maigrissent, ont de la peine à prendre le dessus, et souvent ne reviennent point, périssent de maigreur, et ne peuvent plus prendre de force.

Jeunes chiens dans la meute pour les mener à la chasse. Quand on met une grande quantité de jeunes chiens dans la meute, et que l'âge exige de les faire chasser, on peut en mettre deux à chaque relais de ceux qui ont déjà été à la chasse et découplés jusqu'à ce qu'ils aient pris assez d'haleine et de force pour suivre les autres ; sur seize à vingt chiens qu'il y a ordinairement à chaque relais, les deux jeunes chiens ne peuvent y faire aucun tort ; les vieux les maitriseront toujours ; si la chasse prenait un parti contraire au relais, et qu'on l'envoyât chercher, on fait deharder le relais, afin qu'ils aillent plus à leur aise deux-à-deux qu'à la harde ; on les emmene au petit galop ; le valet de chien à pied doit prendre les deux jeunes qui avaient été mis au relais, les mener doucement, et les faire boire quand ils trouvent de l'eau ; s'il rejoint la chasse, et qu'elle aille bien, il les découplera, afin qu'ils chassent avec les autres.

Il serait à-propos de les promener dans les forêts où l'on veut les faire chasser, pour qu'ils apprennent à connaître les chemins, afin que quand ils se trouveraient égarés et seuls, ils reconnussent les routes pour revenir au chenil, et cela plusieurs fois avant de les découpler, et changer de promenade chaque fais, pour leur apprendre à connaître tous les cantons de la forêt.

La meute de S. M. Louis XV était composée de cent quarante chiens ; en 1764, le roi en a réduit le nombre à cent. L'on mène ordinairement cent ou quatre-vingt-dix chiens à la chasse partagés en quatre parties ; les chiens de meute qui sont les plus jeunes et les plus vigoureux sont découplés les premiers au nombre de 40 à 50 ; les trois autres relais sont composés du reste. A mesure qu'un chien de meute se fait sage, il est descendu à la vieille meute ; ceux de la vieille meute qui baissent un peu de vigueur et de vitesse, sont mis à la seconde vieille meute ; et quand ceux-ci baissent, ils sont descendus de même aux six chiens, qui sont le troisième et dernier relais ; les trois relais sont ordinairement de dix-huit à vingt chiens chacun, menés par un valet de chiens à cheval, et un à pied, qui ont à leur harde huit à dix chiens, et l'on n'en peut pas mener davantage ; (quand il n'y en aurait que huit à chaque harde, cela n'en ferait que mieux quand il faut avancer, et surtout au galop, ce qui arrive assez souvent) en les tenant, le grand nombre les gêne beaucoup ; ainsi, il reste toujours environ quarante à cinquante chiens au chenil les jours de chasse ; ce sont les lices en chaleur, celles qui sont pleines, les malades, les maigres, les boiteux et les fatigués de la dernière chasse, cela fait que le nombre est toujours à-peu-près égal à la chasse ; pour cela on a réglé tous les relais sur la liste au nombre de vingt-quatre, pour que chaque relais se trouve rempli du nombre ci-dessus ; quand même ils se trouveraient tous en état, l'on n'en mène pas davantage à chaque relais pour la raison déjà dite.

Maladies et mort des chiens en l'année 1763. En 1763, le nombre des chiens qu'on menait à la chasse diminua bien par la maladie épidémique qui s'est jetée sur les chiens dans toute l'Europe, et dont la plus grande partie sont morts ; on a été réduit dans la grande meute du roi à ne mener à la chasse que quarante à cinquante chiens au plus : cette maladie a commencé en Angleterre, est venue en France, en Piémont, en Italie, en Allemagne, et dans presque toutes les provinces du royaume. Toutes les meutes du roi, des princes, seigneurs et gentilshommes en ont été attaquées, et la plupart sont morts ; les chiens de basse-cour, de meuniers, bouchers, bergers et de chambre n'en ont pas été exempts.

Les limiers de la grande et petite meute du roi, sont presque tous morts ; on a été obligé, les jours de chasse, d'aller chercher à voir un cerf ; les piqueurs et valets de limiers allaient à cheval parcourir dans les endroits où le roi voulait courre, ils cherchaient à voir un cerf quelques moments avant l'heure d'attaquer, et en venaient faire le rapport ; on y allait avec ce qu'il y avait de chiens de meute au nombre de dix à douze qui s'étaient découplés, et autant à chacun des trois relais ; S. M. était obligée de chasser avec ce petit nombre.

L'on n'a pas encore pu trouver de remède à ce malheureux mal ; on en essaie tous les jours de nouveaux sans qu'on puisse trouver le véritable : la moitié des chiens des meutes du roi sont morts de cette maladie.

Les chasses que l'on fait avec ce petit nombre de chiens sont des plus belles ; en voilà plusieurs où tout le nombre des chiens menés à la chasse se trouvent à la mort du cerf, qui se monte depuis quarante jusqu'à soixante chiens, des chasses plus, et d'autres moins.

Le grand nombre de chiens ne fait pas faire de plus belles chasses, au contraire, quand on attaque plusieurs cerfs ensemble avec quarante à cinquante chiens de meute, que cela se sépare en quatre ou cinq parties, on cherche l'occasion d'en trouver un séparé seul pour y faire découpler la vieille meute, mais cela n'empêche pas les autres chiens de chasser séparément ; on fait ce qu'on peut pour les rompre et les enlever, ils en entendent d'autres, ils échappent et y vont ; plusieurs cerfs se trouvent échauffés ensemble, les voies se croisent, les chiens tournent au plus près d'eux ; si ce n'est pas le cerf à quoi ils ont tourné qu'on veut chasser, on rompt les chiens, pendant ce temps quelques chiens forlongent le cerf, on remet les autres sur la voie qui est foulée par ceux qui sont en avant ; ils chassent mollement, la plupart de l'équipage est dispersé, et cela fait faire de très-mauvaises chasses.

Je serais du sentiment de M. de Ligniville, de n'avoir à la chasse que soixante à soixante et dix chiens, vingt à vingt-deux de meute, et seize à chacun des trois relais ; quand les chiens de meute se sépareraient, le nombre étant moindre, il serait bien plus aisé de les arrêter et de les rallier à la voie du cerf qu'on veut chasser, et de les accoutumer à l'obéissance, ce qui ferait faire toujours de bien plus belles chasses ; les veneurs et les chiens seraient bien plus ensemble, et l'amusement du maître plus complet. Je suivrais encore le conseil de M. de Ligniville, de ne pas mettre un trop grand nombre de jeunes chiens à la fois dans la meute ; il n'en mettait par an que la sixième partie du nombre dont sa meute était composée. Il dit les inconvénients du grand nombre ; il faut faire réformer tous les chiens inutiles, comme les vieux qui ne peuvent plus tenir avec les autres, ceux qui au bout de six mois ne veulent point chasser, et ceux qui sont lourds, épais et mal faits ; je ne voudrais que des chiens qui chassassent bien ensemble, et autant qu'il serait possible qui fussent du même pied, criant bien ; c'est un bel ornement à la chasse qu'un beau bruit de chiens.

On pourrait garder six ou huit chiens avec les vieux qui ne peuvent plus tenir comme les autres, ceux qui sont lourds, épais, pour en faire une harde qui servirait pour fouler l'enceinte où on ferait rapport, et faire partir le cerf.

Si l'on mène le nombre de soixante-dix chiens à la chasse, et comme il est dit ci-dessus, qu'il faille encore trouver six chiens de la meute pour fouler l'enceinte, il est aisé d'en prendre le nombre sur les chiens de meute et ceux de relais ; qu'il y en ait dixhuit ou vingt de meute pour découpler dans la voie du cerf que les vieux chiens auront lancé, il y en aura assez pour soutenir jusqu'à la vieille meute, dans les deux bas relais ; quand il n'y en aurait que quatorze, cela fait très-peu de différence ; c'est celui qui a le détail de l'équipage qui doit arranger le plus ou le moins suivant l'état de la meute de chaque chasse ; mais dans les sécheresses, les refuites des cerfs dans des plaines et terres labourées, il se trouvera quelquefois la moitié de la meute dessolée ; la chasse d'après ces chiens-là ne peuvent y aller, il faut quinze à vingt jours pour que la peau de dessous les pieds soit assez revenue et ferme pour qu'on les puisse mener à la chasse ; si la chasse d'après il s'en trouve encore un certain nombre de dessolés, il en reste peu pour la troisième chasse ; en cela on mène ce qu'on peut ; quand le nombre serait réduit à quarante, cela n'empêcherait pas de chasser : on doit faire force usage de restrainctif, dont il sera parlé aux remèdes des maladies des chiens.

Nous croirions faire un larcin à l'Encyclopédie si nous n'insérions dans cet article le précis des idées de M. de Buffon sur le chien, le cerf, et la chasse ; nous nous permettrons aussi de remarquer quelques inadvertances qui ont échappé à cet illustre écrivain.

Les chiennes produisent six, sept, et quelquefois jusqu'à douze petits ; elles portent neuf semaines. La vie des chiens est bornée à quatorze ou quinze ans, quoiqu'on en ait gardé quelques-uns jusqu'à vingt. La durée de la vie est dans le chien, comme dans les autres animaux, proportionnelle au temps de l'accroissement ; il est deux ans à croitre, il vit aussi sept fois deux ans ; l'on peut connaître son âge par les dents, qui dans la jeunesse sont blanches, tranchantes, et pointues, et qui à mesure qu'il vieillit deviennent noires, mousses, et inégales ; on le connait aussi par le poil, car il blanchit sur le museau, sur le front, et autour des yeux.

Le chien, lorsqu'il vient de naître, n'est pas encore entièrement achevé. Les chiens naissent communément les yeux fermés ; les deux paupières ne sont pas simplement collées, mais adhérentes par une membrane qui se déchire lorsque le muscle de la paupière supérieure est devenu assez fort pour la relever et vaincre cet obstacle, et la plupart des chiens n'ont les yeux ouverts qu'au dixième ou douzième jour. Dans ce même temps les os du crâne ne sont pas achevés, le corps est bouffi, le museau gonflé, et leur forme n'est pas encore bien dessinée ; mais en moins d'un mois ils apprennent à faire usage de tous leurs sens, et prennent ensuite de la force, et un prompt accroissement. Au quatrième mois ils perdent quelques-unes de leurs dents, qui, comme dans les autres animaux, sont bien-tôt remplacées par d'autres qui ne tombent plus ; ils en ont en tout quarante-deux ; savoir six incisives en haut et six en bas, deux canines en haut et deux en bas, quatorze machelières en haut et douze en bas ; mais cela n'est pas constant, et il se trouve des chiens qui ont plus ou moins de dents machelières. Dans ce premier âge les mâles comme les femelles s'accroupissent pour pisser, ce n'est qu'à neuf ou dix mois que les mâles et quelques femelles commencent à lever la cuisse, et c'est dans ce même temps qu'ils commencent à être en état d'engendrer.

Les chiens présentent quelque chose de remarquable dans leur structure ; ils n'ont point de clavicules, et ont un os dans la verge ; leur mâchoire est armée d'une quarantaine de dents, dont quatre canines sont remarquables par leurs pointes et leur longueur, que l'on observe de même dans le lion et plusieurs autres animaux carnassiers. On reconnait la jeunesse des chiens à la blancheur de leurs dents, qui jaunissent et s'émoussent à mesure que l'animal vieillit, et surtout à des poils blanchâtres qui commencent à paraitre sur le museau : la durée ordinaire de la vie des chiens est environ de quatorze ans ; cependant on a Ve un barbet vivre jusqu'à l'âge de dix-sept ans, mais il était décrépit, sourd, presque muet, et aveugle.

Les mâles s'accouplent en tout temps ; la chaleur des femelles dure environ quatorze jours ; elles ne souffrent l'approche du mâle que vers la fin de ce temps, et elles entrent en chaleur deux fois par an. Le mâle et la femelle sont liés et retenus dans l'accouplement par un effet de leur conformation et par le gonflement des parties ; ils se séparent d'eux-mêmes après un certain temps, mais on ne peut les séparer de force sans les blesser, surtout la femelle. Celle-ci a dix mamelles, elle porte cinq à six petits à-la-fais, quelquefois davantage (on en a Ve en avoir jusqu'à douze et quatorze) ; le temps de sa portée dure deux mois et deux ou trois jours : on dit qu'elle coupe avec ses dents le cordon ombilical et qu'elle mange l'arrierefaix : le nouveau-né s'appelle petit chien.

Les yeux de ces petits animaux ne commencent à s'ouvrir qu'au bout de quelques jours. La mère leche sans cesse ses petits et avale leur urine et leurs excréments pour qu'il n'y ait aucune odeur dans son lit ; quand on lui enlève ses petits elle Ve les chercher et les prend à sa gueule avec beaucoup de précaution ; on prétend qu'elle commence toujours par le meilleur, et qu'elle détermine ainsi le choix des chasseurs, qui le gardent préférablement aux autres.

On ne peut réfléchir sans admiration sur la force digestive de l'estomac des chiens ; les os y sont ramollis et digérés, le suc nourricier en est extrait. Quoique l'estomac des chiens paraisse assez s'accommoder de toutes sortes d'aliments, il est rare de leur voir manger des végétaux cruds ; lorsqu'ils se sentent malades ils broutent des feuilles de gramen, qui les font vomir et les guérissent. Les crottes ou excréments que rendent ces animaux sont blanchâtres, surtout lorsqu'ils ont mangé des os ; ces excréments blancs sont nommés par les Apothicaires magnésie animale ou album graecum ; et la Médecine qui ne se pique pas de satisfaire le goût par ses préparations, se l'est approprié comme médicament : cependant on est revenu, à ce qu'il parait, de l'usage de cette substance prise intérieurement pour la pleurésie, on en fait tout-au-plus usage à l'extérieur dans l'esquinancie, comme contenant un sel ammoniacal nitreux. On prétend que ces excréments sont si âcres, qu'ils détruisent entiérement les plantes, excepté la renouée, le polygonum, et le sophia des Chirurgiens, et que leur causticité est telle qu'aucun insecte ne s'y attache.

Tout le monde a remarqué que lorsqu'un chien veut se reposer, il fait un tour ou deux en pivotant sur le même lieu. Les chiens ont mille autres petites allures distinctes qui frappent trop les yeux de tout le monde pour que nous en parlions. L'attachement que quelques personnes ont pour cet animal Ve jusqu'à la folie. Les Mahométans ont dans leurs principales villes des hôpitaux pour les chiens infirmes, et Tournefort assure qu'on leur laisse des pensions en mourant, et qu'on paye des gens pour exécuter les intentions du testateur. Il arrive quelquefois aux chiens de rêver en dormant : ils remuent alors les jambes et abaient sourdement.

Quelques auteurs prétendent que les chiens contractent les maladies des personnes avec qui on les fait coucher, et que c'est même un excellent moyen de guérir les goutteux ; mais comme un homme qui prend la maladie d'un autre ne le soulage pas pour cela, il y a toute apparence qu'un malade ne peut recevoir de soulagement d'un chien qu'on lui applique, que dans le cas où la chaleur de l'animal attaquerait la maladie, en ouvrant les pores, en facilitant la transpiration, et en donnant issue à la matière morbifique. Quoi qu'il en sait, comme les chiens, en léchant les plaies qu'ils ont reçues, les détergent et en hâtent la consolidation, on a Ve des personnes guéries avec succès, de plaies et d'ulcères invétérés, en les faisant lécher par des chiens. C'était la méthode de guérir d'un homme que l'on a Ve longtemps à Paris, et que l'on nommait le médecin de Chaudrai, du lieu où il faisait son séjour.

Rage. De tous les animaux que nous connaissons, les chiens sont les plus sujets à la rage ou hydrophobie, maladie causée à ces animaux par la disette de boire et de manger pendant plusieurs jours, ou quelquefois par la mauvaise qualité de matières corrompues dont ils se nourrissent assez souvent (suivant M. Mead, médecin anglais), ou encore par le défaut d'une abondante transpiration, après avoir longtemps couru. Cette maladie terrible rend le chien furieux, il s'élance indifféremment sur les hommes et sur les animaux, il les mord, et sa morsure leur cause la même maladie, si on n'y porte un prompt remède. Cette maladie gagne d'abord les parties du corps les plus humides, telle que la bouche, la gorge, l'estomac ; elle y cause une ardeur, un déssechement, et une irritation si grande, que le malade tombe dans une aliénation de raison, dans des convulsions, dans une horreur et une appréhension terrible de tout ce qui est liquide : aussi ne faut-il pas s'étonner si les animaux, ainsi que les hommes, dans cet état de fureur, ont une aversion insoutenable pour l'eau. Cet effet, ainsi qu'on l'apprend des malades, dépend de l'impossibilité où ils sont d'avaler les liquides : car toutes les fois qu'ils font effort pour le faire, il leur monte alors, à ce qui leur semble, quelque chose subitement dans la gorge qui s'oppose à la descente du fluide. Les symptômes de cette maladie sont des plus terribles, et malheureusement les remèdes connus ne font pas toujours des effets certains. On emploie le plus communément les bains froids et les immersions dans la mer, quelquefois sans succès : on a imaginé aussi de faire usage de la pommade mercurielle qui, à ce qu'il parait, n'est pas non plus toujours infaillible. Comme cette maladie parait être vraiment spasmodique, on y a employé avec succès les calmants, tels que l'opium et les antispasmodiques ; ainsi qu'on le voit dans la dissertation du docteur Nugent, médecin à Bath. Lemery conseille en pareil cas, l'usage fréquent des sels volatils, etc.

Comme il arrive souvent dans plusieurs maladies des hommes, que la crainte et l'inquiétude influent plus sur un malade que le mal réel, M. Petit, chirurgien, offre dans l'histoire de l'académie, an. 1723. un expédient pour savoir si le chien dont on a été mordu, et que l'on suppose tué depuis, était enragé ou non ; il faut, dit-il, frotter la gueule, les dents, et les gencives du chien mort, avec un morceau de chair cuite que l'on présente ensuite à un chien vivant ; s'il le refuse en criant et hurlant, le mort était enragé, pourvu cependant qu'il n'y eut point de sang à sa gueule ; si la viande a été bien reçue et mangée, il n'y a rien à craindre.

