De cette salle on passe dans une autre beaucoup plus spacieuse, dont la voute est élevée de neuf à dix pieds. Dans un endroit de la voute on voit une ouverture large d'un pied et demi, longue de neuf pieds, et qui parait avoir deux pieds de profondeur, dans laquelle on voit quantité de figures pyramidales. Cette salle est admirable par sa grandeur, ayant quatre-vingts pieds de long : elle est remplie de gros quartiers de pierre, entassés confusément en quelques endroits, et épars dans d'autres, ce qui la rend incommode au marcher. A main droite il y a une espèce de lac qui peut avoir cent ou cent vingt pieds de diamètre, dont les eaux sont claires et bonnes à boire.

A main gauche de cette salle, on entre dans une troisième, large de quinze pas et longue de deux cens cinquante. La voute est d'une figure un peu plus ronde que les précédentes, et peut avoir dix-huit pieds d'élévation. Ce qui parait le plus extraordinaire, c'est qu'il y a trois voutes l'une sur l'autre, la plus haute étant supportée par les deux plus basses. Environ le milieu de cette salle on voit quantité de petites pyramides renversées, de la grosseur du doigt, qui soutiennent la voute la plus basse, et qui paraissent avoir été rapportées de dessein pour orner cet endroit. Cette salle se termine en s'étrécissant, et sur les extrémités d'un et d'autre côté on voit encore un nombre infini de petites pyramides, qu'on croirait être de marbre blanc. Le dessus de cette voute est tout rempli de mammelles de différentes grosseurs, mais qui toutes distillent quelques gouttes d'eau par le bout. A main droite il y a une espèce de petite grotte, qui peut avoir deux pieds en carré, et qui est enfoncée de trois ou quatre pieds, remplie d'un si grand nombre de petites pyramides, qu'il est impossible de les compter. Au bout de cette salle, à main droite, on trouve une petite voute de deux pieds et demi de haut et de douze pieds de longueur, dont l'un des côtés est soutenu par un rocher : elle est aussi garnie d'un si grand nombre de pyramides, de mammelles, et d'autres figures, qu'il est impossible d'en faire une description : on y aperçoit même des coquilles de différentes figures et grandeurs.

Cette petite voute conduit à une autre un peu plus élevée, remplie d'un nombre infini de figures de toutes manières. A main gauche on voit des thermes de perspective, soutenus par des piliers de différentes grosseurs et de différentes figures, parmi lesquels il y a une infinité de petites perspectives, des piliers, des pyramides, et d'autres figures qu'il est impossible de décrire. Un peu plus avant, du même côté, on découvre une petite grotte dans laquelle on ne peut entrer ; elle est fort enfoncée et admirable par la quantité de petits piliers, de pyramides droites et renversées dont elle est pleine. C'est dans cet endroit que ceux qui visitent ces lieux ont accoutumé de rompre quelques-unes de ces petites figures pour les emporter et satisfaire leur curiosité : mais il semble que la nature prenne soin de réparer les dommages que l'on y fait.

A main droite, il y a une entrée qui conduit dans une autre grande salle qui est séparée de la précédente par quelques piliers, qui ne montent pas jusqu'au-dessus de la voute. L'entrée de cette salle est fort basse, parce que du haut de la voute naissent quantité de pyramides, dont la base est attachée au sommet de la voute. Cette salle est remplie de quantité de rochers de même qualité que les pyramides. On y voit des enfonçures et des rehaussements ; et l'on a autant de perspectives différentes, qu'il y a d'endroits où l'on peut jeter la vue.

Un grand rocher termine cette salle, et laisse à droite et à gauche deux entrées, qui toutes deux conduisent dans une autre salle fort spatieuse. A gauche en entrant, on voit d'abord une figure grande comme nature, qui de loin parait être une Vierge tenant entre ses bras l'enfant Jesus. Du même côté on voit une petite forteresse carrée, composée de quatre tours, et une autre tour plus avancée pour défendre la porte. Quantité de petites figures paraissent dedans et autour, qui semblent être des soldats qui défendent cette place. Cette salle est partagée par le milieu par quantité de petits rochers, dont quelques-uns s'élèvent jusqu'au-dessus de la voute, d'autres ne vont qu'à moitié. Le côté gauche de cette salle est borné par un grand rocher, et il y a un écho admirable et beaucoup plus fidèle que dans toutes les autres.

On trouve deux entrées au sortir de cette salle, qui conduisent en descendant dans une autre fort longue et fort spacieuse, où le nombre des pyramides est moindre, où la nature a fait beaucoup moins d'ouvrages, mais où ce qu'on rencontre est beaucoup plus grand. En entrant à main gauche, on y rencontre un grand dome qui n'est soutenu que d'un seul côté. La concavité de ce dome parait être à fond d'or avec de grandes fleurs noires : mais lorsqu'on y touche, on efface la beauté de l'ouvrage, qui n'est pas solide comme les autres ; ce n'est que de l'humidité. La voute de cette salle est toute unie : elle a vingt pieds de hauteur, trente pas de largeur, et plus de trois cens pas de longueur. Au milieu de la voute on voit un nombre infini de chauve-souris, dont quelques-unes se détachent pour venir voltiger autour des flambeaux.

