ou CINABRE, s. m. (Histoire naturelle, Minéralogie et Chimie). On en distingue de deux espèces ; l'un est naturel, et se nomme cinnabaris nativa ; l'autre est artificiel, cinnabaris factitia.

Le cinnabre naturel est un minéral rouge, très-pesant, plus ou moins compact ; il n'affecte point de figure déterminée à l'extérieur ; cependant on le trouve quelquefois sous une forme sphérique ; intérieurement il est ou solide, ou grainelé, ou strié. Sa couleur est plus ou moins vive, à proportion de la quantité des parties terrestres ou hétérogènes avec lesquelles le cinnabre est mêlé ; c'est ce qui fait qu'il y en a d'un rouge très-vif, de pâle, d'un rouge mat comme la brique, et d'un brun pourpre ou rougeâtre comme la pierre hématite.

Le cinnabre naturel est une combinaison faite par la nature, du mercure avec une portion de soufre ; ou c'est une sublimation de ces deux substances opérée par la chaleur du feu souterrain, qui produit une union si étroite, qu'il faut avoir recours à l'action du feu pour les séparer ; c'est ce qu'on fait en mettant le cinnabre dans une cornue, pour séparer le mercure d'avec son soufre : mais comme ces deux matières sont volatiles, on est obligé d'y joindre un intermède, sans quoi le soufre se sublimerait avec le mercure et formerait un nouveau cinnabre. L'intermède dont on se sert est ou de la limaille de fer, ou du cuivre, du régule d'antimoine, de la chaux, ou enfin du sel alkali fixe ; l'on a la précaution de bien mêler et de triturer l'une de ces matières avec le cinnabre avant que de les mettre en distillation. Le cinnabre, quand il est bien pur, contient 6/8 à 7/8 de mercure, contre 1/8 ou 2/8 de soufre. Il n'est point besoin de récipient dans cette distillation ; il suffit pour recueillir le mercure, que le bec de la cornue trempe dans un vaisseau plein d'eau. Cette opération s'appelle revivification.

M. Henckel dit que les matrices dans lesquelles le cinnabre se forme, sont aussi variées que celles des autres métaux. On en trouve dans le quartz, le spath, le mica, la pierre calcaire, le grès, la mine de fer, la mine de plomb en cubes ou galene, la blende, la mine de cuivre, et dans les mines d'or et d'argent, comme on le peut voir dans celles de Chemnitz et de Kremnitz en Hongrie. Ce savant minéralogiste dit qu'il n'a point observé s'il s'en trouve dans les mines d'étain, de cobalt, et d'antimoine.

Le cinnabre a aussi des filons qui lui sont particuliers ; on en trouve dans plusieurs endroits. Les principales mines qui en fournissent, sont celles de Kremnitz en Hongrie, Hydria en Esclavonie, Horowitz en Bohème : la Carinthie et le Frioul en donnent beaucoup de la meilleure espèce ; au Pérou il y a la mine de Guancavelica ; en Normandie il s'en trouve près de Saint-Lo, mais la plus riche mine de cinnabre est celle d'Almaden en Espagne, dans la Manche, sur la frontière de l'Estramadoure ; elle était déjà célèbre du temps des Romains, et Pline en parle, liv. XXXIII. ch. VIIe

M. de Jussieu après avoir été sur les lieux, a donné en 1719 à l'académie des Sciences, un mémoire très-circonstancié sur cette fameuse mine, et sur la manière dont on y tire le mercure du cinnabre. Comme cette méthode est très-ingénieuse, nous allons en donner un précis d'après le mémoire de ce savant naturaliste.