Les chiens sont encore sujets à plusieurs autres maladies.

Dans l'Amérique méridionale les chiens sont attaqués d'une espèce de maladie vénérienne qui ressemble à la petite vérole. Les habitants du pays l'appellent peste.

Le chien courant que M. de Buffon a fait dessiner, a été choisi par M. de Dampierre, qui a autant de connaissance que de goût dans tout ce qui concerne la chasse.

Les chiens courants ont le museau aussi long et plus gros que celui des mâtins ; la tête est grosse et ronde, les oreilles sont larges et pendantes, les jambes longues et charnues, le corps est gros et allongé, la queue s'élève en-haut et se recourbe en-avant, le poil est court et à-peu-près de la même longueur sur tout le corps, les chiens courants sont blancs ou ont des taches noires ou fauves sur un fond blanc.

Il y en a de trois sortes : savoir, les chiens français, les chiens normands ou baubis, et les chiens anglais.

Description du chien courant. Il faut que les chiens courants français aient les naseaux ouverts, le corps peu allongé de la tête à la queue, la tête légère et nerveuse, le museau pointu ; l'oeil grand, élevé, net, luisant, plein de feu ; l'oreille grande, souple et pendante ; le col long, rond et flexible ; la poitrine étroite sans être serrée, les épaules légères, la jambe ronde, droite et bien formée ; les côtés forts, le rein court, haut, large, nerveux, peu charnu ; le ventre avalé, (c'est un défaut qu'on n'a pas fait remarquer à M. de Buffon ; il ne doit être ni trop retroussé, ni trop avalé, il faut un milieu) ; la cuisse ronde et détachée, le flanc sec et décharné, le jarret court et large, la queue forte à son origine, velue (il la faut à poil ras), longue, déliée, mobile, sans poil à l'extrémité ; le poil du ventre rude, la patte seche, peu allongée, et l'ongle gros, etc. Les chiens normants ou baubis ont le corsage plus épais, la tête plus courte, et les oreilles moins longues. Les chiens anglais ont la tête plus menue, le museau plus long et plus effilé, le corsage, les oreilles et les jarrets plus courts ; la taille plus légère, et les pieds mieux faits : ceux de la race pure sont ordinairement de poil gris moucheté.

Le chien qu'on a presenté à M. de Buffon à l'équipage du daim, pour le faire dessiner pour un limier, n'est pas assez beau ; il le nomme bien un metis de race de basset et de mâtin ; il y en avait à la vénerie de bien plus beaux et de vraie race de limiers de Normandie, qui auraient mieux rempli son objet.

Chiens de Calabre. Ces chiens sont très-grands parce qu'ils viennent de très-grands danois mêlés avec de grands épagneuls ; il y a quelques années qu'on en fit peindre à Versailles deux très-beaux, de la haute taille du danois, fort courageux, et très-ardents à la chasse du loup ; ils participaient des caractères des danois et des épagneuls pour la forme du corps et pour le poil ; les chiens ont cinq doigts y compris l'ongle, qui est un peu au-dessus du pied en-dedans, et que M. de Buffon compte pour le pouce. Le chien courant que M. de Buffon a fait dessiner, avait deux pieds neuf pouces, depuis le bout du nez jusqu'à l'anus.

Hauteur du train de devant, 1 pied 9 pouces 9 lig.

Hauteur du train de derrière, 1 pied 10 pouces.

Longueur des oreilles, 6 pouces 6 lignes.

Les chiens passent pour avoir dix mamelles, cinq de chaque côté, savoir quatre sur la poitrine, et six sur le ventre.

Les chiens ont neuf vraies côtes, trois de chaque côté, et quatre fausses.

Les vertèbres de la queue du chien sont au nombre de vingt.

M. de Buffon ne dit rien du ver que les chiens ont sous la langue, ni de l'opération de couper les lices, et de ce qu'on leur ôte pour empêcher la génération, soit testicules ou autres choses, on leur ôte deux petites glandes.

Il y a dans les mémoires de l'académie des Sciences, l'histoire d'une chienne qui ayant été oubliée dans une maison de campagne, a vécu quarante jours sans autre nourriture que l'étoffe ou la laine d'un matelat qu'elle avait déchiré.

Epreuve de M. de Buffon. Il éleva une louve prise à l'âge de deux mois dans la forêt ; il l'enferma dans une cour avec un jeune chien du même âge ; ils ne connaissaient l'un et l'autre aucun individu de leur espèce ; la première année ces jeunes animaux jouaient perpétuellement ensemble, et paraissaient s'aimer. A la seconde année ils commencèrent à se disputer la nourriture et à se donner quelques coups de dents ; la querelle commençait toujours par la louve. A la fin de la troisième année ces animaux commencèrent à sentir les impressions du rut, mais sans amour : car loin que cet état les adoucit ou les rapprochât l'un de l'autre, ils devinrent plus féroces, ils maigrirent tous deux, et le chien tua enfin la louve, qui était devenue la plus faible et la plus maigre.

M. de Ligniville a fait une expérience pareille, mais qui a mieux réussi, puisqu'il en est sorti des chiens, mais qui ne valaient rien pour la chasse.

Dans le même temps M. de Buffon fit enfermer avec une chienne en chaleur, un renard que l'on avait pris au piege. Ces animaux n'eurent pas la moindre querelle ensemble ; le renard s'approchait même assez familièrement, mais dès qu'il avait flairé de trop près sa compagne, le signe du désir disparaissait, et il s'en retournait tristement dans sa hutte. Lorsque la chaleur de cette chienne fut passée, on lui en substitua jusqu'à trois autres successivement, pour lesquelles il eut la même douceur, mais la même indifférence : enfin on lui amena une femelle de son espèce qu'il couvrit dès le même jour.

On peut donc conclure de ces épreuves faites d'après la nature, que le renard et le loup sont des espèces non-seulement différentes du chien, mais séparées et assez éloignées pour ne pouvoir les rapprocher, du moins dans ces climats.

Xénophon dit qu'il avait des chiens qu'il nommait renardiers en espèce.

Le cerf. M. de Buffon, tom. XI. p. 85. Voici l'un des animaux innocens, doux et tranquilles qui ne semblent être faits que pour embellir, animer la solitude des forêts, et occuper loin de nous les retraites paisibles de ces jardins de la nature. Sa forme élégante et légère, sa taille aussi svelte que bien prise, ses membres flexibles et nerveux, sa tête parée plutôt qu'armée d'un bois vivant, et qui, comme la cime des arbres, tous les ans se renouvelle, sa grandeur, sa légéreté, sa force, le distinguent assez des autres habitants des bois ; et comme il est le plus noble d'entr'eux, il ne sert qu'aux plaisirs des plus nobles des hommes ; il a dans tous les temps occupé le loisir des héros ; l'exercice de la chasse doit succéder aux travaux de la guerre, il doit même les précéder ; savoir manier les chevaux et les armes sont des talents communs au chasseur et au guerrier ; l'habitude au mouvement, à la fatigue, l'adresse, la légéreté du corps, si nécessaires pour soutenir, et même pour seconder le courage, se prennent à la chasse, et se portent à la guerre ; c'est l'école agréable d'un art nécessaire, c'est encore le seul amusement qui fasse diversion entière aux affaires, le seul délassement sans mollesse, le seul qui donne un plaisir vif sans langueur, sans mélange et sans satiété.

Que peuvent faire de mieux les hommes qui par état sont sans cesse fatigués de la présence des autres hommes ? Toujours environnés, obsédés et gênés, pour ainsi dire, par le nombre, toujours en bute à leurs demandes, à leur empressement, forcés de s'occuper des soins étrangers et d'affaires, agités par de grands intérêts, et d'autant plus contraints, qu'ils sont plus élevés ; les grands ne sentiraient que le poids de la grandeur, et n'existeraient que pour les autres, s'ils ne se dérobaient par instants à la foule même des flatteurs. Pour jouir de soi-même, pour rappeler dans l'âme les affections personnelles, les désirs secrets, ces sentiments intimes mille fois plus précieux que les idées de la grandeur, ils ont besoin de solitude ; et quelle solitude plus variée, plus animée que celle de la chasse ? Quel exercice plus sain pour le corps, quel repos plus agréable pour l'esprit ?

Il serait aussi pénible de toujours représenter que de toujours méditer. L'homme n'est pas fait par la nature pour la contemplation des choses abstraites ; et de même que s'occuper sans relâche d'études difficiles, d'affaires épineuses, mener une vie sédentaire, et faire de son cabinet le centre de son existence, est un état peu naturel, il semble que celui d'une vie tumultueuse, agitée, entrainée, pour ainsi dire, par le mouvement des autres hommes, et où l'on est obligé de s'observer, de se contraindre et de représenter continuellement à leurs yeux, est encore une situation plus forcée. Quelque idée que nous voulions avoir de nous-mêmes, il est aisé de sentir que représenter n'est pas être, et aussi que nous sommes moins faits pour penser que pour agir, pour raisonner que pour jouir. Nos vrais plaisirs consistent dans le libre usage de nous-mêmes ; nos vrais biens sont ceux de la nature : c'est le ciel, c'est la terre, ce sont ces campagnes, ces plaines, ces forêts dont elle nous offre la jouissance utile, inépuisable. Aussi le goût de la chasse, de la pêche, des jardins, de l'agriculture est un goût naturel à tous les hommes ; et dans les sociétés plus simples que la nôtre, il n'y a guère que deux ordres, tous deux relatifs à ce genre de vie ; les nobles dont le métier est la chasse et les armes, les hommes en sous-ordre qui ne sont occupés qu'à la culture de la terre.

Et comme dans les sociétés policées on agrandit, on perfectionne tout, pour rendre le plaisir de la chasse plus vif et plus piquant, pour ennoblir encore cet exercice le plus noble de tous, on en a fait un art. La chasse du cerf demande des connaissances qu'on ne peut acquérir que par l'expérience ; elle suppose un appareil royal, des hommes, des chevaux, des chiens, tous exercés, stylés, dressés, qui par leurs mouvements, leurs recherches et leur intelligence, doivent aussi concourir au même but. Le veneur doit juger l'âge et le sexe ; il doit savoir distinguer et reconnaître si le cerf qu'il a détourné (a) avec son limier (b), est un daguet (c), un jeune cerf (d), un cerf de dix cors jeunement (e), un cerf de dix cors (f), ou un vieux cerf (g), et les principaux indices qui peuvent donner cette connaissance, sont le pied (h) et les fumées (i). Le pied du cerf est mieux fait que celui de la biche, sa jambe est (k) plus grosse et plus près du talon, ses voies (l) sont mieux tournées, et ses allures (m) plus grandes ; il marche plus régulièrement ; il porte le pied de derrière dans celui de devant, au lieu que la biche à le pied plus mal fait, les allures plus courtes, et ne pose pas régulièrement le pied de derrière dans la trace de celui du devant.

Dès que le cerf est à sa quatrième tête (n), il est assez reconnaissable pour ne s'y pas méprendre ; mais il faut de l'habitude pour distinguer le pied du jeune cerf de celui de la biche ; et pour être sur, on doit y regarder de près et en revoir (o) souvent et à plusieurs endroits. Les cerfs de dix cors jeunement, de dix cors, etc. sont encore plus aisés à reconnaître et à juger, ils ont le pied de devant beaucoup plus gros que celui de derrière ; et plus ils sont vieux, plus les côtés des pieds sont gros et usés : ce qui se juge aisément par les allures qui sont aussi plus régulières que celles des jeunes cerfs, le pied de derrière posant toujours assez exactement sur le pied de devant, à moins qu'ils n'aient mis bas leurs têtes ; car alors les vieux cerfs se méjugent (p) presque autant que les jeunes cerfs, mais d'une manière différente et avec une sorte de régularité que n'ont ni les jeunes cerfs, ni les biches ; ils posent le pied de derrière à côté de celui de devant, et jamais au-delà ni en-deçà.

Lorsque le veneur, dans les sécheresses de l'été, ne peut juger par le pied, il est obligé de suivre le contrepié (q) de la bête pour tâcher de trouver des fumées, et de la reconnaître par cet indice qui demande autant et peut-être plus d'habitude que la connaissance du pied ; sans cela il ne lui serait pas possible de faire un rapport juste à l'assemblée des chasseurs ; et lorsque sur ce rapport l'on aura conduit les chiens à ses brisées, (r) il doit encore savoir animer son limier et le faire appuyer sur les voies jusqu'à ce que le cerf soit lancé ; dans cet instant celui qui laisse courre (s) (on ne fait plus usage de lancer à trait de limier, on découple dans l'enceinte une demi-douzaine de vieux chiens pour lancer le cerf, et les veneurs foulent l'enceinte à cheval en faisant du bruit pour le faire partir), sonne pour faire découpler (t) les chiens, et dès qu'ils le sont, il doit les appuyer de la voix et de la trompe ; il doit aussi être connaisseur et bien remarquer le pied de son cerf, afin de le reconnaître dans le change (u) ou dans le cas qu'il soit accompagné. Il arrive souvent alors que les chiens se séparent et font deux chasses ; les piqueurs (x) doivent se séparer aussi et rompre (y) les chiens qui se sont fourvoyés (z) pour les ramener et les rallier à ceux qui chassent le cerf de meute. Le piqueur doit bien accompagner ses chiens, toujours piquer à côté d'eux, toujours les animer sans trop les presser, les aider dans le change (quand un cerf est accompagné), les faire revenir sur un retour pour ne se pas méprendre ; tâcher de revoir du cerf aussi souvent qu'il est possible, car il ne manque jamais de faire des ruses ; il passe et repasse souvent deux ou trois fois sur ses voies ; il cherche à se faire accompagner d'autres bêtes pour donner le change, et alors il perce, il s'éloigne tout-de-suite, ou bien il se jette à l'écart, se cache et reste sur le ventre ; dans ce cas lorsqu'on est en défaut (a), on prend les devants, on retourne sur les derrières ; les piqueurs et les chiens travaillent de concert ; si l'on ne retrouve pas la voie du cerf, on juge qu'il est resté dans l'enceinte dont on vient de faire le tour ; on la foule de nouveau ; et lorsque le cerf ne s'y trouve pas, il ne reste d'autres moyens que d'imaginer la refuite qu'il peut avoir faite, Ve le pays où l'on est, et d'aller l'y chercher ; dès qu'on sera tombé sur les voies, et que les chiens auront relevé le défaut (b), ils chasseront avec plus d'avantage, parce qu'ils sentent bien que le cerf est déjà fatigué ; leur ardeur augmente à mesure qu'il

(a) Détourner le cerf, c'est tourner tout-autour de l'endroit où un cerf est entré, et s'assurer qu'il n'est pas sorti.

(b) Limier, chien que l'on choisit ordinairement parmi les chiens courants, et que l'on dresse pour détourner le cerf, le chevreuil, le sanglier, etc.

(c) Daguet, c'est un jeune cerf qui porte les dagues, et les dagues sont la première tête, ou le premier bois du cerf qui lui vient au commencement de la seconde année.

(d) Jeune cerf, qui est dans la troisième, quatrième ou cinquième année de sa vie.

(e) Cerf de dix corps jeunement, cerf qui est dans la sixième année de sa vie.

(f) Cerf de dix corps, qui est dans la septième année de sa vie.

(g) Vieux cerf, cerf qui est dans la huitième, neuvième, dixième etc. année de sa vie.

(h) Le pied, empreinte du pied du cerf sur la terre.

(i) Fumées, fientes du cerf.

(k) On appelle jambes les deux os qui sont en-bas à la partie postérieure, et qui font trace sur la terre avec le pied.

(l) Voies, ce sont les pas du cerf.

(m) Allures du cerf, distance de ses pas.

(n) Tête, bois ou cornes du cerf.

(o) En revoir, c'est d'avoir des indices du cerf par le pied.

(p) Se méjuger, c'est, pour le cerf, mettre le pied de derrière hors de la trace de celui de devant.

(q) Suivre le contre pied, c'est suivre les traces à rebours.

(r) Brisées, endroit où le cerf est entré, et où l'on a rompu des branches pour le remarquer.

Nota. Que comme le pied du cerf s'use plus ou moins, suivant la nature des terrains qu'il habite, il ne faut entendre ceci que de la comparaison entre cerf du même parc, et que par conséquent il faut avoir d'autres connaissances, parce que dans le temps du rut, on court souvent des cerfs venus de loin.

(s) Laisser courre un cerf, c'est le lancer avec le limier, c'est-à-dire le faire partir.

(t) Découpler les chiens, c'est détacher les chiens l'un d'avec l'autre, pour les faire chasser.

(u) Change, c'est lorsque le cerf en Ve chercher un autre, pour le substituer à sa place.

(x) Les piqueurs sont ceux qui courent à cheval après les chiens, et qui les accompagnent pour les faire chasser.

(y) Rompre les chiens, c'est les faire quitter ce qu'ils chassent, et les rappeller.

(z) Se fourvoyer, c'est s'écarter de la voie, et chasser quelqu'autre cerf que celui de la meute.

(a) Etre en défaut, c'est lorsque les chiens ont perdu la voie du cerf.

(b) Relever le défaut, c'est retrouver les voies du cerf, et le lancer une seconde fais.

s'affoiblit, et leur sentiment est d'autant plus distinctif et plus vif, que le cerf est plus échauffé ; aussi redoublent-ils de jambes et de voix ; et quoiqu'il fasse alors plus de ruses que jamais, comme il ne peut plus courir aussi vite, ni par conséquent s'éloigner beaucoup des chiens, ses ruses et ses détours sont inutiles ; il n'a d'autre ressource que de fuir la terre qui le trahit, et de se jeter à l'eau pour dérober son sentiment aux chiens. Les piqueurs tournent autour et remettent ensuite les chiens sur la voie (s'il en est sorti). Le cerf ne peut aller loin, dès qu'il a battu l'eau (c), quand il est sur ses fins (d) (abais), où il tâche encore de défendre sa vie, et blesse souvent les chiens de coups d'andouillers, et même les chevaux des chasseurs trop ardents, jusqu'à ce qu'un d'entr'eux lui coupe le jarret pour le faire tomber, et l'acheve ensuite en lui donnant un coup de couteau-de-chasse au défaut de l'épaule. Depuis quelque temps on porte une carabine, pour empêcher le désordre qu'il ferait dans la meute étant aux abois. On célèbre en même temps la mort du cerf par des fanfares ; on le laisse fouler aux chiens, et on les fait jouir pleinement de leur victoire en leur faisant faire curée (e).

