Nous connaissons aujourd'hui deux sortes de sel ammoniac, le naturel et le factice.

Le sel ammoniac naturel se tire des soufrières de Pouzzol, dans cette grande fosse dont il est fait mention à l'article de l'ALUN. Voyez ALUN. Il y a des fentes dans quelques endroits, d'où l'on voit sortir de la fumée le jour, et des flammes la nuit. On entasse sur ces fentes des monceaux de pierres ; les évaporations salines qui sont continuellement élevées par les feux souterrains, passent à-travers ces monceaux, et laissent sur les pierres une suie blanche, qui forme après quelques jours une croute de sel. On ramasse cette incrustation, et on lui donne le nom de sel ammoniac. Cette suie blanche ou ces fleurs ont vraiment un goût de sel ; elles se fondent dans l'eau, et elles se crystallisent en tubes, qui ne paraissent pas différents de ceux du sel marin. Ce sel parait approcher beaucoup du sel ammoniac des anciens ; et il parait qu'on en doit trouver de la même nature dans plusieurs autres endroits, où il se fait des évaporations de sel fossîle par les feux souterrains.

M. d'Herbelot rapporte dans sa Bibliothèque orientale, que dans le petit pays de Boton en Asie, il y a une grotte où l'on voit de la fumée pendant le jour, et des flammes pendant la nuit, et qu'il se condense sur les parois de cette cavité un sel ammoniac, que les habitants du pays appellent nuschader. La vapeur qui forme ce sel est si pénétrante, que les ouvriers qui travaillent dans cette grotte y périssent lorsqu'ils y restent un peu trop longtemps.

Nous avons deux sortes de sel ammoniac factice ; l'une vient des Indes ; elle est de couleur cendrée et en pains de figure conique, comme nos pains de sucre. Nous tirons l'autre d'Egypte et de Syrie, par la voie de Marseille ; elle est en forme de pains ronds et plats, d'un palme ou deux de diamètre, et de trois ou quatre doigts d'épaisseur, concaves sur l'une des faces, et convexes sur l'autre, avec une petite cavité au centre de cette face. Ces pains sont raboteux et de couleur cendrée au-dehors, et blanchâtres, transparents, et cannelés au-dedans. Leur goût est salé, acre et piquant. Cette seconde sorte de sel ammoniac est beaucoup plus commune que la première, qui commence à être fort rare en ce pays-ci.

Il y a eu plusieurs opinions sur la formation et sur la composition du sel ammoniac factice. Les uns disaient qu'il venait des urines que les chameaux répandent sur les sables de la Libye, et que c'était le sel fixe de ces urines que la chaleur des sables faisait sublimer ; mais cela n'est rapporté par aucun auteur digne de foi. Cette opinion parait aussi fausse, par rapport à notre sel ammoniac, que par rapport à celui des anciens, comme on l'a déjà dit. D'autres croyaient que pour faire le sel ammoniac, on ramassait l'urine des chameaux ou des autres bêtes de charge, qu'on la faisait évaporer ; et qu'après plusieurs lotions, on modelait le résidu en forme de pains. Enfin d'autres prétendaient que ce sel était composé de cinq parties d'urine d'homme, d'une partie de sel marin, et d'une demie-partie de suie ; que l'on faisait évaporer toute l'humidité de ce mélange, et sublimer le résidu ; qu'ensuite on dissolvait la matière que donnait la sublimation, et que l'on faisait évaporer la dissolution pour tirer le sel ammoniac. Malgré tout cela, nous ne saurions pas encore la vraie préparation de ce sel, sans le Père Sicard Jésuite, missionnaire en Egypte, qui a rapporté le procédé que l'on suit pour cette préparation. Voici en peu de mots ce qu'il en dit, dans les nouveaux mémoires des Missionnaires de la Compagnie de Jesus, dans le Levant. Tome II.

