Louis XII. commença à mettre en vente les offices, mais ce ne fut que ceux de finance. Nicole, Gilles et Gaguin disent à ce sujet, " Que ce fut pour s'acquitter des grandes dettes faites par Charles VIII. son prédécesseur, pour le recouvrement du duché de Milan, et ne voulant surcharger son peuple, qu'il prit de l'argent des offices, dont il tira grandes pécunes. Loyseau, tom. III. chap. j. n°. 86. D'ailleurs il défendit par un édit de 1508, la vente des offices de judicature ; mais comme en France une ouverture pour tirer de l'argent, étant une fois commencée, s'accrait toujours ", le roi François I. étendit la vente des offices de finance à ceux de judicature.

Ce n'est pas que longtemps auparavant il n'y eut une manière indirecte de mettre les offices à prix d'argent, comme il parait par la chronique de Flandre, c.xxxiij. où il est dit que le roi Philippe-le-Bel, " poursuivant la canonisation de saint Louis, en fut refusé par le pape Boniface VIII. parce qu'il fut trouvé qu'il avait mis ses bailliages et prevôtés en fermes ". C'est qu'on se servait alors du prétexte d'affermer les droits domaniaux, et on baillait quant et quant à ferme l'office de prevôt, vicomte, etc. parce qu'ils administraient tout-à-la-fais la ferme et la justice ; mais ce n'était point vendre les offices, comme on le fit depuis, et l'on pouvait dire que ce n'était que la terre que l'on affermait.

Ainsi donc le règne de François I. est l'époque qui parait la plus vraisemblable de la vénalité des charges, parce qu'alors il y en eut de vendues en plus grand nombre ; mais y a-t-il une loi qui fixe cette époque ? et comment peut-on expliquer ce qu'on lit par-tout d'offices, même de judicature, qui furent vendus longtemps avant ce règne, et de la défense qui en fut faite depuis ?

Pour répondre d'abord aux exemples de la vente de quelques offices de judicature, antérieure au règne de François I. il parait certain à M. le président Hénault, que la vénalité de ces sortes d'offices n'était pas même tolérée ; les ordonnances de Charles VII. de Charles VIII. et de Louis XII. en fournissent la preuve ; cette preuve se trouve encore antérieurement. Voyez le dialogue des avocats intitulé Pasquier. Voyez le vol. VII. du recueil des ordonnances ; on y lit dans les lettres du 19 Novemb. 1393, concernant les procureurs du Châtelet de Paris, pour cause de ladite ordonnance, ledit office de procuration était accoutumé d'être exposé en vente, et par titres d'achat, aucuns y avaient été ou étaient pourvus. On voit des plaintes des Etats-généraux à Louis XI. dans le recueil de Quênet, sur ce que l'on avait vendu des charges de judicature ; Philippe de Comines rapporte la même chose.

Les exemples de ces ventes sont en grand nombre, mais ces exemples nous fournissent en même temps la preuve, que ces ventes n'étaient point autorisées, par les plaintes que l'on en portait au souverain ; cela n'empêchait pas que ce trafic ne continuât par les grands ou les gens en place, qui vendaient leur crédit sans que le roi en fût informé, ou sans qu'il parut s'en apercevoir ; c'est dans ce sens qu'il semble que l'on doit entendre tous les passages qui déposent de la vénalité des charges ; c'étaient des abus, et par conséquent ce ne sont ni des autorités ni des époques.

Nous restons toujours au règne de François I. sans que ce prince ait cependant donné des lois au sujet de la vénalité ; loin de-là, pour sauver le serment que l'on était obligé de faire au parlement, de n'avoir point acheté son office ; ce trafic était coloré du titre de prêt pour les besoins de l'état, et par conséquent n'était pas une vente : à la vérité Henri II. se contraignit moins ; on lit dans un édit de 1554, qui règle la forme suivant laquelle on devait procéder aux parties casuelles pour la taxe et la vente des offices que ce prince ne fait aucune distinction des offices de judicature à ceux de finance, et qu'il ordonne que tous ceux qui voudraient se faire pourvoir d'office, soit par vacation, résignation, ou création nouvelle, feraient enregistrer leurs noms chaque semaine, et que le contrôleur-général ferait des notes contenant les noms et qualités des offices qui seraient à taxer, etc.