Toutes les saisons, tous les temps ne sont pas également bons pour courre le cerf (f). Au printemps, lorsque les feuilles naissantes commencent à parer les forêts, que la terre se couvre d'herbes nouvelles et s'émaille de fleurs, leur parfum rend moins sur le sentiment des chiens ; et comme le cerf est alors dans sa plus grande vigueur, pour peu qu'il ait d'avance, ils ont beaucoup de peine à le joindre. Aussi les chasseurs conviennent-ils que la saison où les biches sont prêtes à mettre bas, est celle de toutes où la chasse est la plus difficile, que dans ce temps les chiens quittent souvent un cerf mal mené pour tourner à une biche qui bondit devant eux ; et de même au commencement de l'automne lorsque le cerf est en rut (g), les limiers quêtent sans ardeur ; l'odeur forte du rut leur rend peut-être la voie plus indifférente, peut-être aussi tous les cerfs ont-ils dans ce temps à-peu-près la même odeur. En hiver pendant la neige on ne peut pas courre le cerf ; les chiens n'ont point de sentiment ; on voit les limiers mêmes suivre la voie plutôt à l'oeil qu'à l'odorat. Dans cette saison comme les cerfs ne trouvent point à viander (h) dans les forts, ils en sortent, vont et viennent dans les pays découverts, dans les petits taillis, et même dans les terres ensemencées ; ils se mettent en hardes (i) dès le mois de Décembre, et pendant les grands froids ils cherchent à se mettre à l'abri des côtes ou dans des endroits bien fourrés où ils se tiennent serrés les uns contre les autres, et se réchauffent de leur haleine ; à la fin de l'hiver ils gagnent les bordages des forêts, et sortent dans les blés. Au printemps ils mettent bas (k) ; la tête se détache d'elle-même, ou par un petit effort qu'ils font en s'accrochant à quelque branche ; il est rare que les deux côtés tombent précisément en même temps (cependant cela n'est pas sans exemple ; j'ai trouvé les deux côtés de tête d'un cerf dix cors jeunement dans la forêt de Saint-Leger-aux-Plainveaux, qui n'étaient pas à trois pieds de distance l'un de l'autre), et souvent il y a un jour ou deux d'intervalle entre la chute de chacun des côtés de la tête. Les vieux cerfs sont ceux qui mettent bas les premiers, vers la fin de Février ou au commencement de Mars ; les cerfs de dix cors ne mettent bas que vers le milieu ou la fin de Mars ; ceux de dix cors jeunement dans le mois d'Avril ; les jeunes cerfs au commencement, et les daguets vers le milieu et la fin de Mai ; mais il y a sur tout cela beaucoup de variétés, et l'on voit quelquefois de vieux cerfs mettre bas plus tard que d'autres qui sont plus jeunes. Au reste la mue de la tête des cerfs avance lorsque l'hiver est doux, et retarde lorsqu'il est rude et de longue durée.

Dès que les cerfs ont mis bas, ils se séparent les uns des autres, et il n'y a plus que les jeunes qui demeurent ensemble ; ils ne se tiennent pas dans les forts, mais ils gagnent le beau pays, les buissons, les taillis, et fourrés ; ils y demeurent tout l'été pour y refaire leur tête, et dans cette saison ils marchent la tête basse, crainte de la froisser contre les branches, car elle est sensible tant qu'elle n'a pas pris son entier accroissement. La tête des plus vieux cerfs n'est encore qu'à moitié refaite vers le milieu du mois de Mai : on dit en proverbe, à la mi-Mai mi-tête, à la mi-Juin, mi-graisse, et n'est tout à fait allongée et endurcie que vers la fin de Juillet ; celle des plus jeunes cerfs tombant plus tard, repousse et se refait aussi plus tard ; mais dès qu'elle est entièrement allongée, et qu'elle a pris de la solidité, les cerfs la frottent contre les arbres pour la dépouiller de la peau dont elle est revêtue, et comme ils continuent à la frotter pendant plusieurs jours de suite, on prétend qu'elle se teint de la couleur de la seve du bois auquel ils touchent, qu'elle devient rousse contre les hêtres et les bouleaux, brune contre les chênes, et noirâtre contre les charmes et les trembles. On dit aussi que les têtes des jeunes cerfs qui sont lisses et peu perlées, ne se teignent pas à beaucoup près autant que celles des vieux cerfs, dont les perlures sont fort près les unes des autres, parce que ce sont ces perlures qui retiennent la seve qui colore le bois ; mais je ne puis me persuader que ce soit la vraie cause de cet effet, ayant eu des cerfs privés et enfermés dans des enclos où il n'y avait aucun arbre, et où par conséquent ils n'avaient pu toucher au bois, desquels cependant la tête était colorée comme celle des autres.

Peu de temps après que les cerfs ont bruni leur tête, ils commencent à ressentir les impressions du rut ; les vieux sont les plus avancés : dès la fin d'Aout et le commencement de Septembre, ils quittent les buissons, reviennent dans les forts, et commencent à chercher les bêtes *.

Quand les cerfs touchent aux bois pour nettoyer leur tête de la peau qui est dessus, le premier petit baliveau ou petit arbre qu'on apporte au rendez-vous auquel le cerf a frotté sa tête, et qui est dépouillé de son écorce, se nomme frayoir, il est présenté au commandant, à qui l'on fait rapport du cerf qui l'a fait ; le commandant le présente au grand veneur, le grand veneur au roi ; il y a un droit établi dans la vénerie pour le premier frayoir. Salnove, dans son chapitre VIIe dit que quand un gentilhomme de la vénerie apportait le frayoir, il avait un cheval, et à un valet de limier un habit ; à présent le roi donne pour le premier frayoir huit cent livres, qui sont partagés aux huits valets de limiers, et le grand veneur leur donne aussi cent livres, qui leur fait à chacun cent douze livres dix sols, et souvent ce ne sont pas eux qui apportent le premier frayoir : c'est le règlement qui est en usage aujourd'hui dans la vénerie, et c'est toujours le premier valet de limier qui le tient quand le commandant le présente au grand veneur,

(c) Battre l'eau, battre les eaux, c'est traverser, après avoir été long temps chassé, une rivière ou un étang.

(d) Abais, c'est lorsque le cerf est à l'extrémité et tout à fait épuisé de forces.

(e) Faire la curée, donner la curée, c'est faire manger aux chiens le cerf ou la bête qu'ils ont prise.

(f) Courre le cerf, chasser le cerf avec des chiens courants.

(g) Rut, chaleur, ardeur d'amour.

(h) Viander, brouter, manger.

(i) Harde, troupe de cerfs.

(k) Mettre bas, c'est lorsque le bois des cerfs tombe.

* Les bêtes, en terme de Chasse, signifient les biches.

& le grand veneur au roi. Voyez le nouveau traité de la vénerie, Paris 1750. p. 27.

Rut : ils raient (l) d'une voix forte, le col et la gorge leur enflent, ils se tourmentent, ils traversent en plein jour les guérets et les plaines, ils donnent de la tête contre les arbres et les sépées, enfin ils paraissent transportés, furieux, et courent de pays en pays, jusqu'à ce qu'ils aient trouvé des bêtes, qu'il ne suffit pas de rencontrer, mais qu'il faut encore pour suivre, contraindre, assujettir : car elles évitent d'abord, elles fuient, et ne les attendent qu'après avoir été longtemps fatiguées de leurs poursuites. C'est aussi par les plus vieilles que commence le rut, les jeunes biches n'entrent en chaleur que plus tard, et lorsque deux cerfs se trouvent auprès de la même, il faut encore combattre avant que de jouir ; s'ils sont d'égale force, ils se menacent, ils grattent la terre, ils raient d'un cri terrible, et se précipitant l'un sur l'autre, ils se battent à outrance, et se donnent des coups d'andouillers (m) si forts que souvent ils se blessent à mort ; le combat ne finit que par la défaite ou la fuite de l'un des deux, et alors le vainqueur ne perd pas un instant pour jouir de sa victoire et de ses désirs, à moins qu'un autre ne survienne encore, auquel cas il part pour l'attaquer et le faire fuir comme le premier. Les plus vieux cerfs sont toujours les maîtres, parce qu'ils sont plus fiers et plus hardis que les jeunes qui n'osent approcher d'eux ni de la bête, et qu'ils sont obligés d'attendre qu'ils l'aient quittée pour l'avoir à leur tour ; quelquefois cependant ils sautent sur la biche pendant que les vieux combattent, et après avoir joui fort à la hâte, ils fuient promptement. Les biches préférent les vieux cerfs, non parce qu'ils sont plus courageux, mais parce qu'ils sont beaucoup plus ardents et plus chauds que les jeunes ; ils sont aussi plus inconstants ; ils ont souvent plusieurs bêtes à la fois ; et lorsqu'ils n'en ont qu'une, ils ne s'y attachent pas, ils ne la gardent que quelques jours, après quoi ils s'en séparent et vont en chercher une autre auprès de laquelle ils demeurent encore moins, et passent ainsi successivement à plusieurs, jusqu'à ce qu'ils soient tout à fait épuisés.

Cette fureur amoureuse ne dure que trois semaines ; pendant ce temps ils ne mangent que très-peu, ne dorment ni ne reposent, nuit et jour ils sont sur pied, et ne font que marcher, courir, combattre et jouir ; aussi sortent-ils de-là si défaits, si fatigués, si maigres, qu'il leur faut du temps pour se remettre et reprendre des forces : ils se retirent ordinairement alors sur les bords des forêts, le long des meilleurs gagnages où ils peuvent trouver une nourriture abondante, et ils y demeurent jusqu'à ce qu'ils soient rétablis. Le rut pour les vieux cerfs commence au premier Septembre, et finit vers le vingt ; pour les cerfs dix cors, et dix cors jeunement, il commence vers le dix Septembre, et finit dans les premiers jours d'Octobre ; pour les jeunes cerfs c'est depuis le vingt Septembre jusqu'au quinze Octobre ; et sur la fin de ce même mois il n'y a plus que les daguets qui soient en rut, parce qu'ils y sont entrés les derniers de tous : les plus jeunes biches sont de même les dernières en chaleur. Le rut est donc entièrement fini au commencement de Novembre, et les cerfs dans ce temps de faiblesse sont faciles à forcer. Dans les années abondantes en glands, ils se rétablissent en peu de temps par la bonne nourriture, et l'on remarque souvent un second rut à la fin d'Octobre, mais qui dure beaucoup moins que le premier.

Les biches portent huit mois et quelques jours ; elles ne produisent ordinairement qu'un faon (n), très-rarement deux ; elles mettent bas au mois de Mai et au commencement de Juin, elles ont grand soin de dérober leur faon à la poursuite des chiens, elles se présentent et se font chasser elles-mêmes pour les éloigner, après quoi elles viennent le rejoindre. Toutes les biches ne sont pas fécondes, il y en a qu'on appelle brehaignes, qui ne portent jamais ; ces biches sont plus grasses et prennent beaucoup plus de venaison que les autres, aussi sont-elles les premières en chaleur. On prétend aussi qu'il se trouve quelquefois des biches qui ont un bois comme le cerf, et cela n'est pas absolument contre toute vraisemblance.

Dans le nouveau traité de vénerie, 1750. ch. xiv. des têtes bizarres, pag. 40. il est dit qu'au château de Malherbe, on y voyait la figure d'une biche qui portait un bois qui avait huit andouillers, qui fut prise par les chiens du roi Charles IX. Depuis on a apporté cette tête à sa majesté Louis XV. à Fontainebleau.

M. de Ligniville, grand veneur de Lorraine, qui a écrit sur la chasse, dont le manuscrit est à la bibliothèque du roi, rapporte qu'étant en Angleterre, le roi Jacques I. lui fit voir dans son parc de Pilbok une biche qui avait son faon, et qui portait une perche fort longue, et une petite, qu'il y avait longtemps qu'elle y était connue.

Le faon ne porte ce nom que jusqu'à six mois environ, alors les bosses commencent à paraitre, et il prend le nom de herre jusqu'à ce que ces bosses allongées en dagues lui fassent prendre le nom de daguet. Il ne quitte pas sa mère dans les premiers temps, quoiqu'il prenne un assez long accroissement, il la suit pendant tout l'été ; en hiver les biches, les herres, les daguets, et les jeunes cerfs se rassemblent en hardes, et forment des troupes d'autant plus nombreuses que la saison est plus rigoureuse. Au printemps ils se divisent, les biches se recelent pour mettre bas, et dans ce temps il n'y a que les daguets et les jeunes cerfs qui aillent ensemble. En général, les cerfs sont portés à demeurer les uns avec les autres, à marcher de compagnie, et ce n'est que la crainte ou la nécessité qui les disperse ou les sépare.

Le cerf est en état d'engendrer à l'âge de dix-huit mois, car on voit des daguets, c'est-à-dire des cerfs nés au printemps de l'année précédente, couvrir des biches en automne, et l'on doit présumer que ces accouplements sont prolifiques ; ce qui pourrait peut-être en faire douter, c'est qu'ils n'ont encore pris alors qu'environ la moitié ou les deux tiers de leur accroissement ; que les cerfs croissent et grossissent jusqu'à l'âge de huit ans, et que leur tête Ve toujours en augmentant tous les ans jusqu'au même âge ; mais il faut observer que le faon qui vient de naître se fortifie en peu de temps, que son accroissement est prompt dans la première année, et ne se ralentit pas dans la seconde ; qu'il y a déjà surabondance de nourriture, puisqu'il pousse des dagues, et c'est-là le signe le plus certain de la puissance d'engendrer ; mais ceux qui ont un temps marqué pour le rut, ou pour le frai, semblent faire une exception à cette loi. Les poissons fraient et produisent avant que d'avoir pris le quart, ou même la huitième partie de leur accroissement : et dans les animaux quadrupedes ceux qui, comme le cerf, l'élan, le daim, le renne, le chevreuil, etc. ont un rut bien marqué, engendrent aussi plus tôt que les autres animaux.

Il y a tant de rapport entre la nutrition, la production du bois, le rut et la génération dans ces animaux, qu'il est nécessaire, pour en bien concevoir les effets particuliers, de se rappeler ici ce que nous avons établi de plus général et de plus certain au sujet de la génération : elle dépend en entier de la surabondance de la nourriture : tant que l'animal croit,

(l) Raire, crier.

(m) Andouillers, cornichons du bois de cerf.

(n) Faon, c'est le petit cerf qui vient de naître.

c'est toujours dans le premier âge que l'accroissement est le plus prompt, la nourriture est entièrement employée à l'extension, au développement du corps, il n'y a donc nulle surabondance, par conséquent nulle production, nulle secrétion de liqueur séminale, et c'est par cette raison que les jeunes animaux ne sont pas en état d'engendrer ; mais lorsqu'ils ont pris la plus grande partie de leur accroissement, la surabondance commence à se manifester par de nouvelles productions. Dans l'homme, la barbe, le poil, le gonflement des mamelles, l'épanouissement des parties de la génération, précédent la puberté. Dans les animaux en général, et dans le cerf en particulier, la surabondance se marque par des effets encore plus sensibles ; elle produit la tête, le gonflement des daintiers (o), l'enflure du col et de la gorge, venaison (p). (M. de Buffon nomme venaison la graisse du cerf ; dans la vénerie, c'est sa chair et non sa graisse ; quand la chair est bien vermeille, on dit que la venaison est belle, et quand elle est pâle, on dit que la venaison n'est pas belle) ; et comme le cerf croit fort vite dans le premier âge, il ne se passe qu'un an depuis sa naissance, jusqu'au temps où cette surabondance commence à se marquer au-dehors par la production du bois : s'il est né au mois de Mai, on verra paraitre dans le même mois de l'année suivante, les naissances du bois qui commence à pousser sur le têct (q). Ce sont deux dagues qui croissent (sur deux pivots, qui sont deux bosses, sur lesquelles le bois se forme sur le massacre du cerf), s'allongent et s'endurcissent à mesure que l'animal prend de la nourriture ; elles ont déjà vers la fin d'Aout pris leur entier accroissement et assez de solidité, pour qu'il cherche à les dépouiller de leur peau en les frottant contre les arbres ; et dans le même temps il acheve de se charger de venaison, qui est une graisse abondante, produite aussi par le superflu de la nourriture, qui dès-lors commence à se déterminer vers les parties de la génération, et à exciter le cerf à cette ardeur du rut qui le rend furieux. Et ce qui prouve évidemment que la production du bois et celle de la liqueur séminale dépendent de la même cause ; c'est que si vous détruisez la source de la liqueur séminale, en supprimant par la castration les organes nécessaires pour cette sécrétion, vous supprimez en même temps la production du bois ; car si l'on fait cette opération dans le temps qu'il a mis bas sa tête, il ne s'en forme pas une nouvelle ; et si on ne la fait au contraire que dans le temps qu'il a refait sa tête, elle ne tombe plus, l'animal en un mot reste pour toute sa vie dans l'état où il était, lorsqu'il a subi la castration ; et comme il n'éprouve plus les ardeurs du rut, les signes qui l'accompagnent disparaissent aussi, il n'y a plus de venaison, plus d'enflure au col ni à la gorge, et il devient d'un naturel plus doux et plus tranquille. Ces parties qu'on a retranchées étaient donc nécessaires, non-seulement pour faire la sécrétion de la nourriture surabondante, mais elles servaient encore à l'animer, à la pousser au-dehors dans toutes les parties du corps, sous la forme de la venaison, et en particulier au sommet de la tête, où elle se manifeste plus que par-tout ailleurs par la production du bois. Il est vrai que les cerfs coupés ne laissent pas de devenir gras, mais ils ne produisent plus de bois, jamais la gorge ni le col ne leur enflent, et leur graisse ne s'exalte ni ne s'échauffe comme la venaison des cerfs entiers qui, lorsqu'ils sont en rut, ont une odeur si forte, qu'elle infecte de loin ; leur chair même en est si fort imbue et pénétrée, qu'on ne peut ni la manger ni la sentir, et qu'elle se corrompt en peu de temps, au lieu que celle du cerf coupé se conserve fraiche, et peut se manger dans tous les temps.