" On fait du sel ammoniac dans plusieurs lieux d'Egypte, comme Damaier et Mehallée ; mais surtout à Damaier, qui est un village dans la partie de l'Egypte appelée Delta, aux environs de la ville de Mansoura. On met une certaine suie dans de grandes bouteilles de verre d'un pied et demi de diamètre avec un peu de sel marin dissous dans de l'urine de chameaux ou d'autres bêtes de somme. On remplit les bouteilles jusqu'à la moitié ou aux trois quarts, et on les range au nombre de vingt ou trente sur un fourneau bâti exprès pour cet usage ; on entoure les bouteilles avec de la terre-glaise, de façon que leur col ne passe que d'un demi-pié au-dessus de la terre ; alors on met le feu au fourneau, on l'augmente par degré ; et lorsqu'il est poussé à un certain point, on l'entretient pendant trois jours et trois nuits. Pendant ce temps, il se sublime une matière qui s'attache au col des bouteilles, et il reste au fond une masse noire ; la matière sublimée est le sel ammoniac. Il faut pour la préparation de ce sel une suie qui ait été produite par les excréments des animaux, surtout des chameaux ". Cette suie est fort commune en Egypte ; car le bois y étant fort rare, on brule les excréments des animaux mêlés avec la paille ; on en fait de petites masses semblables à celles que les Tanneurs font avec le tan, et qu'ils appellent mottes à bruler : en Egypte on donne le nom de gelées à celles qui sont faites avec la fiente des animaux. Geoffroy, Mat. med. tom. I. Voyez SEL. (I)

LE SEL AMMONIAC, si l'on en croit l'illustre Boerhaave, garantit toutes les substances animales de la corruption, et pénètre les parties les plus intimes des corps ; il est apéritif, atténuant, résolutif, diaphorétique, sudorifique, antiseptique, et diurétique, propre à irriter les nerfs et à provoquer l'éternument ; il n'agit point sur le corps humain par une qualité acide ou alkaline, mais par une autre beaucoup plus pénétrante que celle du sel commun ; on l'ordonne à la dose d'un scrupule mêlé avec d'autres substances, dans les fièvres intermittentes, dans les obstructions.

On en fait un gargarisme de la façon suivante dans la paralysie de la langue, dans le gonflement des amygdales : prenez de l'eau de fleurs de sureau, six onces ; de l'esprit de cochléaria, une once ; du sel ammoniac, un gros : mêlez-les ensemble, et faites-en un gargarisme.

Le sel ammoniac, dissous avec la chaux dans un vaisseau de cuivre, donne une eau ophtalmique qui est de couleur bleue.

Le sel volatil et l'esprit volatil urineux du sel ammoniac s'ordonnent à la dose de douze grains pour le sel volatil, et de douze gouttes pour l'esprit et sel aromatique huileux. Toutes ces préparations sont bonnes pour réveiller et irriter dans les affections soporeuses, dans l'affection hystérique.

On emploie l'esprit de sel ammoniac pour frotter les parties affligées de rhumatisme. Il ne faut point ordonner les esprits volatils seuls ; car ils irritent et brulent les membranes de l'oesophage et des intestins, comme des caustiques.

Les sleurs martiales de sel ammoniac sont un excellent apéritif ; elles s'ordonnent jusqu'à la dose d'un scrupule. Ces fleurs mises dans l'eau-de-vie, donnent la teinture de Mars de Mynsicht.

Le sel fébrifuge de Sylvius est le résidu ou le caput mortuum de la distillation du sel ammoniac avec le sel de tartre. Ce sel crystallisé se donne à un gros, et davantage, dans les fièvres intermittentes et autres maladies. (N)

* AMMONIAQUE (GOMME) ; c'est un suc concret qui tient le milieu entre la gomme et la résine. Il s'amollit quand on le manie, et devient gluant dans les mains. Il est tantôt en gros morceaux formés de petits grumeaux, rempli de taches blanches ou roussâtres, parsemé dans la substance d'une couleur sale et presque brune ; de sorte qu'on peut fort bien le comparer au mélange de couleurs que l'on voit dans le benjoin amygdaloïde : tantôt cette gomme est en larmes ou en petits grumeaux compacts et solides, semblables à de l'encens, jaunâtres et bruns en-dehors, blancs ou jaunâtres en-dedans, luisans et brillans. Sa saveur est douce d'abord, ensuite un peu amère : son odeur est pénétrante, et approche de celle du galbanum, mais elle est plus puante ; elle s'étend facilement sous les dents sans se briser, et elle y devient plus blanche : jetée sur des charbons ardents, elle s'enflamme, et elle se dissout dans le vinaigre ou dans l'eau chaude. On nous l'apporte d'Alexandrie en Egypte.