Le peuple qui croyait que la vénalité des charges entrainait celle de la justice, ne voyait pas sans murmurer ce système s'accréditer ; les grands d'ailleurs n'y trouvaient pas leur compte, puisqu'ils ne pouvaient mettre en place des hommes qui leur fussent dévoués ; ce fut par cette double raison que Catherine de Médicis, lors de l'avénement de François II. à la couronne, voulut faire revivre l'ancienne forme des élections.

Ce n'est pas que les élections n'eussent leur inconvénient ; car où n'y en a-t-il pas ? Elles étaient accompagnées de tant de brigues, que dans l'édit donné par François II. il fut dit que le parlement présenterait au roi trois sujets, entre lesquels le roi choisirait : les choses n'en allèrent pas mieux ; tous les offices vacans furent remplis de gens dévoués tantôt au connétable, tantôt aux Guises, tantôt au prince de Condé, et rarement au roi, en sorte que l'esprit de parti devint le mobîle de tous les corps bien plus que l'amour du bien public, et vraisemblablement une des causes des guerres civiles.

Sous le règne de Charles IX. le système de la vénalité reprit le dessus, et peut-être est-ce-là la véritable époque de celle des offices de judicature ; ce ne fut pas toutefois en prononçant directement que les offices de judicature seraient désormais en vente, mais cela y ressemblait beaucoup. Le roi permit à tous les possesseurs de charges qui, sans être vénales de leur nature, étaient réputées telles à cause des finances payées pour les obtenir, de les résigner en payant le tiers denier ; les charges de judicature qui étaient dans ce cas, entrèrent comme les autres aux parties casuelles ; le commerce entre les particuliers en devint public, ce qui ne s'était point Ve jusqu'alors ; et quand elles vinrent à tomber aux parties casuelles faute par les résignans d'avoir survécu quarante jours à leur résignation, on les taxa comme les autres, et on donna des quittances de finance dans la forme ordinaire.

On comprend que ce commerce une fois autorisé, les élections tombèrent d'elles-mêmes, et qu'il n'était pas besoin d'une loi pour les anéantir.

Ainsi on peut regarder les édits de Charles IX. à ce sujet, qui sont des années 1567 et 1568, comme les destructeurs de cet ancien usage de l'élection, qui n'a pas reparu depuis, malgré l'ordonnance de Blais de 1579, qui à cet égard n'a point eu d'exécution. Les dispositions de ces édits furent renouvellées en différentes fois par Charles IX. lui-même, et ensuite par Henri III. Enfin l'édit de 1604, qui a rendu héréditaires tous les offices sans distinction, même ceux des cours souveraines, a rendu à cet égard les offices de judicature de même nature que tous les autres, et depuis il n'a plus été question de charges non- vénales.

On pourrait conclure avec raison de ce qui vient d'être dit, que le règne de François I. ne doit pas être l'époque de la vénalité des charges : ce n'en est pas en effet l'époque, si j'ose dire judiciaire, mais c'en est la cause véritable, puisque ce fut sous son règne qu'une grande partie de ces charges s'obtint pour de l'argent.

Il résulte donc de ce détail que Charles IX. a établi positivement par ses édits la vénalité des offices de judicature ; celle des charges de finance l'avait été par Louis XII. et nous lisons dans les mémoires de Duplessis Mornay, tom. I. pag. 456. que ce furent les Guises qui mirent les premiers en vente les charges militaires sous le règne d'Henri III.

Telles sont les époques de la vénalité de toutes les charges dans ce royaume. Cette vénalité a-t-elle des inconvénients plus grands que son utilité ? c'est une question déjà traitée dans cet ouvrage. Voyez CHARGES, OFFICES, etc.

Nous nous contenterons d'ajouter ici qu'en regardant la vénalité et l'hérédité des charges de finance et de judicature comme utiles, ainsi que le prétend le testament politique du cardinal de Richelieu, on conviendra sans peine qu'il serait encore plus avantageux d'en restreindre le nombre effréné. Quant aux charges militaires, comme elles sont le prix destiné à la noblesse, au courage, aux belles actions, la suppression de toute vénalité en ce genre ne saurait trop tôt avoir lieu. (D.J.)