Remarque sur la castration. M. de Buffon est du sen timent de tous les naturalistes et auteurs, tant anciens que modernes, et même de la tradition dans la vénerie du roi, que dans les cerfs à qui on a fait la castration, dans quelqu'état que les têtes se trouvent, elles y restent, c'est-à-dire, que si l'opération se fait après qu'ils ont mis bas, il ne leur poussera pas un nouveau bois ; que si un cerf a sa tête formée dans l'opération, elle ne tombera point ; enfin que dans tel état que sa tête se trouve à la castration, elle y reste.

Voici ce qui parait détruire ce sentiment. M. l'abbé de Sainte-Aldégonde, aumônier du roi, dit qu'on lui a apporté deux faons mâles, qu'il a fait élever ; après les six mois de faon, ils sont devenus herres ; à l'entrée de leur seconde année, daguets ; à l'entrée de leur troisième année, ils ont mis bas leurs dagues ; M. l'abbé a profité de l'occasion pour les faire couper, de crainte que par la suite leur bois ayant repoussé ils ne blessassent quelqu'un, étant persuadé qu'ils ne leur repousserait rien sur la tête ; à son grand étonnement leur bois a cru, comme si on ne leur avait pas fait l'opération, et il est parvenu à la hauteur, grosseur, et garni d'andouillers, comme il en aurait poussé à des cerfs de leur âge ; mais la différence qui s'y est rencontrée, c'est qu'ils n'ont point eu la tête parfaitement dure, que la peau est encore dessus, et que les bouts des andouillers sont mous, tendres et sensibles ; voici la seconde année depuis l'opération, et qu'ils se trouvent dans cet état : ce fait a été rendu à S. M. par M. l'abbé, qui m'a fait l'honneur de m'en faire le détail, comme il est écrit.

En Bretagne, on avait apporté un faon à un particulier, qui l'avait élevé avec du lait et beaucoup de soin, il est devenu herre au bout d'un an, il lui est poussé des dagues qu'il a gardées un an suivant l'usage ; après ce temps il les a mis bas, il avait deux ans, il lui est venu un bois qui était sa seconde tête, qu'il a gardé de même et a mis bas, il avait alors trois ans accomplis ; il lui est poussé un autre bois qui faisait sa troisième tête, qu'il a mis bas de même et toujours dans le mois de Mai, il lui en est poussé un autre qui lui faisait sa quatrième tête, il avait pour lors cinq ans ; le particulier l'a donné à un marchand de bois à Paris, chez lequel j'ai été le voir au mois d'Octobre 1764. Ce cerf était dressé à tirer, on lui avait fait faire une petite voiture qu'il menait ; celui à qui il avait été donné voulut l'amener à Paris avec sa voiture ; après avoir fait environ quarante lieues, l'animal se trouva si fatigué qu'il ne pouvait plus marcher, on le mit dans une voiture bien lié et garroté, il a été amené, mais dans un très-mauvais état, il s'était débattu, les cordes lui avaient fait des découpures à plusieurs endroits, on l'a traité avec soin, il s'est bien rétabli, il a mis bas sa quatrième tête, toujours dans le mois de Mai, il lui est poussé sa tête de cerf dix cors jeunement, qui est venu à sa maturité, comme les autres, dans le mois de Septembre ; sa tête étant presque tout à fait nettoyée de ses lambeaux, son maître lui a fait faire l'opération de la castration ; au bout de trois semaines dans le mois d'Octobre, son bois est tombé, il a été remplacé par deux dagues sans andouillers de la hauteur d'un demi-pié, avec la peau qui les couvre : ces deux dagues ne sont point venues en maturité, elles sont restées molles, velues, conservant la chaleur naturelle ; il y avait un an qu'il avait mis bas sa tête de dix cors jeunement, par conséquent il avait sept ans, et devait être cerf de dix cors ; mais par l'effet de l'opération, il n'avait poussé que deux dagues, menues comme celle d'un daguet. Il y a une observation à faire, c'est que

(o) Les daintiers du cerf sont ses testicules.

(p) Venaison, c'est la graisse du cerf qui augmente pendant l'été, et dont il est surchargé au commencement de l'automne, dans le temps du rut.

(q) Le têct est la partie de l'os frontal, sur laquelle appuie le bois du cerf.

quelque temps après l'opération, il a eu la jambe gauche cassée entre le jarret et la jointure du derrière, on a voulu la lui remettre sans avoir pu réussir ; la jambe lui est tombée en pourriture, cela pouvait avoir contribué par les souffrances qu'il a éprouvées, à empêcher qu'il n'eut poussé un autre bois que les dagues.

J'ai Ve ses mues de seconde tête, celle de sa troisième, un côté de sa quatrième ; celles de dix cors jeunement ont été perdues, je ne les ai pas vues ; ces mues n'étaient pas si hautes ni si grosses que celles des cerfs des forêts, elles étaient blanches comme de l'ivoire, sans gouttière ni perlures.

Cet exemple et celui rapporté par M. l'abbé de Sainte-Aldégonde, détruisent ce que les auteurs assurent, et ce que les anciens ont tous débité, que dans quel état qu'un cerf se trouvât quand on lui faisait la castration, il y restait, c'est-à-dire, qu'un cerf à qui on faisait cette opération, s'il avait sa tête ou son bois fait, ce bois restait dans cet état sans tomber, que s'il n'en avait point, il n'y en poussait pas ; le cerf du marchand de bois prouve le contraire du premier cas, puisqu'il a mis bas trois semaines après l'opération ; et le deuxième cas démontre par l'exemple que rapporte M. de Sainte-Aldégonde, que ces cerfs ont poussé après l'opération un bois, mais qui n'a point durci, puisqu'il y a plus d'un an que l'opération leur a été faite.

Voici un autre fait qui a quelque rapport à cela. En 1750 le roi chassant dans la forêt de Fontainebleau, vit un très-gros cerf qui n'avait pas touché au bois, quoique ce fût à la fin de Septembre, cela parut étonnant, on rassembla un nombre de chiens, il fut chassé et pris ; à la mort sa tête fut trouvée ce qu'elle avait paru, c'est-à-dire couverte de la peau que les cerfs ont dessus, jusqu'à ce qu'ils aient touché aux bois ; on examina s'il avait des daintiers, ils ne se trouvèrent point, ni en-dehors, ni en-dedans, car on en fit l'ouverture ; apparemment que les loups, ou un coup de feu, ou un chicot, lui avait fait l'opération depuis qu'il avait mis bas, sa tête étant revenue et n'ayant pu toucher au bois par la même raison des jeunes cerfs de M. l'abbé de Sainte-Aldégonde. Cependant il avait le ventre noir, et sentait le rut, il pouvait s'échauffer dans la saison et saillir les biches, comme on a Ve faire à des chevaux hongres sur des juments.

Un autre preuve que la production du bois vient uniquement de la surabondance de la nourriture, c'est la différence qui se trouve entre les têtes des cerfs de même âge, dont les unes sont très-grosses, très-fournies, et les autres grêles et menues ; ce qui dépend absolument de la quantité de nourriture : car un cerf qui habite un pays abondant, où il viande à son aise, où il n'est troublé ni par les chiens, ni par les hommes, où après avoir repu tranquillement il peut ensuite ruminer en repos, aura toujours la tête belle, haute, bien ouverte, l'empaumure (r) large et bien garnie, le merrain (s) gros et bien perlé avec grand nombre d'andouillers forts et longs ; au-lieu que celui qui se trouve dans un pays où il n'a ni repos, ni nourriture suffisante, n'aura qu'une tête mal nourrie, dont l'empaumure sera serrée, le merrain grêle, et les andouillers menus et en petit nombre ; en sorte qu'il est toujours aisé de juger par la tête d'un cerf s'il habite un pays abondant et tranquille, et s'il a été bien ou mal nourri. Ceux qui se portent mal, qui ont été blessés ou seulement qui ont été inquiétés et courus, prennent rarement une belle tête, et une bonne venaison ; ils n'entrent en rut que plus tard ; il leur a fallu plus de temps pour refaire leur tête, et ils ne la mettent bas qu'après les autres ; ainsi tout concourt à faire voir que ce bois n'est comme la liqueur séminale, que le superflu, rendu sensible, de la nourriture organique qui ne peut être employée toute entière au développement, à l'accroissement, ou à l'entretien du corps de l'animal.

La disette retarde donc l'accroissement du bois, et en diminue le volume très-considérablement ; peut-être même ne serait-il pas impossible, en retranchant beaucoup la nourriture, de supprimer en entier cette production, sans avoir recours à la castration : ce qu'il y a de sur, c'est que les cerfs coupés mangent moins que les autres ; et ce qui fait que dans cette espèce, aussi-bien que dans celle du daim, du chevreuil, et de l'élan, les femelles n'ont point de bois, c'est qu'elles mangent moins que les mâles, et que quand même il y aurait de la surabondance, il arrive que dans le temps où elle pourrait se manifester au-dehors, elles deviennent pleines ; par conséquent le superflu de la nourriture étant employé à nourrir le foetus, et ensuite à alaiter le faon, il n'y a jamais rien de surabondant ; et l'exception que peut faire ici la femelle du renne, qui porte un bois comme le mâle, est plus favorable que contraire à cette explication ; car de tous les animaux qui portent un bois, le renne est celui qui, proportionnellement à sa taille, l'a d'un plus gros et d'un plus grand volume, puisqu'il s'étend en-avant et en-arrière, souvent tout le long de son corps ; c'est aussi de tous celui qui se charge le plus abondamment (t) de venaison ; et d'ailleurs le bois que portent les femelles est fort petit en comparaison de celui des mâles. Cet exemple prouve donc seulement que quand la surabondance est si grande qu'elle ne peut être épuisée dans la gestation par l'accroissement du foetus, elle se répand au-dehors et forme dans la femelle, comme dans le mâle, une production semblable, un bois qui est d'un plus petit volume, parce que cette surabondance est aussi en moindre quantité.

Ce que je dis ici de la nourriture ne doit pas s'entendre de la masse ni du volume des aliments, mais uniquement de la quantité des molécules organiques que contiennent ces aliments : c'est cette seule matière qui est vivante, active et productrice ; le reste n'est qu'un marc, qui peut être plus ou moins abondant, sans rien changer à l'animal. Et comme le lichen, qui est la nourriture ordinaire du renne, est un aliment plus substantiel que les feuilles, les écorces, ou les boutons des arbres dont le cerf se nourrit, il n'est pas étonnant qu'il y ait plus de surabondance de cette nourriture organique, et par conséquent plus de bois et plus de venaison dans le renne que dans le cerf. Cependant il faut convenir que la matière organique qui forme le bois dans ces espèces d'animaux, n'est pas parfaitement dépouillée des parties brutes auxquelles elle était jointe, et qu'elle conserve encore, après avoir passé par le corps de l'animal, des caractères de son premier état dans le végétal. Le bois du cerf pousse, croit, et se compose comme le bois d'un arbre : sa substance est peut-être moins osseuse que ligneuse ; c'est, pour ainsi dire, un végétal greffé sur un animal, et qui participe de la nature des deux, et forme une de ces nuances auxquelles la nature aboutit toujours dans les extrêmes, et dont elle se sert pour rapprocher les choses les plus éloignées.

Le cerf qui n'habite que les forêts, et qui ne vit,

(r) Empaumure, c'est le haut de la tête du cerf qui s'élargit comme une main, et où il y a plusieurs andouillers rangés inégalement comme des doigts.

(s) Merrain, c'est le tronc, la tige du bois de cerf.

(t) Le rangier (c'est le renne) est une bête semblable au cerf, et a sa tête diverse, plus grande et chevillée ; il porte bien quatre-vingt cors, quelquefois moins ; sa tête lui couvre le corps, il a plus grande venaison que n'a un cerf en sa saison. Voyez la chasse de Phoebus.

pour ainsi dire, que de bois, porte une espèce de bois qui n'est qu'un résidu de cette nourriture : le castor qui habite les eaux et qui se nourrit de poisson, porte une queue couverte d'écailles : la chair de la loutre et de la plupart des oiseaux de rivière, est un aliment de carême, une espèce de chair de poisson. L'on peut donc présumer que des animaux auxquels on ne donnerait jamais que la même espèce de nourriture s'assimileraient en entier à la forme de la nourriture, comme on le voit dans le bois du cerf et dans la queue du castor. Aristote, Théophraste, Pline, disent tous que l'on a Ve du lierre s'attacher, pousser, et croitre sur le bois des cerfs lorsqu'il est encore tendre. Si ce fait est vrai, il serait facîle de s'en assurer par l'expérience ; il prouverait encore mieux l'analogie intime de ce bois avec le bois des arbres.

Le cerf n'est pas seulement tourmenté par les vers des tumeurs, il l'est encore par des vers d'une autre espèce qui naissent dans son gosier, et qui sont faussement accusés d'occasionner la chute des bois du cerf.

La mouche, qu'on nomme mouche de la gorge du cerf, sait qu'auprès de la racine de la langue des cerfs, il y a deux bourses qui lui sont affectées pour le dépôt de ses œufs ; elle connait aussi la route qu'il faut tenir pour y arriver. Elle prend droit son chemin par le nez du cerf, au-haut duquel elle trouve deux voies, dont l'une conduit au sinus frontal, et l'autre aux bourses, dont nous venons de parler. Elle ne se méprend point ; c'est par celle-ci qu'elle descend pour aller chercher vers la racine de la langue les bourses qui en sont voisines. Elle y dépose des centaines d'œufs qui deviennent des vers, et qui croissent et vivent de la mucosité que les chairs de ses bourses fournissent continuellement. Lorsqu'ils sont arrivés à leur grosseur, ils sortent du nez du cerf et tombent à terre, s'y cachent et y subissent leur métamorphose qui les conduit à l'état de mouche. Dictionnaire de M. Valmont de Bomare article mouche, p. 493.

Les mouches des tumeurs des bêtes à cornes sont extrêmement velues, comme les bourdons ; elles font, comme eux, un grand bruit en volant, mais elles n'ont que la bouche et deux ailes ; c'est sur les taureaux, les vaches, les bœufs, les cerfs que cette mouche hardie Ve déposer ses œufs. Les daims, les chameaux, et même les rennes n'en sont point exemts : elle se glisse sous leur poil, et avec un instrument qu'elle porte au derrière et qu'on pourrait comparer à un bistouri, elle fait une ouverture dans la peau de l'animal, et y introduit ses œufs ou ses vers, car on ignore si elle est ovipare ou vivipare. Ce bistouri ou cette tarière est d'une structure très-curieuse : c'est un cylindre écailleux composé de quatre tuyaux qui s'allongent à la manière de lunettes ; le dernier est terminé par trois crochets, dont la mouche se sert pour percer le cuir de l'animal ; le plus souvent cette piquure ne parait point inquiéter le moins du monde ces animaux ; mais si quelquefois la mouche perçant trop loin, attaque quelque filet nerveux, alors la bête à cornes fait des gambades, se met à courir de toutes ses forces, et entre en fureur. Aussi-tôt que l'insecte naissant commence à sucer les liqueurs qui remplissent la plaie, la partie piquée s'enfle, s'élève comme une bosse ; les plus grosses ont environ 16 à 17 lignes de diamètre à leur base, et un pouce et un peu plus de hauteur. A peine ces bosses sont-elles sensibles avant le commencement de l'hiver, et pendant l'hiver même, quoiqu'elles aient été faites dès l'automne précédent.

Il parait que les vers qui habitent ces tumeurs ne font point de mal à leur hôte, car l'animal ne s'en porte pas moins bien, ne maigrit point, et conserve tout son appétit ; il y a même des paysans qui préfèrent les jeunes bêtes qui ont de ces bosses à celles qui n'en ont pas, l'expérience leur ayant appris qu'elles méritent cette préférence. On peut penser que toutes ces plaies font sur l'animal l'effet des cautères, qui sont plus utiles que nuisibles en faisant couler les humeurs extérieurement. Lorsque le ver est arrivé à son état de perfection, il sort par l'ouverture de la bosse, et se laisse tomber à terre ; il est digne de remarque que c'est toujours le matin qu'il prend son temps, après que les fraicheurs de la nuit sont passées, et avant que la grande chaleur du jour soit arrivée, comme s'il prévoyait que la fraicheur de l'air l'engourdirait, et que la chaleur le dessécherait, si elle le trouvait en route. Le ver se fourre sous quelque pierre ou sous quelque trou, où il subit sa métamorphose.

M. de Buffon ne dit rien des taons vivants qui se trouvent entre cuir et chair des cerfs, biches, daims, etc. dans l'hiver, qui sont presque gros comme le bout du petit doigt, dont on trouve beaucoup à la fin de l'hiver et au commencement du printemps autour de la tête du cerf.

M. de Valmont ne dit rien sur ce sujet.

Les auteurs anciens donnent au cerf une bien plus longue vie que les modernes.

Oppien, dans son poème de la vénerie, liv. II. dit qu'il cherche et combat les serpens, les tue, les mange ; et après Ve chercher dans les fleuves des cancres qu'il mange, ce qui le guérit aussi-tôt, et qu'il vit autant que font quatre corneilles.

Modus ne dit rien de la durée de la vie des cerfs.

Phoebus, dans son premier chapitre, dit que le cerf vit cent ans ; que plus il est vieux, plus il est beau de son corps et de sa tête, et plus luxurieux il est, mais qu'il n'est pas si vite, si léger ni si puissant ; que quand le cerf est très-vieux, il bat du pied pour faire sortir les serpens courroucés, et qu'il en avale et mange, et puis Ve boire, courre çà et là, l'eau et le venin se mêlent ensemble, et il jette toutes les mauvaises humeurs qu'il a au corps, et lui revient chair nouvelle.