Sous l'endroit où elles sont est une petite hauteur ; si l'on y frappe du pied, on entend résonner comme s'il y avait une voute en-dessous : on croit que c'est-là que passe une partie de la rivière de Cure qui se perd au pied du rocher, et dont on a parlé d'abord.

Cette salle, sur ses extrémités, a deux piliers joints ensemble, de deux pieds de diamètre, et plusieurs pyramides qui s'élèvent presque jusqu'au-dessus ; et elle se termine enfin par trois rochers pointus, du milieu desquels sort un pilastre qui s'élève jusqu'à la voute.

Des deux côtés il y a deux petits chemins qui conduisent derrière ces rochers, où l'on aperçoit d'abord un dome garni de pyramides et de quelques gros rochers qui montent jusqu'au-dessus de la voute ; elle se termine en s'étrécissant, et laisse un passage si étroit et si bas, qu'on n'y peut passer qu'à genoux. Ce passage conduit à une autre salle, dont la voute toute unie peut avoir quinze pieds d'élévation. Cette salle a quarante pieds de large et près de quatre cens pas de long ; et au bout elle a quatre rochers et une pyramide haute de huit pieds, dont la base a cinq pieds de diamètre. On passe de celle-là dans une autre admirable par les rochers et les pyramides qu'on y voit ; mais surtout il y en a une de vingt pieds de haut et d'un pied et demi de diamètre. La voute de cette salle a d'élévation vingt-deux pieds dans les endroits les plus élevés : elle a quarante pas de large et plus de six cens pas de long : elle est ornée de deux côtés de quantité de figures, de rochers, et de perspectives ; et si dans son commencement on trouve le chemin incommode à cause des gros quartiers de pierres qu'on y rencontre, la fin en est très-agréable, et il semble que les figures qu'on y voit, soient les compartiments d'un parterre. Cette dernière salle se termine en s'étrécissant, et finit la beauté de ces lieux.

Tout ce qu'on admire dans ces grottes, disent les Mém. de Littérat. du P. Desmolets, ces figures, ces pyramides, ne sont que des congelations, qui néanmoins ont la beauté du marbre et la dureté de la pierre ; et qui exposées à l'air, ne perdent rien de ces qualités. On remarque que dans toutes ces figures, il y a dans le milieu un petit tuyau de la grosseur d'une aiguille, par où il dégoutte continuellement de l'eau, qui venant à se congeler, produit dans ces lieux tout ce qu'on y admire ; et ceux qui vont souvent les visiter reconnaissent que la nature répare tous les désordres qu'on y commet, et remplace toutes les pièces qu'on détache. On remarque encore une chose assez particulière, c'est que l'air y est extrêmement tempéré ; et contre l'ordinaire de tous les lieux souterrains, celui qu'on y respire dans les plus grandes chaleurs, est aussi doux que l'air d'une chambre, quoiqu'il n'y ait aucune autre ouverture que la porte par laquelle on entre, et qu'on ne puisse visiter ces cavernes qu'à la lueur des flambeaux.

J'ajouterai qu'il faudrait avoir visité ces lieux par soi-même, en avoir Ve de près les merveilles, y avoir suivi les opérations de la nature, et peut-être même y avoir tenté un grand nombre d'expériences, pour expliquer les phénomènes précédents. Mais on peut, sans avoir pris ces précautions, assurer : 1°. que ce nombre de pyramides droites et renversées ont toutes été produites par les molécules que les eaux qui se filtrent à-travers les rochers qui forment les voutes, en détachent continuellement. Si le rocher est d'un tissu spongieux, et que l'eau coule facilement, les molécules pierreuses tombent à terre, et forment les pyramides droites ; si au contraire leur écoulement est laborieux ; si elles passent difficilement à travers les rochers, elles ont le temps de laisser agglutiner les parties pierreuses ; il s'en forme des couches les unes sur les autres, et les pyramides ont la base renversée. 2°. Que la nature réparant tout dans les cavernes d'Arcy, il est à présumer qu'elles se consolideront un jour, et que les eaux qui se filtrent perpétuellement, augmenteront le nombre des petites colonnes au point que le tout ne formera plus qu'un grand rocher. 3°. Que par-tout où il y aura des cavernes et des rochers spongieux, on pourra produire les mêmes phénomènes, en faisant séjourner des eaux à leur sommet. 4°. Que peut-être on pourrait modifier ces pétrifications, ces excraissances pierreuses ; leur donner une forme déterminée ; employer la nature à faire des colonnes d'une hauteur prodigieuse, et peut-être un grand nombre d'autres ouvrages ; effets qu'on regarde comme impossibles à présent qu'on ne les a pas tentés ; mais qui ne surprendraient plus s'ils avaient lieu, comme je conjecture qu'il arriverait. Je ne connais qu'un obstacle au succès ; mais il est grand : c'est la dépense qu'on ne fera pas, et le temps qu'on ne veut jamais se donner. On voudrait enfanter des prodiges à peu de frais, et dans un moment ; ce qui ne se peut guère.