Pour l'usage on préfère le suc en larmes aux gros morceaux ; il faut choisir celles qui sont grandes, pures, seches, qui ne sont point mêlées de sable, de terre ou d'autres choses étrangères. On les purifie quand elles sont sales, en les faisant dissoudre dans du vinaigre ; on les passe ensuite et on les épaissit.

Dioscoride dit que c'est la liqueur d'un arbre du genre de la férule, qui nait dans cette partie de la Libye, qui est près du temple de Jupiter-Ammon. M. Geoffroy dit qu'elle découle comme du lait, ou d'elle-même, ou par l'incision que l'on fait à une plante ombellifère, dont on n'a pas encore la description. Au reste, les graines qu'on trouve dans les morceaux de cette gomme, font bien voir qu'elle est le suc d'une plante ombellifère ; car elles sont foliacées, semblables à celles de l'anet, mais plus grandes. L'auteur que nous venons de citer, ajoute que la plante qui les porte croit dans cette partie de l'Afrique qui est au couchant de l'Egypte, et que l'on appelle aujourd'hui le royaume de Barca.

Cette gomme donne dans l'analyse chimique par la distillation du phlegme limpide, roussâtre, odorant et un peu acide ; du phlegme urineux ; de l'huîle limpide, jaunâtre, odorante, et une huîle épaisse, roussâtre et brune.

La masse noire restée dans la cornue, calcinée au creuset pendant vingt heures, a laissé des cendres brunes dont on a tiré par lixiviation du sel alkali fixe.

D'où l'on voit que cette gomme est composée de beaucoup de soufre, soit grossier, soit subtil, mêlé avec un sel de tartre, un sel ammoniacal, et un peu de terre.

Elle est apéritive, atténuante, détersive ; elle amollit, digère, résout ; elle excite les règles ; elle fond les duretés et les tumeurs scrophuleuses.

On la donne en substance depuis un scrupule jusqu'à un demi-gros ; elle fait un excellent emménagogue, et pour cet effet on l'emploie en pilules et en bols avec les préparations de mars et les fleurs de sel ammoniac.

Les préparations de la gomme ammoniaque sont les pilules, l'emplâtre et le lait.

Emplâtre de gomme ammoniaque : prenez de la gomme ammoniaque plus de six onces ; de la cire jaune, de la résine, de chacune cinq onces ; de l'emplâtre simple de mélilot, de l'onguent d'althéa, de l'huîle d'iris, de la terebenthine de Venise, de chacun une once et demie ; de la graisse d'oie, une once ; du sel ammoniac, des racines de bryone, d'iris, de chacune demi-once ; du galbanum, du bdellium, de chacun deux gros : faites cuire le tout jusqu'à consistance de cérat : on doit employer bien de la précaution dans cette composition (voyez EMPLATRE) ; on en fait peu d'usage.

Lait d'ammoniac : prenez de la gomme ammoniaque la plus pure, trois gros ; faites-la dissoudre dans six onces d'eau d'hysope : ce remède est bon dans l'asthme et la respiration gênée.

Pilules de gomme ammoniaque : prenez de la gomme ammoniaque préparée avec le vinaigre de squille, deux onces ; du meilleur aloès, une once et demie ; de la myrrhe, du mastic, du benjoin, de chacun demi-once ; du safran de mars, du sel d'absinthe, de chacun deux gros ; du sirop d'absinthe, une suffisante quantité pour en faire des pilules ; elles sont un grand apéritif : on en peut user à la dose d'un demi-gros par jour le matin et le soir. (N)