Fouilloux, chap. XVIe rapporte le sentiment d'Isidore, que le cerf est le vrai contraire du serpent ; et que quand il est vieux, décrépit et malade, il s'en Ve aux fosses et cavernes des serpens, puis avec les narines souffle et pousse son haleine dedans, en sorte que par la force et la vertu d'icelle il contraint le serpent de sortir dehors ; lequel étant sorti, il le tue avec le pied, puis le mange et le dévore ; après il s'en Ve boire, alors le venin s'épand par tous les conduits de son corps ; quand il sent le venin, il se met à courir pour s'échauffer. Bientôt après il commence à se vider, et purger tellement qu'il ne lui demeure rien dans le corps, sortant par tous les conduits que la nature lui a donné, et par ce moyen se renouvelle et se guérit, faisant mutation de poil.

Charles IX. chap. VIe rapporte qu'Oppien dit qu'un cerf peut vivre quatre fois plus que la corneille, comme il est écrit ci-dessus ; il donne cent ans de vie à chaque corneille, cela ferait quatre cent ans.

Pline donne un exemple de leur longue vie, il écrit que cent ans après Alexandre le grand on a pris des cerfs avec des colliers au col, qu'on leur avait attaché du temps dudit Alexandre ; étant lesdits colliers cachés de leur peau, tant ils avaient de venaison. Quand ils sont malades, Ambrosius dit qu'ils mangent des petits rejetons d'olivier, et se guérissent ainsi.

Pline écrit qu'ils n'ont jamais de fièvre, qui plus est qu'ils remédient à cette maladie, qu'il y a eu des princesses qui ayant accoutumé de manger tous les matins un peu de chair de cerf, ont vécu fort longtemps, sans jamais avoir eu aucune fièvre, pourvu que les cerfs aient été tués d'un seul coup.

Salnove ne dit rien de positif sur la longue vie des cerfs ; voici comme il s'explique.

Salnove ne doute pas que la nature enseigne aux cerfs les simples pour les guérir lorsqu'ils sont malades ; le cerf peut vivre longtemps sans accident, il s'en trouve peu de mort ; mais d'en savoir l'âge, cela ne se peut, ou bien de connaître s'il est jeune cerf, ou cerf dix cors ou vieux cerf.

M. de Selincourt ne dit rien dans son parfait chasseur sur la longueur de la vie des cerfs.

Il n'est pas aisé de décider de la durée de la vie des cerfs. Les Naturalistes sont partagés à cet égard. Quelques-uns prétendent qu'ils peuvent vivre deux cent ans. L'auteur du livre dit : " Pour moi, sans entrer dans aucune discussion à ce sujet, mon sentiment est que les cerfs ne peuvent vivre plus de quarante ans ". Il serait aisé d'en faire l'expérience, en mettant dans un parc un jeune cerf avec quelques biches, ils y tiendraient le rut, et il faudrait en retirer les faons qui en proviendraient, de peur qu'ils ne se battissent entr'eux, et qu'à la fin ils ne tuassent le vieux cerf. Nouveau traité de vénerie 1750, p. 140.

Le poème des dons des enfants de Latone ne dit rien sur la vie des cerfs.

Dans l'école de la chasse de M. le Verrier de la Contrie, I. part. au chap. j. de la chasse du cerf, p. 80. l'auteur cite Phoebus, qui fixe la durée de sa vie à cent ans, il le réfute, en disant que les meilleurs naturalistes ne donnent aux cerfs que quarante ou cinquante ans de vie, et non cent. Il est toujours constant qu'il est de longue vie, quoique sujet à deux grandes incommodités, ce que l'auteur a remarqué dans deux qu'il a élevés : la première est une rétention d'urine ; la seconde, est une démangeaison vive et douloureuse, causée par de gros vers blancs, appelés taons, qui s'engendrent et proviennent pendant l'hiver de la mauvaise nourriture, dont il est obligé de faire son viandis ; comme la nature pousse au-dehors tout ce qui lui est contraire, ces vers cheminent entre cuir et chair pour trouver par où sortir : les uns vont le long du dos, les autres le long du cou, mais ne pouvant passer outre les oreilles, ils descendent sous la gorge, où ils s'amassent et y séjournent jusqu'à ce qu'ils aient tous pu sortir par la bouche et les narines. Quand on vient à lever la tête d'un cerf pris dans cette saison, on en trouve quelquefois dans le gavion gros comme les deux poings ; ces sortes de vers affoiblissent et font maigrir extraordinairement les cerfs, mais ils se guérissent de cette maladie aux mois de Mars et d'Avril ; en Mars, en mangeant le bouton qui précède le nouveau bois, et le bourgeon des arbres fruitiers ; en Avril, avec le nouveau bois même, les blés verts, et autres herbes tendres et nouvelles.

Quant à leur rétention d'urine, ils s'en guérissent singulièrement : ils tuent à coups de pied un crapeau ou une vipere, la mangent, et se mettent ensuite à courir de toutes leurs forces, puis se jettent à l'eau ; ceci n'est point un conte fait à loisir (c'est toujours l'auteur de l'école de la chasse qui parle), j'en ai la preuve de mes yeux : Isidore est de plus mon garant, et nombre de personnes qui, en ouvrant des cerfs, ont trouvé dans leur panse de ces sortes de reptiles.

Le cerf s'épuise si fort pendant le rut, qu'il reste tout l'hiver dans un état de langueur ; sa chair est même alors si dénuée de bonne substance, et son sang si fort appauvri, qu'il s'engendre des vers sous sa peau, lesquels augmentent encore sa misere, et ne tombent qu'au printemps lorsqu'il a repris, pour ainsi dire, une nouvelle vie par la nourriture active que lui fournissent les productions nouvelles de la terre.

Toute sa vie se passe donc dans des alternatives de plénitude et d'inanition, d'embonpoint et de maigreur, de santé, pour ainsi dire, et de maladie, sans que ces oppositions si marquées et cet état toujours excessif altèrent sa constitution, il vit aussi longtemps que les autres animaux qui ne sont pas sujets à ces vicissitudes. Comme il est cinq à six ans à croitre, il vit aussi sept fois cinq ou six ans, c'est-à-dire trente-cinq ou quarante ans (u). Ce que l'on a débité sur la longue vie des cerfs, n'est appuyé sur aucun fondement ; ce n'est qu'un préjugé populaire qui régnait dès le tens d'Aristote, et ce philosophe dit avec raison que cela ne lui parait pas vraisemblable, attendu que le temps de la gestation et celui de l'accroissement du jeune cerf n'indiquent rien moins qu'une très-longue vie. Cependant, malgré cette autorité, qui seule aurait dû suffire pour détruire ce préjugé, il s'est renouvellé dans des siècles d'ignorance par le cerf qui fut pris par Charles VI. dans la forêt de Senlis, qui portait un collier, sur lequel était écrit, Caesar hoc me donavit, et l'on a mieux aimé supposer mille ans de vie à cet animal et faire donner ce collier par un empereur romain, que de convenir que ce cerf pouvait venir d'Allemagne où les empereurs ont dans tous les temps pris le nom de Caesar.

Il est très-certain que ce cerf a été représenté dans la salle du présidial à Senlis ; j'ai été pour l'y voir, mais il n'y était plus, l'inscription était encore sur la muraille, et je l'ai transcrite mot à mot, comme la voici, dans l'année 1756, le 30 Juin, en allant à Compiègne. " En l'an, etc. effacé, le roi Charles VI. chassant dans la forest de Hallatte prit le cerf dont vous voyez la figure, portant un collier d'or, où était écrit, hoc me Caesar donavit, de ce lieu en l'endroit où il fut relancé ".

La tête des cerfs Ve tous les ans en augmentant en grosseur et en hauteur depuis la seconde année de leur vie jusqu'à la huitième ; elle se soutient toujours belle, et à-peu-près la même pendant toute la vigueur de l'âge ; mais lorsqu'ils deviennent vieux, leur tête décline aussi. Il est rare que nos cerfs portent plus de vingt ou vingt-deux andouillers lors-même que leur tête est la plus belle (depuis quarante-six ans que je suis dans les chasses du cerf, je n'en ai Ve qu'un à Fontainebleau qui en portait vingt-six, attaqué à Massory, et pris à la rivière dans le mois de Juillet, il n'avait pas touché au bois il y a 40 ans), et ce nombre n'est rien moins que constant ; car il arrive souvent que le même cerf aura dans une année un certain nombre d'andouillers, et que l'année suivante il en aura plus ou moins, selon qu'il aura eu plus ou moins de nourriture et de repos ; et de même la grandeur de la tête ou du bois du cerf dépend de la quantité de nourriture ; la qualité de ce même bois dépend aussi de la différente qualité des nourritures ; il est comme le bois des forêts, grand, tendre, et assez léger dans les pays humides et fertiles ; il est au contraire court, dur et pesant dans les pays secs et stériles. Il en est de même encore de la grandeur et de la taille de ces animaux, elle est fort différente, selon les lieux qu'ils habitent : les cerfs de plaines, de vallées ou de collines abondantes en grains ont le corps beaucoup plus grand, et les jambes plus hautes que les cerfs des montagnes seches, arides et pierreuses ; ceux-ci ont le corps bas, court et trapu, ils ne peuvent courir aussi vite, mais ils vont plus longtemps que les premiers ; ils sont plus mécans, ils ont le poil plus long sur le massacre, leur tête est ordinairement basse et noire, à-peu-près comme un arbre rabougri, dont l'écorce est rembrunie, au-lieu que la tête des cerfs de plaine est haute et d'une couleur claire - rougeâtre, comme l'écorce des arbres

(u) Pour moi, sans entrer dans aucune discussion à ce sujet, mon sentiment est que les cerfs ne peuvent vivre plus de quarante ans. Nouveau traité de la Vénérie, p. 141.

qui croissent en bon terrain. Les petits cerfs trapus n'habitent guère les futayes, et se tiennent presque toujours dans les taillis, où ils peuvent se soustraire plus aisément à la poursuite des chiens ; leur venaison est plus fine, et leur chair est de meilleur goût que celle des cerfs de plaine. Le cerf de Corse parait être le plus petit de tous ces cerfs de montagne, il n'a guère que la moitié de la hauteur des cerfs ordinaires, c'est, pour ainsi dire, un basset parmi les cerfs ; il a le pelage (x) brun, le corps trapu, les jambes courtes ; et ce qui m'a convaincu que la grandeur et la taille des cerfs en général dépendait absolument de la quantité et de la qualité de nourriture, c'est qu'en ayant fait élever un chez moi, et l'ayant nourri largement pendant quatre ans, il était à cet âge beaucoup plus haut, plus gros, plus étoffé que les plus vieux cerfs de mes bois, qui cependant sont de la belle taille.

Le pelage le plus ordinaire pour les cerfs est le fauve ; cependant il se trouve, même en assez grand nombre, des cerfs bruns, et d'autres qui sont roux : les cerfs blancs sont bien rares. Mgr. le Duc, père de M. le prince de Condé, avait dans sa ménagerie à Chantilly, des cerfs blancs, il en a fait passer dans les forêts voisines, ils ont communiqué dans le temps du rut avec les biches, il en est sorti des faons marqués de blanc et de fauve, qui se sont élevés et répandus dans les forêts des environs, il y en a eu un dans la forêt de Montmorenci qui avait la face et les quatre pieds blancs, il est venu dans le temps du rut aux environs de Versailles à Fausserpause, il a laissé de son espèce, plusieurs faons en sont venus très-ressemblans ; ils se sont élevés, en ont fait d'autres de leur espèce, et se sont répandus dans les forêts voisines, à Scenart, à Saint-Leger, aux Alluets, etc. Ce premier cerf à nez blanc est venu à Fausserpause pendant plus de six à sept ans, toujours dans la saison du rut, et il s'en retournait, à la fin il a disparu, mais il y en a encore de très-ressemblans, il en est entré un de son espèce mais bien plus blanc, dans la forêt de Marly par une breche, celui-ci fera des faons fauves et blancs, qui semblent être des cerfs devenus domestiques, mais très-anciennement ; car Aristote et Pline parlent des cerfs blancs, et il parait qu'ils n'étaient pas alors plus communs qu'ils ne le sont aujourd'hui. La couleur du bois comme la couleur du poil, semble dépendre en particulier de l'âge et de la nature de l'animal, et en général de l'impression de l'air : les jeunes cerfs ont le bois plus blanchâtre et moins teint que les vieux. Les cerfs dont le pelage est d'un fauve clair et délayé, ont souvent la tête pâle et mal teinte ; ceux qui sont du fauve vif, l'ont ordinairement rouge ; et les bruns, surtout ceux qui ont du poil noir sur le col, ont aussi la tête noire. Il est vrai qu'à l'intérieur le bois de tous les cerfs est à-peu-près également blanc, mais ces bois diffèrent beaucoup les uns des autres en solidité et par leur texture, plus ou moins serrée ; il y en a qui sont fort spongieux et où même il se trouve des cavités assez grandes : cette différence dans la texture suffit pour qu'ils puissent se colorer différemment, et il n'est pas nécessaire d'avoir recours à la seve des arbres pour produire cet effet, puisque nous voyons tous les jours l'ivoire le plus blanc jaunir ou brunir à l'air, quoiqu'il soit d'une matière bien plus compacte et moins poreuse que celle du bois du cerf.

Le cerf parait avoir l'oeil bon, l'odorat exquis, et l'oreille excellente ; lorsqu'il veut écouter, il lève la tête, dresse les oreilles, et alors il entend de fort loin ; lorsqu'il sort dans un petit taillis ou dans quelqu'autre endroit à demi découvert, il s'arrête pour regarder de tous côtés, et cherche ensuite le dessous du vent pour sentir s'il n'y a pas quelqu'un qui puisse l'inquiéter. Il est d'un naturel assez simple, et cependant il est curieux et rusé ; lorsqu'on le siffle ou qu'on l'appelle de loin, il s'arrête tout court et regarde fixement et avec une espèce d'admiration, les voitures, le bétail, les hommes, et s'ils n'ont ni armes, ni chiens, il continue à marcher d'assurance (y) et passe son chemin fièrement et sans fuir : il parait aussi écouter avec autant de tranquillité que de plaisir, le chalumeau ou le flageolet des bergers, et les veneurs se servent quelquefois de cet artifice pour le rassurer, ce qui ne s'est jamais pratiqué dans la vénerie. En général, il craint bien moins l'homme que les chiens, et ne prend de la défiance et de la ruse, qu'à mesure et qu'autant qu'il aura été inquiété : il mange lentement, il choisit sa nourriture ; et lorsqu'il a viandé, il cherche à se reposer pour ruminer à loisir, mais il parait que la rumination ne se fait pas avec autant de facilité que dans le bœuf ; ce n'est pour ainsi dire, que par secousses que le cerf peut faire remonter l'herbe contenue dans son premier estomac. Cela vient de la longueur et de la direction du chemin qu'il faut que l'aliment parcoure : le bœuf a le col court et droit, le cerf l'a long et arqué ; il faut donc beaucoup plus d'effort pour faire remonter l'aliment, et cet effort se fait par une espèce de hoquet, dont le mouvement se marque au-dehors et dure pendant tout le temps de la rumination.

Il a la voix d'autant plus forte, plus grosse et plus tremblante, qu'il est plus âgé ; la biche a la voix plus faible et plus courte, elle ne rait pas d'amour, mais de crainte : le cerf rait d'une manière effroyable dans le temps du rut, il est alors si transporté, qu'il ne s'inquiéte ni ne s'effraie de rien, on peut donc le surprendre aisément, et comme il est surchargé de venaison, il ne tient pas longtemps devant les chiens, mais il est dangereux aux abois, et il se jette sur eux avec une espèce de fureur. Il ne bait guère en hiver, et encore moins au printemps ; l'herbe tendre et chargée de rosée lui suffit ; mais dans les chaleurs et sécheresses de l'été, il Ve boire aux ruisseaux, aux mares, aux fontaines, et dans le temps du rut, il est si fort échauffé qu'il cherche l'eau partout, non seulement pour apaiser la soif brulante, mais pour se baigner et se rafraichir le corps. Il nage parfaitement bien, et plus légèrement alors que dans tout autre temps, à cause de la venaison dont le volume est plus léger qu'un pareil volume d'eau : on en a Ve traverser de très-grandes rivières ; on prétend même qu'attiré par l'odeur des biches, les cerfs se jettent à la mer dans le temps du rut, et passent d'une île à une autre, à des distances de plusieurs lieues ; ils sautent encore plus légèrement qu'ils ne nagent, car lorsqu'ils sont poursuivis, ils franchissent aisément une haie, et même un palis d'une taise de hauteur ; leur nourriture est différente suivant les différentes saisons ; en automne, après le rut, ils cherchent les boutons des arbustes verts, les fleurs de bruyeres, les feuilles de ronces, etc. en hiver lorsqu'il neige, ils pelent les arbres et se nourrissent d'écorces, de mousse, etc. et lorsqu'il fait un temps doux, ils vont viander dans les blés au commencement du printemps ; ils cherchent les chatons des trembles, des marsaules, des coudriers, les fleurs et les boutons du cornouiller, etc. en été ils ont de quoi choisir, mais ils préfèrent les seigles à tous les autres grains, et la bourgenne à tous les autres bois. La chair du faon est bonne à manger, celle de la biche et du daguet n'est pas absolument mauvaise, mais celle des

(x) Pelage, c'est la couleur du poil du cerf, du daim, du chevreuil.

(y) Marcher d'assurance, aller d'assurance, c'est lorsque le cerf Ve d'un pas réglé et tranquille.

cerfs a toujours un goût desagréable et fort * ; ce que cet animal a de plus utile, c'est son bois et sa peau ; on la prépare, et elle fait un cuir souple et très durable ; le bois s'emploie par les Couteliers, les Fourbisseurs, etc. et l'on en tire par la chimie des esprits alkali-volatils, dont la Médecine fait un fréquent usage.

Lorsque le faon a environ six mois, alors il change de nom, il prend celui de here : les bossettes croissent et s'allongent, elles deviennent cylindriques, et dans cet état on leur donne le nom de couronne (en termes de chasse on les nomme pivots) ; ils sont terminés par une face concave, sur laquelle pose l'extrémité inférieure du bois.

Le premier que porte le cerf ne se forme qu'après sa première année ; il n'a qu'une simple tige sur chaque pivot fans aucune branche ; c'est pourquoi on donne à ces tiges le nom de dagues, et au cerf celui de daguet, tant qu'il est dans sa seconde année ; mais à la troisième année, au lieu de dagues il a un bois dont chaque perche jette deux ou trois branches, que l'on appelle andouillers.

Alors l'animal est nommé cerf à la seconde tête ; ce nom lui reste jusqu'à ce qu'il ait mis bas sa seconde tête ; celle qui lui repousse à la quatrième année lui fait prendre le nom de cerf à sa troisième tête, qu'il conserve jusqu'à ce qu'il ait mis bas cette troisième tête, et celle qui lui repousse à la cinquième année, lui fait prendre le nom de cerf à sa quatrième tête, qu'il conserve de même jusqu'à ce qu'il ait mis bas cette quatrième tête, celle qui lui repousse lui fait prendre le nom de dix cors jeunement qu'il conserve pendant sa sixième année ; quand il met bas cette tête, à celle qui lui repousse à sa septième année, il prend le nom de cerf dix cors, après il n'y a plus de terme que celui de gros et vieux cerfs ; dans ces âges le nombre des andouillers n'est pas fixe ; il y a plusieurs exemples de daguets qu'on a pris avec les meutes de S. M. lesquels portaient des andouillers sur leurs dagues, qui étaient chassés pour des cerfs à leur seconde tête, et qui à la mort ne se trouvaient que daguets, parce qu'ils n'avaient point de meule, les daguets n'en ayant jamais ; les meules sont une petite couronne en forme de bague, qui croit au bas du mérain des cerfs, et elles ne prennent cette forme qu'après que les dagues sont tombées, et qu'il leur pousse leur seconde tête, les daguets n'ont point de meule, mais seulement de petites pierrures détachées à l'endroit où les meules se forment à l'accroissement de leur seconde tête, quand le nombre des andouillers est au nombre pair, et qu'il y en a autant d'un côté que de l'autre, et particulièrement ceux qui forment l'empaumure, c'est-à-dire, andouillers de chaque côté à l'empaumure, cela se dit porter douze, parce que l'on compte de cette façon ; l'andouiller qui croit le plus près des meules, se nomme premier andouiller, celui qui suit surandouiller, et celui d'après chevillure ; or il est à présumer que tous les cerfs doivent avoir ces trois andouillers le long du mérain, que tous les andouillers qui sont au-dessus doivent être compris de l'empaumure, ainsi ayant trois andouillers le long du mérain, et trois à l'empaumure, cela fait six, autant de l'autre côté, fait douze, qu'on dit que le cerf qui a ce même nombre doit porter, et s'il n'y avait que deux andouillers à l'empaumure d'un côté et trois de l'autre, on dit porter douze mal semée : quand un cerf n'aurait qu'un premier andouiller, point de sur-andouiller, ni de chevillure, et qu'il aurait trois andouillers à l'empaumure de chaque côté, on doit toujours dire porter douze, comme je l'ai déjà dit, qu'il n'y a que les andouillers de l'empaumure que l'on compte en supposant toujours les andouillers au-dessous, qu'ils y soient ou non ; un cerf qui a les trois premiers andouillers, et qui n'en a point à l'empaumure, il est dit porter huit ; s'il y a un andouiller à l'empaumure, si petit qu'il puisse être, pourvu qu'il déborde le mérain à y accrocher la bouteille, on le compte, et on dit porter dix ; s'il y en a autant de l'autre côté, s'il n'y en a qu'un d'un côté et point de l'autre, il est dit porter dix mal semée ; ainsi du plus grand nombre comme celui-ci, p. 143.

L'extrémité inférieure de chaque perche est entourée d'un rebord en forme d'anneau, que l'on nomme la meule : ce rebord est parsemé de tubercules appelés pierrures, et il y a sur les perches ou mérain, et sur la partie inférieure des andouillers d'autres tubercules plus petits appelés perlures : ceux-ci sont séparés les uns des autres dans quelques endroits par des sillons qui s'étendent le long du mérain et des andouillers, et que l'on nomme gouttière : à mesure que le cerf avance en âge le bois est plus haut, plus ouvert, c'est-à-dire, que les perches sont plus éloignées l'une de l'autre ; le mérain est plus gros, les andouillers sont plus longs, plus gros et plus nombreux, les meules plus larges, les pierrures plus grosses, et les gouttières plus grandes. Cependant à tout âge il arrive dans ces parties des variétés qui dépendent de la qualité des nourritures et de la température de l'air.

Lorsque le bois est tombé, la face supérieure des prolongements de l'os du front reste à découvert (en terme de vénerie il se nomme pivot) ; mais bientôt le périoste et les téguments qui embrassent chaque pivot en l'entourant s'allongent, leurs bords se réunissent sur la face supérieure, et forment sur cette face une masse qui a une consistance molle, parce qu'elle contient beaucoup de sang, et qui est revêtue de poils courts à-peu-près de la même couleur que celui de la tête de l'animal : cette masse se prolonge en-haut, comme le jet d'un arbre devient la perche du bois, et pousse à mesure qu'elle s'élève des branches latérales qui sont les andouillers. Ce nouveau bois, qu'on appelle un refrais, est de consistance molle dans le commencement de son accroissement : la réaction qui se fait contre les pivots, forme les meules par la portion de matière qui déborde autour de l'extrémité inférieure de chaque perche. Le bois a une sorte d'écorce qui est une continuation des téguments de la tête ; cette écorce ou cette peau est velue, et renferme des vaisseaux sanguins, qui fournissent à l'accroissement du bois ; ils rampent et se ramifient le long du mérain et des andouillers.

Les troncs et les principales branches de ces vaisseaux y creusent des impressions en forme de sillons longitudinaux, qui sont les gouttières. Les petites branches et leurs ramifications tracent d'autres sillons plus petits, qui laissent entr'eux sur la surface du bois des tubercules, des pierrures et des perlures ; ces tubercules sont d'autant plus larges et plus élevés que les vaisseaux entre lesquels ils se trouvent, sont plus gros, et par conséquent plus éloignés les uns des autres à l'extrémité du mérain et des andouillers,

* M. de Buffon n'a point mangé de la chair du cerf dans la saison qu'elle est bonne, puisqu'il la trouve d'un goût desagréable et fort ; il est vrai qu'elle est telle dans le temps du rut, mais quand il est passé, et que les cerfs sont refaits et rétablis, elle est très-bonne à manger, quand on sait bien l'accommoder. Elle était si peu mauvaise, qu'anciennement on portait à la bouche du roi les petits filets, la langue, le muffle et les oreilles : j'ai encore Ve de mon temps y porter les petits filets et la langue ; on s'est relâché sur cela, ils n'ont point été redemandés, et on ne les y a plus portés ; on les portait à la bouche jusqu'à ce que les cerfs fussent en rut, pour-lors on cessait jusqu'à la S. Hubert qu'on les reportait. J'ai Ve aussi porter quelquefois la hampe du cerf, qui est la poitrine, à la bouche de sa majesté qui les demandait. Le roi mange actuellement les dintiers, et même dans le temps du rut par régal. Depuis qu'on ne porte plus à la bouche les petits filets et la langue, ces morceaux sont pris par ceux à qui l'assemblée en pain, vin et viande tombe les jours que l'on chasse, soit valets de limiers ou valets de chiens.

les ramifications sont très-petites ; il n'y a point de perlures, ou elles seraient si petites, qu'elles se détruiraient par le moindre frottement. La substance du nouveau bois de cerf se durcit par le bas, tandis que la partie supérieure est encore tuméfiée et molle ; mais lorsqu'il a pris tout son accroissement, l'extrémité acquiert de la solidité, alors il est formé en entier, quoiqu'il ne soit pas aussi compact qu'il le devient dans la suite ; la peau dont il est revêtu se durcit comme un cuir, elle se desseche en peu de temps, et tombe par lambeaux, dont le cerf accélere la chute en frottant son bois contre les arbres.

Il y a au-dessus de l'angle antérieur de chaque oeil du cerf une cavité dont la profondeur est de plus d'un pouce : elle s'ouvre au-dehors par une fente large d'environ deux lignes du côté de l'oeil, et longue d'un pouce, elle est dirigée en ligne droite du côté de la commissure des lèvres ; cette cavité a, pour l'ordinaire, un pouce de longueur, et environ huit lignes de largeur dans le milieu : la membrane qui la tapisse, est plissée dans le fond et très-mince ; elle renferme une sorte de sédiment de couleur noire, de substance grasse, tendre et légère ; on donne à ces cavités le nom de larmiers, et à la matière qu'elles contiennent celui de larmes, ou de bezoard de cerf ; mais le premier semblerait être plus convenable que l'autre. Ces cavités sont dans tous les cerfs et dans toutes les biches ; mais on ne les trouve pas toujours pleines de matière épaissie ; souvent il n'y en a qu'une petite quantité, et sa consistance est très-molle.

Le cerf a de chaque côté du chanfrein, près de la fente dont il vient d'être fait mention, le poil disposé en épi, comme celui qui est sur le front du cheval.

Il se trouve sur la face extérieure de la partie supérieure du canon des jambes de derrière, un petit bouquet de poil auquel on a donné le nom de brosse, parce qu'il est un peu plus serré et un peu plus long que celui du reste du canon.

Le faon en naissant est moucheté, il perd sa livrée à l'âge d'environ neuf mois.

Le cœur du cerf est situé comme celui du bœuf ; il a aussi deux os semblables à ceux du cœur du bœuf par leur position et leur figure ; la biche a un os dans le cœur, mais à proportion beaucoup plus petit que dans le cerf. En terme de vénerie on nomme l'os du cœur du cerf croix de cerf.

Les testicules des cerfs sont posés dans le milieu du scrotum, l'un en avant, et l'autre en arrière ; dans quelques sujets, le testicule droit se trouvait en avant ; dans d'autres c'était le gauche ; dans tous, les deux testicules se touchaient par le côté intérieur, et ils adheraient l'un à l'autre par un tissu cellulaire assez lâche, pour qu'on put le remettre l'un à côté de l'autre, mais dès qu'on donnait quelque mouvement au scrotum ou aux cuisses de l'animal, on retrouvait les testicules dans leur première situation. En terme de vénerie, on nomme les testicules daintiers.

La biche a deux mamelles comme la vache, et chaque mamelle a deux mamelons.

Les dents incisives du cerf sont au nombre de huit à la mâchoire inférieure.

Le cerf et la biche ont de plus que le taureau deux crochets dans la mâchoire supérieure, un de chaque côté ; ils ont rapport par leur position aux dents canines, et ils leur ressemblent encore par leur racine, mais au-lieu d'être pointus, ils sont arrondis à leur extrémité, et ils sont lisses ; quand il y a une espèce de larme noire dans le blanc lisse de la dent, elles sont belles, et on les fait monter en bague, sa majesté et le grand veneur prennent souvent les plus belles.

Il y a six dents mâchelières de chaque côté de chacune des mâchoires : ces dents ressemblent à celle du taureau par leur position et leur figure, comme par leur nombre.

Le bézoard de cerf. Il est de figure ovoïde aplatie, et de couleur jaunâtre au-dehors, et blanche au-dedans ; il a deux pouces une ligne de longueur, un pouce dix lignes de largeur, et quinze lignes d'épaisseur ; sa surface est lisse et polie, il pese trois onces cinq gros et demi.

Le bézoard, pierre précieuse, qui nait dans l'estomac d'un animal des Indes. Il s'en trouve aussi dans l'estomac de quelques bœufs et de quelques cerfs.

Il y a en Guinée une espèce de petits cerfs qui parait confinée dans certaines provinces de l'Afrique, et des Indes orientales ; l'on en avait apporté un mâle et une femelle à M. de Machault, pour lors ministre de la marine ; le mâle mourut dans le voyage, et la femelle arriva en bon état ; j'ai été la voir à l'hôtel du ministre à Compiègne, elle était en liberté, et mangeait pour lors des feuilles de laitue ; elle était formée dans toutes les parties de son corps comme les biches de ce pays-ci, mais elle n'était pas plus grosse qu'un chat de la moyenne espèce ; elle n'avait pas un pied de haut, par le volume à-peu-près elle ne devait pas peser cinq livres ; elle était leste autant que par proportion de sa taille elle devait l'être.

Grand-veneur, M. Langlais, procureur du roi en la varenne du Louvre, siege de la grande-vénerie, a donné un petit traité dont nous allons donner un précis.

L'office de grand-veneur est ancien, mais le titre n'est que du temps de Charles VI. Il y avait auparavant un maître-veneur ; Geoffroy est le veneur qui soit connu sous le règne de S. Louis en 1231. Plusieurs de ses successeurs eurent la même qualité jointe à celles de maître ou enquêteur des eaux et forêts.

Le grand-veneur était autrefois appelé le grand-forestier.

Quand ils perdirent cette qualité, ils eurent celle de maître-veneur et gouverneur de la vénerie du roi.

Louis d'Orguin fut établi le 30 Octobre 1413, grand-veneur et gouverneur de la vénerie, sous le règne de Charles VI.

Jean de Berghes, sieur de Cahen et de Marguillier en Artais, fut le premier qui fut honoré du titre de grand-veneur de France par lettres du 2 Juin 1418. M. de Gamache a été grand-veneur sous le même règne. L'école de la chasse par M. Leverrier de la Conterie, p. 8. p. 80.

Il n'est plus mention du nom des grands-veneurs, depuis Charles VI. jusqu'aux règnes d'Henri IV. qu'on nomme ceux qui l'ont été, Louis XIII. Louis XIV. et Louis XV.

Salnove nomme M. le prince Guimené et M. le duc de Montbazon, grands-veneurs sous Henri IV. et Louis XIII.

Dans le nouveau traité de vénerie par M. de la Briffardière, dans son instruction à la vénerie du roi, page 20. dit que sous le règne d'Henri le grand, le duc d'Aumale était grand-veneur ; après lui, le duc d'Elbœuf fut revêtu de cette charge : et depuis le règne de Louis XIII. on a Ve la charge de grand-veneur exercée successivement par M. le prince de Condé, M. le duc de Montbazon, M. le prince de Guimené, M. le chevalier de Rohan.

J'ai lu dans un endroit, sans pouvoir me souvenir dans quel auteur, que M. de Saucourt avait été grand-veneur, apparemment entre M. le chevalier de Rohan et M. le duc de la Rochefoucault.

A la mort de M. le duc de la Rochefoucault, M. le comte de Toulouse en a exercé la charge ; à sa mort, M. le duc de Penthièvre son fils, en a été revêtu ; pendant sa minorité M. le prince de Dombes l'a exercé ; à sa majorité, il l'a exercé lui-même, et en a revêtu M. le prince de Lamballe son fils, et il en fait encore les fonctions jusqu'à sa majorité.

Salnove et M. de la Briffardière ne sont pas d'accord des grands-veneurs sous les règnes d'Henri IV. et de Louis XIII. Salnove dit que M. le prince Guimené et M. le duc de Montbazon, étaient grands-veneurs sous Henri IV. et M. de la Briffardière les met sous le règne de Louis XIII. Je crois qu'on peut s'en rapporter à Salnove qui a servi dans la vénerie sous Louis XIII. il était à portée de le savoir au juste.

Edit du roi du.... Octobre 1737, qui supprime partie des charges de la grande vénerie. Art. premier. Des quarante-quatre charges de gentilshommes, il y en a trente-huit de supprimées : plus, toutes les charges de fourriers, valets de chiens ordinaires à cheval, et ceux servant par quartiers ; les valets de limiers, autres valets de chiens servant par quartier ; les petits valets de chiens, maréchaux ferrants, chirurgiens, boulangers, et châtreurs de chiens.

Il y avait anciennement sous les ordres du grand-veneur quatre lieutenans qui servaient comme de capitaines, chacun dans leurs quartiers, et qui en son absence recevaient les ordres du roi, pour les donner à toute la vénerie. Nouveau traité de vénerie, p. 20. introduction.

Commandant. Les places de commandant de la vénerie du roi, sont établies depuis que les lieutenans en charge n'ont plus fait de fonctions.

Il y a un commandant qui prend les ordres du grand-veneur, et en son absence du roi, qui les lui donne pour les chasses qu'il juge à propos de faire ; il distribue les ordres, comme il en a été déjà parlé.

Dans le premier volume de l'école de la chasse, par M. Leverrier de la Conterie, p. 2, il est dit qu'un prince, amateur de la chasse, doit choisir un commandant qui ait de la naissance, qui l'entende, qui l'aime, et pense assez juste pour préférer à tout le plaisir de son prince. Ces quatre qualités sont absolument nécessaires.

Un commandant est responsable de ce qui se passe au chenil et à la chasse par la faute des officiers et autres du service ; et il doit se faire un point d'honneur d'amuser son prince. Du choix du commandant dépend la bonté de l'équipage, et le bon ordre dans lequel il doit être tenu. Il faut un gentilhomme né avec le goût décidé pour la chasse, et qui ait blanchi avec fruit dans le métier ; qu'il ait des mœurs, humain envers ceux qui lui sont subordonnés, poli avec tout le monde.

M. de Ligniville. Celui qui commande, s'il n'est parfaitement instruit, on lui en fera bien accroire. Il y a des veneurs si ambitieux, qu'ils demandent souvent beaucoup plus de quête qu'ils n'en peuvent faire. Il y en a aussi à qui on donne des quêtes qui sont toujours mal faites par l'ignorance et la paresse de ceux-ci ; c'est au commandant à connaître l'ambition des uns et la négligence des autres, pour réprimer l'un, et réveiller l'émulation des autres.

Le commandant doit se rendre le protecteur et le père des veneurs. Les plus grands princes et seigneurs ont donné le titre de compagnon de vénerie à ceux avec lesquels ils prenaient le plaisir de la chasse. Quand un commandant a fait monter un veneur au grade pour faire chasser les chiens, il ne l'aura pas fait avancer, qu'il n'ait Ve des preuves de son savoir par les beaux laissés-courre qu'il aura faits ; l'intelligence, l'âge, la conduite, les talents qui sont nécessaires dans cette partie : d'après cela, il le doit traiter avec bonté et amitié. Si c'est un homme de sentiment, il ne se dédira surement pas ; mais si on lui fait essuyer des désagréments, ce pauvre veneur devient triste, mélancolique, se dégoute du service, ne le fait plus que par honneur ; le plaisir est banni de lui. Cet exercice demande qu'on soit dégagé de toute autre chose étant à la chasse ; qu'on ne pense et agisse que pour remplir les devoirs de la place qu'on occupe ; qu'on soit à l'abri des craintes ; que le plaisir seul d'amuser son maître soit toutes les pensées et les actions du veneur à la chasse. Les réprimandes publiques, les mortifications qu'on fait souvent subir à d'honnêtes gens par pur caprice, sont bien à craindre pour ceux qui se font un principe de ne point manquer dans leurs services. Il peut arriver des fautes en croyant bien faire ; si-tôt qu'un habîle et zélé veneur s'en aperçoit, il est assez puni de l'avoir commise ; il en sera tout honteux et consterné. Qui est-ce qui ne commet point de faute ? C'est celui qui n'a rien à faire, et qui n'est chargé de rien.

Les mauvais sujets doivent être traités comme ils le méritent après les fautes réitérées ; il les faut punir ; et s'ils ne se corrigent pas, que les réprimandes et menaces n'y fassent rien, les redescendre à leur premier état, et si cela n'y fait rien, les renvoyer avec du pain : le roi et les princes ne voudraient pas voir des malheureux, qui auraient eu l'honneur de les servir dans leurs plaisirs, être des misérables. Il ne faudrait qu'un pareil exemple à celui d'être descendu, pour exciter et réveiller l'émulation.

Il faut que le commandant soit comme le père de famille, attentif aux besoins de ceux qui lui sont subordonnés. S'ils n'ont pas de quoi vivre de leurs appointements et revenus de leurs places, qu'il sollicite pour eux des suppléments ; qu'il sache faire récompenser les anciens et bons serviteurs qui se sont exposés, sacrifiés pour leur service. Les bontés du maître doivent couler sur eux par le canal du commandant ; de même ceux qui ont de grosses familles, qui ont peine à vivre et qui n'ont pas d'autres ressources, n'en doivent point être abandonnés ; il faut secourir les malheureux dans la peine.

La place de commandant est la plus honorable de la vénerie, après le grand-veneur.

Ses appointements sur l'état de ceux de la vénerie, sont de quinze cent livres ; il a en sus sur la cassette trois mille livres payés par quartiers ; c'est-à-dire, en quatre payements.

Le roi leur donne en sus des pensions sur le trésor royal et des gratifications, qui ne sont accordées qu'autant qu'ils ont d'ancienneté et qu'il plait à S. M. de leur faire du bien. Ils ont un carrosse et une chaise entretenus aux dépens du roi, quatre chevaux, un cocher et un postillon de même.

Pour l'habillement de l'ordonnance, il est pareil à celui du roi du grand-veneur ; ils ont des trompes.

Voilà l'état des commandants de la vénerie du roi.

Ecuyer. Celui de l'écuyer est de même.

Gentilshommes. Celui des gentilshommes est de trois mille livres payées sur la cassette. S. M. leur donne des pensions et gratifications suivant leur ancienneté et la volonté de S. M. Ils n'ont rien sur l'état des appointements de la vénerie ; leur habillement est pareil à celui du commandant ; leur service est d'aller au bois, de piquer à la queue des chiens, ils ne sont pas tenus d'autres services ; ils avancent au grade de commandant : ils sont deux dans la vénerie.

Pages. Les pages sont au nombre de deux ; on les prend fort jeunes suivant l'usage ; ils apprennent à connaître les chiens, à aller au bois ; ils ont deux chevaux à la chasse, pour apprendre cet art. Leur service est d'aider à aller rompre ; d'être sur les ailes à voir ce qui se passe, pour se rendre utiles. Ils parviennent au grade de gentilhomme. Leur habillement est pour la chasse le surtout des pages de la grande-écurie, et l'habit de grande livrée de la petite écurie, chapeau bordé, bourdaloue, etc. Ils ont ceinturon, couteau de chasse, bottes, trompe, bas, souliers, quarante sols par jour, et une gratification sur la cassette pour leur bois et chandelle.

Piqueurs. L'état de la vénerie est de cinq piqueurs ; le premier et le plus ancien est chargé du soin et du détail de la meute ; les quatre autres sont pour aller au bois et piquer à la queue des chiens, les bien connaître, pour en distinguer la sagesse, la bonté et la vigueur, afin de les remarquer et avoir de la confiance dans les occasions aux plus sages.

Il faut, pour être bon piqueur, avoir passé les grades du service de la vénerie, pour en connaître les détails, avoir été au bois avec un bon maître pendant deux ans, cela ne ferait qu'une perfection de plus pour l'écolier. Toutes les saisons sont différentes pour le travail du bois ; il faut les avoir suivies avec attention et goût ; à vingt et vingt-cinq ans est l'âge pour les faire monter à ce grade, pour en tirer du service ; il le faut choisir dans les élèves, qu'il aime la chasse par goût et non par intérêt, ou pour avancer ; qu'il soit d'une bonne santé, vigoureux, ne craignant ni le froid ni le chaud, ni la pluie, neige, gelée, que tout lui soit égal ; qu'il ne craigne point de percer les enceintes, fourrées ou non, à la queue de ses chiens, ni de franchir un fossé ; il faut qu'un bon piqueur soit collé, pour ainsi dire, à ses chiens, pour les remarquer manœuvrer, et savoir quand il arrive du désordre par le change ou par la sécheresse, afin de leur aider dans ces occasions ; connaître les chiens timides dans le change, les chiens sages et hardis, et ceux en qui l'on n'a point encore de confiance, afin de savoir à quoi s'en tenir, et prendre son parti suivant les occurences ; savoir retourner à propos et prendre garde de le faire trop promptement dans les sécheresses au bord d'une route ou chemin, ou si des cavaliers auraient passé dans l'un ou l'autre, pour lors les chiens peuvent demeurer court, et le cerf s'en aller : choses à prendre garde dans une pareille incertitude, les uns retournent dans les voyes, les autres prennent avec des bons chiens au-dessus et au-dessous. Il faut pareillement qu'il s'applique à connaître son cerf par la tête, si elle est brune, blonde ou rousse ; si elle est ouverte, rouée ou serrée ; si le pelage est brun, blond ou fauve ; si c'est un pied long ou rond, creux ou paré, les pinces grosses ou menues, la jambe large ou étroite, haut ou bas jointe, les os gros ou menus ; de même la figure du pied de derrière, s'il y a quelque remarque à y faire, en revoir avec attention sur le terrain ferme, comme dans le terrain mol ou sableux, ce qui fait un changement au revoir. D'après toutes ces observations, le piqueur se distinguera dans tous les moments de la chasse, et fera peu de fautes : il faut prendre garde que le trop d'ardeur ne l'entraîne pour se faire voir un des premiers aux chiens, sans se donner la peine de mettre l'oeil à terre de crainte que cela ne l'arrière ; il arrivera du change, les chiens se sépareront, il tournera à une partie, il reverra d'un cerf devant eux sans savoir si c'est le cerf de meute, il est longtemps à se décider s'il rompra ou appuyera, cela le met dans l'embarras, et connaissant son cerf, il appuye ou arrête.

S'il peut avoir une bonne voix et une belle trompe, cela fait un ornement de plus à la chasse. Il faut qu'il soit sage sur le vin et le reste ; un veneur qui s'est trop adonné à l'un ou à l'autre vice, fait mal son service, il se trouve assommé par la débauche, et ne peut pas les jours de chasse remplir le service du bois où il Ve pour y dormir au coin d'une enceinte, et sa quête se fait tout d'un somme ; et à la chasse il est mou, fatigué, et ne remplit point les devoirs de sa place, pour lors il y faut mettre ordre ; il y a toujours une intervalle de trois jours d'une chasse à l'autre, c'est assez pour se reposer et réparer la fatigue de chaque chasse.

Les piqueurs ont cinq chevaux chacun à la chasse, ainsi que les commandants et gentils-hommes ; le premier est pour attaquer de meute, le second à la vieille meute, le troisième à la seconde, le quatrième aux six chiens, et le cinquième au relais volant, où il n'y a que des chevaux et point de chiens.

Le premier piqueur n'a que deux chevaux pour accompagner l'équipage au rendez-vous, et aux brisées où l'on attaque, et se promener ; il n'est tenu d'aucun autre service que de se trouver, s'il peut, à la fin de la chasse pour ramener les chiens au logis : il a de plus que les autres 300 livres pour le soin des chiens, 300 livres pour les têtes des cerfs qui lui appartenaient, que le roi prend ; il est chauffé et éclairé toute l'année.

L'habillement des piqueurs ne diffère des premiers que par les bordées, boutons, boutonnières, galons sur les coutures, bord de chapeau, le bordé, et boutonnière de la veste qui sont d'argent, et aux premiers ils sont or ; les grands galons sont les mêmes ; ceinturon et couteau de chasse de même, parements et collet de velours, la même position des galons pareille ; on leur donne une trompe à l'habillement comme à tous ceux qui en doivent avoir.

L'habit est bleu, doublé de rouge, parements de velours, et collet de même ; veste et culotte écarlate, l'habit bordé, boutons et boutonnières d'argent, un grand galon or et argent travaillé ensemble, l'or dans le milieu, et les deux bandes de chaque côté, large de plus de deux pouces ; un de ces grands galons est posé à côté des boutonnières, à chaque côté du haut en bas ; deux de ces grands galons sur le velours de chaque manche, un en bande, l'autre en pointe, et forme deux petits fers à cheval dessus et en dedans, et une bande de ce grand galon qui prend sous le premier galon qui couvre toute la couture du parement, et rentre en-dedans la manche ; il y a de même dessous un même galon qui fait le même effet, la poche est bordée d'un petit galon, et un grand qui couvre presque la poche, qui est en grande patte longue ; un autre grand galon qui est posé sur la poche au-dessous de la patte, remonte aux hanches, est plié de façon qu'il forme une pointe qui gagne la fourche de l'habit par derrière, où il y a encore un autre grand galon de chaque côté de ladite fourche croisé par en-haut, qui gagne les deux pointes du galon qui remonte de la poche, le tout lié ensemble ; en outre il y a deux bordés dans les plis, et deux grands galons de chaque côté ; sur toutes les coutures un galon d'argent large de deux pouces. Le ceinturon est couvert du même grand galon or et argent ; le bord de chapeau, le bourdaloue, bouton et ganse est pareillement donné. Les habits complets tels qu'ils sont dits, se montent à près de 700 livres : ceux du grand-veneur et commandant, etc. passent au-dessus à cause de l'or.

Appointements des piqueurs. Ils ont chacun 1100 liv. sur l'état des appointements de la vénerie ; ils sont payés, ainsi que tous ceux qui sont sur l'état de la vénerie, tous les mois ; ils ont ensuite chacun une pension sur le trésor ; il y en a de plus fortes les unes que les autres, depuis 300 liv. jusqu'à 480 ; il n'y en a point eu de 500 liv. S. M. donne à la S. Hubert à chaque piqueur 200 livres ; hors Versailles ils ont 10 sols par jour : le roi leur donne des pensions et gratifications sur sa cassette, aux uns plus, et les autres moins.

Valets de limiers. Les valets de limiers sur l'état de la vénerie, sont au nombre de huit, dont deux à cheval, pour faire avancer les relais ; les autres à pied, pour garder les cerfs détournés le matin, jusqu'à ce qu'on vienne attaquer, ou que l'on chasse.

Pour faire un bon valet de limier, il faut choisir parmi les dix valets de chiens, celui qui a le plus de bonne volonté, de goût pour la chasse, de bonne santé, vigoureux, intelligent ; le mettre entre les mains d'un maître habile, et l'y laisser deux ans pour qu'il connaisse chaque façon de travailler au bois dans les différentes saisons, et à juger les cerfs dans les différentes forêts, dont les pieds ne se ressemblent point ; d'après cela lui confier un limier et une quête : s'il ne se dédit pas après qu'il aura l'habit galonné, s'il a de la voix, de la trompe, qu'il sache mener un cheval, et qu'il ait de la conduite, on peut après l'avoir éprouvé étant valet de chien à cheval, si l'on en a été content, le faire monter à cheval pour faire avancer les relais ; c'est-là l'école pour faire un piqueur ; si tous les suffrages se réunissent en sa faveur, on peut lui donner la première place qui viendra à vaquer dans cette partie, et l'on ferait des élèves ; par ce moyen il y aurait toujours des sujets prêts à remplacer ceux qui manqueraient, sans s'arrêter aux rangs ; ce n'est pas que je conseille l'injustice, au contraire à chaque sujet qui aurait les qualités susdites, il y en aurait une bien grande de lui faire des passe-droits à leurs rangs ; mais je parle de ceux à qui la nature n'a pas donné les dons nécessaires pour la chasse ; il faut leur trouver des places à quoi ils puissent être bons, qu'elles soient à-peu-près équivalentes à ce qu'ils perdraient, afin qu'ils se trouvent dédommagés du temps qu'ils auront passé à faire leur possible pour atteindre aux talents qu'ils n'ont pas pu acquérir ; cela ferait des heureux, des contens, et l'équipage du roi se trouverait rempli de sujets capables ; bannir les ivrognes, les libertins, les paresseux, et faire faire un noviciat de six mois ou un an à ceux sur lesquels on jetterait les yeux pour les recevoir dans le service ; il ne faudrait pour cela ni protecteurs, ni recommandation, que les dispositions seules.

Valets de limiers. L'habillement des valets de limiers est pareil à celui des piqueurs sans nulle différence.

Les appointements sont de 360 liv. par an, payés fur l'état de la vénerie ; on leur a donné du vivant de monseigneur le comte de Toulouse, grand-veneur, par supplément qui est enregistré à la chambre des comptes, à chacun 150 liv. qu'ils reçoivent tous les ans ; une partie ont des pensions de 300 liv. chacun.

Le roi leur donne à la S. Hubert à chacun 24 liv.

Le grand-veneur 10 livres, aux étrennes chacun 48. liv.

Sa majesté leur donne au freouet à chacun 100 liv. et le grand-veneur 12 liv. 10 sols. Ils ont chacun environ six assemblées par année qui sont composées de trente bouteilles de vin commun, pris à l'échansonnerie du roi ; vingt livres de viande au grand commun, et vingt livres de pain à la paneterie, ce qui peut valoir en argent environ 72 liv.

Ils ont du grand-veneur 5 liv. 10 sols par chasse, et chaque fois qu'ils vont au bois pour reconnaître par ordre qu'il leur fait, environ 50 liv.

Ils ont 10 sols par jour en campagne hors de Versailles, ce qui leur fait 100 liv.

Cela leur fait environ 1200 liv. avec pension ; ils ont encore en sus les débris de leur habillement 100 liv. qui leur fait 1300 liv.

Chaque veneur qui Ve au bois doit avoir deux limiers, afin que s'il arrive accident à un, l'on ait pour ressource un autre qu'on aura dressé, ce qui mérite être expliqué.

Assemblées. Les assemblées autrefois étaient les déjeunés de chasse que l'on faisait porter aux rendez-vous, composées comme il est dit ci-dessus, de la quantité de pain, vin et viande ; depuis un temps dont je ne trouve nulle part la date, on a réglé les assemblées à deux par semaines ; les valets de limiers en ont une, et les valets de chiens l'autre ; que la meute du roi chasse ou ne chasse pas, elles sont délivrées sur le certificat du commandant, deux par semaine comme il est dit ; à la louveterie ils en ont pareillement deux, et au vautrait, qui est l'équipage du sanglier, la même chose, et même quantité de l'un et de l'autre.

Le jour de S. Hubert, elle est donnée double à la vénerie.

Valets de chiens. Pour le service des chiens il y a dix valets de chiens dans la vénerie, dont trois à cheval et sept à pied. Les trois à cheval vont au bois, et mènent chacun un relais pour la chasse. Le premier est la vieille meute ; le deuxième la seconde ; le troisième les six chiens : ils ont chacun un valet de chiens à pied. Chaque relais est composé de 16 à 18 chiens en deux hardes, une pour le valet de chiens à cheval, et une pour celui à pied : ainsi des deux autres relais.

Le valet de chiens à cheval étant arrivé à la place où doit être son relais, et avoir mis ses chiens à l'ombre dans l'été, et au soleil dans l'hiver, à l'abri des mauvais vents et pluie, il laisse auprès d'eux le valet de chiens à pied pour prendre garde qu'ils ne se mordent, ne se hardent, et qu'ils ne coupent point leurs couples ; et les attacher de façon à pouvoir se coucher.

Le valet de chiens à cheval doit aller en avant aux écoutes, du côté que doit venir la chasse, ou qu'on vienne l'avertir, afin de n'être point surpris de l'un ou de l'autre.

Il y a encore quatre valets de chiens à pied, dont un reste au chenil les jours de chasse ; ordinairement c'est celui qui se trouve de garde ce jour-là, pour avoir l'oeil aux chiens qui ne vont point à la chasse ; tenir le chenil bien propre, bien net, de belle paille blanche, et de bonne eau fraiche pour le retour de ceux qui ont chassé ; faire manger les limiers, les lices en chaleur, les boiteux, et panser les malades. Il reste trois valets de chiens à pied, à qui on donne deux chevaux à deux, pour aider à mener les chiens au rendez-vous ; et le troisième Ve à pied à la tête des chiens, pour les mener pareillement en route, comme à la chasse. Leur habillement est un habit de grande livrée du roi ; une veste bleue avec boutons et boutonnières d'argent ; une culotte de panne bleue, ou de drap comme ils la veulent ; un bord de chapeau, bourdaloue, gance et bouton d'argent. Les trois à cheval ont d'augmentation un surtout bleu, bordé de livrée, et une seconde culotte. Ils ont en sus une souquenille de coutil, pour le service du chenil : l'on habille ordinairement la vénerie tous les ans ; cela a varié pendant quelques années.

Leurs appointements sont de 20 sols par jour ; ils ont en sus 10 sols à tous les endroits hors de Versailles ; ils ont environ chacun deux assemblées par an, c'est-à-dire 30 bouteilles de vin, 20 livres de pain, et 20 livres de viande, qu'on leur délivre au grand-commun, à l'échansonnerie et à la paneterie pour chaque assemblée. A la S. Hubert le roi leur donne 400 liv. pour la brioche qui lui est présentée, et en sus quatre louis pour leur souper. Toute la famille royale, le grand-veneur, princes et seigneurs à qui l'on présente des brioches de S. Hubert, donnent chacun, et cela fait masse. Ils ont au partage 50 à 60 liv. environ. Le premier a 4 sols par jour pour le pansement des chiens, de plus que ses camarades.

Ils ont en sus les nappes des cerfs, les suifs dans la saison, les fumiers, et 10 livres pour leurs ustensiles, comme ciseaux, peignes, brosses, étrilles, tous les ans.

Les roi donne ses ordres au grand-veneur pour envoyer les équipages où il veut chasser ; le jour et l'endroit de la forêt où il juge à-propos de faire son rendez-vous ; le grand-veneur donne l'ordre au commandant ; le commandant aux officiers et autres, fait la distribution des quêtes. L'heure du départ de l'équipage se dit à celui qui en a la direction, qui est le premier piqueur à qui le commandant dit de même la distribution des relais, si elle se doit faire avant l'arrivée de la meute au rendez-vous.

Le plus ancien piqueur a le détail de l'équipage, ce qui concerne seulement la meute, pour avoir l'oeil que les valets de chiens fassent bien leur devoir ; que rien ne manque pour la propreté des chenils ; si la nourriture, si les farines, le pain, les mouées sont bonnes et fraiches ; si la paille n'a pas de mauvaise odeur ; s'ils sont bien peignés, bien brossés ; si l'on n'en passe pas légérement quelques-uns, et si on n'en oublie pas ; si à l'ébat il ne s'en trouve pas de malades, de boiteux, de tristes, afin de les faire examiner et traiter suivant le mal, et les faire séparer.

Le boulanger de la vénerie est habillé de drap bleu, parement rouge, bordé, boutons et boutonnières d'argent, veste bordée et culotte rouge, bord, bourdaloue, bouton et gance. Il a 30 sols par jour, et 10 sols hors de Versailles ; il est logé, chauffé, éclairé, c'est-à-dire une chandelle par jour ; il a à son profit la braise et la cendre.

Distinctions accordées aux officiers de la vénerie du roi. (M. de la Briffardière.) Nos rois ont accordé de tout temps de grands privilèges aux officiers de leur vénerie.

Il y a une ordonnance de Philippe Auguste, rendue en 1218, qui donne aux officiers de la vénerie différentes exemptions et privilèges ; et en 1344, Philippe le Bel les exempta de toutes contributions de tailles, subsides, d'emprunts, de guet, de gardes, de péages, passage et logement de guerre.

Ces exemptions et privilèges furent confirmés depuis successivement en 1547 par Henri II. en 1594 par Henri le Grand, en 1639 par Louis XIII. qui déclare en outre tous les officiers de la vénerie et fauconnerie commensaux de sa maison, et en cette qualité exempts de taille et de tout autre subside.

Enfin par la déclaration rendue à Poitiers par le feu roi, en l'année 1652, en faveur des officiers de la vénerie, il est dit expressément :

" Nous confirmons par ces présentes, tous les privilèges, franchises, libertés et immunités, exemptions et affranchissements accordés aux officiers de nos maisons royales, employés aux états de la cour des aides, et à leurs veuves durant leur viduité, voulant qu'elles soient quittes de toutes contributions ".

Sous le règne d'Henri le Grand, le duc d'Aumale était grand-veneur, après lui le duc d'Elbœuf, et depuis le règne de Louis XIII. jusqu'à présent, on a Ve la charge de grand-veneur exercée successivement par M. le prince de Condé, M. le duc de Montbazon, M. le prince de Guimené, M. le chevalier de Rohan, M. le duc de la Rochefoucault, M. le comte de Toulouse ; après la mort de M. le comte de Toulouse, M. le prince de Dombes a fait les fonctions de grand-veneur jusqu'à la majorité de M. le duc de Penthièvre, qui l'a exercée jusqu'à la majorité de M. le prince de Lamballe, qui a eu la survivance de M. le duc de Penthièvre.

Ecurie pour le service de la vénerie. Après avoir détaillé le nombre d'officiers qui sont sur l'état du service de la vénerie, je vais faire celui de l'écurie pour le même service.

Il y a un écuyer qui a l'habit complet comme le commandant, de même 1500 liv. sur l'état des appointements, et aussi 3000 liv. sur la cassette. Sa majesté lui donne en sus des pensions et gratifications suivant sa volonté ; il a un carrosse, deux chevaux, pour le mener ; il a une chaise pour aller au rendez-vous et voyage, avec plusieurs chevaux pour relayer, un cocher, un postillon payés et habillés sur l'état de la vénerie.

Un sous-écuyer pour l'acquisition des chevaux, qui a 1000 francs sur l'état ; il a des pensions et gratifications suivant la volonté du grand-veneur. On lui paye son habillement, et à chaque voiture de chevaux anglais qu'il achète, il a une gratification et tous ses frais payés.

Il y a en sus un piqueur, habillé avec le même uniforme que ceux de l'équipage ; il a de plus une redingote bleue, bordée d'argent, avec boutons et boutonnières : mais cela ne se donne que tous les trois habillements ; il a une culotte rouge de plus. Ses appointements sont de 1000 francs ; il a des pensions et gratifications en sus. Son service est de dresser les chevaux, et les proposer à l'écuyer pour être donnés suivant ceux à qui ils peuvent servir ; d'avoir l'oeil que rien ne leur manque pour la nourriture, les soins ; et les jours de chasse, placer pour chacun aux relais, les chevaux destinés au service, et en état de marcher.

Il y a de plus un aide à monter à cheval pour le soulager à dresser les jeunes chevaux et réduire les fougueux, qui a un surtout bleu bordé d'argent, avec boutons et boutonnières de même : il a pareillement la redingote de même que le piqueur, la veste est rouge bordée d'argent, boutons et boutonnières et deux culottes, les parements de l'habit sont de drap rouge, ainsi que la doublure qui est de la même couleur en serge.

Il y a un délivreur pour les fourrages, qui a le même uniforme que l'aide à monter à cheval.

Il y a un maréchal, qui a le même uniforme que l'aide à monter à cheval. Il a 50 sols par mois pour chaque cheval, pour leur fournir les fers, les médicaments, etc. on lui passe un garçon sur l'état de la vénerie.

Le sellier est habillé de même uniforme ci-dessus ; on lui passe un garçon sur l'état ; on lui fournit tout ce qui concerne son état.

Les palfreniers sont habillés d'un habit de grande livrée, veste bleue, bordée d'un galon de soie, une culotte de drap ou panne, un manteau tous les trois habillements, bord de chapeau, bourdaloue, bouton et gance ; ils ont 20 sols par jour, et 10 sols d'augmentation hors Versailles : ils ont chacun quatre chevaux à panser ; on leur donne 25 liv. pour les bottes.

Il y a en sus des surnuméraires, qui ont surtout de bouracan, veste, culotte de drap, bord de chapeau comme les palfreniers ; ils n'ont point de manteau, et on leur donne la même paie. Il y en a à-peu-près autant comme de palfreniers à la grande livrée, c'est-à-dire de trente-six à quarante ; cela ferait de soixante-douze à quatre-vingt pour les deux parties. Mais ceux de la petite meute sont compris dans ce même nombre de palfreniers et surnuméraires, et les autres détaillés ci-devant, ne sont que pour le service de la grande meute : on leur donne 25 livres pour les bottes.

Le grand-veneur n'a point de nombre de chevaux marqué pour lui ; il en fait mettre à son rang ce qu'il juge à propos.

Le commandant en a six à son rang, et toujours cinq à la chasse ; un de meute, un de vieille meute, un de seconde vieille meute, un de six chiens, et un de relais volant.

Les deux gentilshommes en ont autant et même position.

Chaque piqueur autant, hors celui qui a le détail de la meute, qui n'en a que deux.

Les pages en ont chacun deux à la chasse, et un qui se repose à l'écurie.

Les deux valets de limiers à cheval ont chacun trois chevaux à leur rang, dont deux à la chasse, et un qui se repose pour chacun.

Les trois valets de chiens à cheval en ont chacun un à chaque chasse ; s'il s'en trouve un de boiteux, ou malade d'une chasse à l'autre, on en prend un dans les chevaux de suite, dont il y en a un certain nombre pour monter les palfreniers qui sont destinés à relayer ceux pour qui on leur donne des chevaux à chaque relais.

L'on fait monter le nombre des chevaux pour le service des deux meutes du cerf ; les chevaux neufs, ceux du service, ceux de carrosse et de chaise, ceux de suite, au nombre de 300 chevaux.

La nourriture des chevaux de la vénerie est un boisseau d'avoine par jour, en deux ordinaires, mesure de Paris, une botte de foin, et une botte de paille, du poids chaque de 10 à 11 livres.

La grande vénerie du roi était composée sous le règne de Louis XIII. d'un grand-veneur, quatre lieutenans, quatre sous-lieutenans, quarante gentilshommes de la vénerie qui servaient, savoir un lieutenant et un sous-lieutenant et dix gentilshommes par trois mois. Il y a encore huit gentilshommes ordinaires qui ont été choisis de tout temps parmi les susdits nommés pour servir actuellement dans la vénerie ou le temps qu'il plait au roi, qui sont ceux à qui l'on doit avoir plus de créance quand le choix en a été bien fait.

Il y a aussi deux pages de la vénerie, quatre aumoniers, quatre médecins, quatre chirurgiens et quatre maréchaux, un boulanger, douze valets de limiers servant trois par trois mois, et deux ordinaires que l'on appelle de la chambre, quatre fourriers servant aussi un par quartier, quatre maîtres-valets de chiens à cheval et un ordinaire, douze valets de chiens à pied servant par quartier, quatre ordinaires qui sont deux grands et deux petits valets de chiens qui doivent demeurer auprès des chiens jour et nuit.

La vénerie du roi était composée en 1763 d'un grand-veneur, Mgr. le prince de Lamballe : d'un commandant, M. de Lasmartre : d'un écuyer, M. de Vaudelot : deux gentilshommes, deux pages, quatre piqueurs, huit valets de limiers, dont deux à cheval : dix valets de chiens, dont trois à cheval, un boulanger, un châtreur.

Sa Majesté a en-sus une seconde meute pour le cerf sous les ordres du même grand-veneur, qui est servi par une partie des officiers du grand équipage : un commandant, M. Dyauville, d'augmentation : le même écuyer de la grande meute, un gentilhomme de la grande meute et un d'augmentation, un des deux pages de la grande meute, trois piqueurs d'augmentation, deux valets de limiers de la grande meute, dix valets de chiens d'augmentation, un boulanger d'augmentation, un maréchal d'augmentation, un aide-à-monter à cheval d'augmentation, un garçon délivreur d'augmentation, et environ 120 chiens sans les limiers, un aumônier, un médecin, un chirurgien, un trésorier en charge, un argentier en charge, un contrôleur, un sous-écuyer, un piqueur pour l'écurie, un aide-à-monter à cheval, un délivreur, un sellier, un maréchal, environ 300 chevaux pour le service des deux meutes, plus de trente-six palfreniers avec l'habit de grande livrée, et environ un pareil nombre avec des surtouts et la même paie.

Sous les règnes précédents la vénerie était bien plus considérable ; et presque tous les employés étaient en charge. Salnove et la Briffardière en font le détail.

Louis XIII. créa six officiers ordinaires qui demeurent dans la vénerie sans en sortir, pour faire chasser et piquer à la queue des chiens ; ils sont réduits aujourd'hui à quatre, qui sont les quatre piqueurs qui avaient sur l'état le titre de gentilhomme, qui ne leur est pas continué sur l'état de distribution des appointements sous ce regne-ci.

La plupart des charges de la vénerie ont été supprimées à la mort de Mgr. le comte de Toulouse, grand-veneur, en 1737 ; il y en a encore quelqu'une de lieutenant, dont ceux qui servent, ne sont pas pourvus : une de trésorier, une d'argentier ; voilà celles qui sont à ma connaissance ; toutes les autres places qui sont occupées dans la vénerie, le sont par des officiers et autres que le grand-veneur propose au roi, et qu'il reçoit, suivant les talents, le mérite ou l'ancienneté.

Les charges ci-dessus dépendent du grand-veneur ; elles sont à son profit.

En 1764 j'ai fait le relevé des charges de la vénerie chez M. le grand-veneur à l'hôtel de Toulouse à Paris. Voici ce qu'on m'a donné.

Un lieutenant ordinaire, quatre lieutenans par quartiers. Le roi nomme et donne ces places et charges.

Quatre sous-lieutenans par quartier, six gentilshommes. M. le grand-veneur donne ces places et charges.

Compagnie des gardes à cheval. Un lieutenant, un sous-lieutenant, six gardes.

Ordre pour la chasse. Quand le roi veut chasser avec son équipage de la vénerie, il en fait part au grand veneur, de l'endroit, du jour, du lieu de l'assemblée, et de l'heure qu'il se rendra au rendez-vous ; le grand veneur le dit au commandant de la vénerie, qui se rend au chenil à l'heure du souper des chiens ; tous les gentilshommes, officiers et autres du service s'y trouvent ; là il fait la distribution des quêtes à chacun suivant leur rang ; leur dit le rendez-vous et l'heure que le roi s'y rendra ; il dit aussi l'heure qu'il faut que les chiens partent du logis pour le rendez-vous, et si l'on séparera des relais en chemin ; le premier piqueur prend ses ordres sur tout cela. Dans le partage des quêtes il met ordinairement un valet de limier à pied dans chaque quête avec un des officiers ci-dessus à cheval ; celui qui est à pied, reste pour garder les cerfs qui se trouvent dans leurs quêtes, et celui qui est à cheval, se rend au rendez-vous pour faire le rapport et conduire à ses brisées ; si l'on Ve à lui, il prend un peu devant pour demander à son compagnon si le cerf n'est pas sorti de l'enceinte où il était détourné ; s'il y est encore, au carrefour au pied de l'enceinte l'on fait prendre les chiens ; on envoie du monde tout-autour de ladite enceinte ; on Ve aux brisées avec une demi-douzaine de chiens, qui sont découplés derrière le valet de limier dans la voie aux brisées ; le valet de limier prend la voie avec son limier, et croise l'enceinte pour lancer le cerf. Les piqueurs entrent à cheval, font du bruit, foulent l'enceinte jusqu'à ce que le cerf soit parti ; si-tôt qu'il a été vu, on crie tayoo ; si c'est à une route ou à un chemin, on fait avancer les chiens de meute et on les découple dans la voie juste, et on chasse.

Si dans l'endroit que le roi juge à-propos de chasser, il faut que les veneurs aillent coucher dehors (c'est-à-dire à portée de leurs quêtes), le commandant fait avertir, et à son retour du château il distribue l'ordre et les quêtes, afin qu'on ait le temps d'arriver de bonne heure à l'endroit qui est le plus prochain village de leur quête, et l'on n'attend pas à l'heure du souper des chiens pour donner l'ordre ces jours-là.

Depuis plusieurs siècles que les chasseurs ont reconnu S. Hubert pour leur patron, il n'y a point de royaume, souveraineté ni principauté où il y ait des meutes et véneries, qui n'en célèbre la fête par une grande chasse qui se fait ce jour-là, qui arrive le 3 Novembre, même les princes protestants en Allemagne. La famille royale ce jour-là accompagne sa majesté à la chasse, les princes et seigneurs s'y joignent, et cela fait un concours bien brillant ; ce jour-là on dit une messe du grand matin, où les veneurs qui vont aux bois, se trouvent ; l'on y rend un pain beni au nom du roi pour la vénerie ; c'est le premier piqueur qui en est chargé ; le commandant porte le cierge, et Ve à l'offrande. On donne un écu pour la messe et un morceau de pain beni au prêtre ; le reste est partagé aux officiers du service. Les valets de chiens de la vénerie y font bénir pareillement les brioches qui doivent être présentées au roi, à la reine, à la famille royale, au grand-veneur, à tous les princes et seigneurs de la cour ; sa majesté donne pour la brioche des valets de chiens 400 liv. et quatre louis pour leur souper ; le chirurgien de la vénerie a 400 liv. chaque piqueur 200 liv. chaque valet de limiers 24 liv. le boulanger 48 liv. le châtreur 150 liv. Sa majesté donne en-sus pour l'écurie une somme.

Le grand-veneur donne à l'équipage du roi 100 l. pour les piqueurs, 80 l. pour les valets de limiers, 40 liv. pour les valets de chiens, et 16 pour le boulanger. La reine donne aussi à la S. Hubert pour la vénerie 800 liv. dont 400 liv. pour les piqueurs, 200 liv. pour les valets de limiers, et 200 liv. pour les valets de chiens.

Sa majesté donne aussi ce jour-là l'assemblée double, c'est-à-dire que chaque chasse, ou deux fois la semaine, il est donné sur le certificat du commandant vingt livres de pain à la paneterie, trente-deux bouteilles de vin à l'échansonnerie, et vingt livres de viande de boucherie au grand commun, pour chaque assemblée ; et le jour de S. Hubert il est délivré 40 livres de pain, 64 bouteilles de vin et 40 livres de viande : le tout est doublé ce jour-là ; cela appartient aux valets de limiers et valets de chiens, qui l'ont chacun leur tour, c'est-à-dire, un valet de limiers l'a au commencement de la semaine, et un valet de chiens à la fin. Ces assemblées étaient autrefois les déjeunés de chasse que le roi faisait porter au rendez-vous pour les veneurs ; depuis un temps qui m'est inconnu, il a été réglé comme il est dit ci-dessus ; j'en ai parlé ailleurs. Article de M. VINFRAIS l'ainé, de la vénerie du roi.

VENERIE ROYALE, (Géographie moderne) maison de plaisance des rois de Sardaigne, entre le Pô, la Sture et la Doria, à 3 milles de Turin. Les François incendièrent ce beau palais en 1693. Long. 25. 14. lat. 45. 56.