Les veines de la mine de cinnabre d'Almaden sont de trois espèces. La première qui est la plus commune, est une roche grisâtre, entremêlée de nuances ou de veines rouges, blanches et crystallines ; on brise ses pierres pour en tirer la partie la plus rouge, qui fait la seconde espèce ; la troisième est dure, compacte, grainelée, d'un rouge mat comme celui de la brique. Quand on a fait le triage de ces morceaux de mine, on les arrange dans des fourneaux qui sont joints deux à deux, et forment un carré à l'extérieur ; intérieurement ils ressemblent à des fours à chaux, et sont terminés par une voute ou dome. On y place les morceaux de mine, en observant de laisser un vide d'un pied et demi ; on allume le bois qui est sur la grille du foyer, et l'on en bouche exactement l'entrée. Le fourneau est adossé contre une terrasse qui excède d'un pied et demi ; et dans cette partie du fourneau qui déborde, il y a seize ouvertures ou soupiraux placés horizontalement les uns à côté des autres, ils ont sept pouces de diamètre. La terrasse à cinq taises de longueur ; elle aboutit à un petit bâtiment, dans lequel il y a aussi 16 ouvertures qui répondent à celles qu'on a dit être à la partie postérieure du fourneau ; cette terrasse Ve en pente en partant du côté de la partie postérieure du fourneau et de celui du petit bâtiment ; ce qui lui donne la figure de deux plans inclinés qui se toucheraient par leurs angles les plus aigus. Cette terrasse est faite pour soutenir des aludels ou vaisseaux de terre, percés par les deux bouts, qui s'adaptent les uns dans les autres, et répondent d'un côté à l'une des 16 ouvertures du fourneau ; et de l'autre, à une de celles du petit bâtiment qui est à l'autre bout de la terrasse, et qui sert comme de récipient au mercure qui Ve s'y rendre, après avoir passé en vapeurs par un grand nombre d'aludels qui, en s'enfilant les uns les autres, forment une espèce de chapelet. La rigole qui est au milieu de la terrasse, n'est que pour rassembler le mercure qui pourrait s'échapper des aludels lorsqu'ils ne sont pas bien luttés. Lorsque le feu a été une fois allumé, on le continue pendant treize ou quatorze heures ; après quoi on laisse refroidir les fours pendant trois jours ; au bout de ce temps, on rassemble tout le mercure revivifié qui est dans les aludels. Une seule cuite, suivant M. de Jussieu, peut donner depuis ving-cinq jusqu'à soixante quintaux de mercure.

Cette manière de traiter le cinnabre est très-ingénieuse, elle a des avantages réels, et elle est moins pénible que celle qui se pratique au Pérou, où l'on ne se sert que de petits fourneaux, et où l'on est obligé de mettre de l'eau dans les aludels, et de les arroser extérieurement pour les rafraichir pendant l'opération, afin de condenser les vapeurs mercurielles. Cette méthode est aussi beaucoup plus abrégée que celle qui est en usage dans le Frioul, où l'on est obligé de tirer le mercure du cinnabre par de longues triturations dans l'eau, et par des lavages réitérés. Outre cela, dans la manière de distiller qui s'observe à Almaden, on n'a point besoin d'intermèdes, c'est la pierre elle-même qui en sert ; elle suffit pour retenir les particules sulphureuses qui se sont minéralisées avec le mercure ; ce qui dispense d'employer la limaille de fer et les autres matières communément usitées. On pourrait en attribuer la cause à ce que cette minière est calcaire ; ainsi on ne doit point se promettre de réussir en travaillant le cinnabre à la façon d'Almaden, à moins qu'il ne fût mêlé à de la pierre calcaire, comme celui de cet endroit.

M. de Jussieu indique dans le même mémoire dont nous venons de donner le précis, la manière de s'assurer si un minéral contient du mercure, ou est un vrai cinnabre. Il faut en faire rougir au feu un petit morceau ; et lorsqu'il parait couvert d'une petite lueur bleuâtre, le mettre sous une cloche de verre, au-travers de laquelle on regarde si les vapeurs se condensent sous la forme de petites gouttes de mercure, en s'attachant au verre, ou en découlant le long de ses parais. Ce savant naturaliste nous donne aussi un moyen de reconnaître si le cinnabre a été falsifié ; c'est par la couleur de sa flamme, lorsqu'on le met sur des charbons ardents ; si elle est d'un bleu tirant sur le violet et sans odeur, c'est une marque que le cinnabre est pur ; si la flamme tire sur le rouge, on aura lieu de soupçonner qu'il a été falsifié avec du minium ; si le cinnabre fait une espèce de bouillonnement sur les charbons, il y aura lieu de croire qu'on y a mêlé du sang-dragon.

Les anciens connaissaient aussi-bien que nous deux espèces de cinnabre : le naturel et l'artificiel : par cinnabre naturel, ils entendaient la même substance que nous venons de décrire ; ils lui donnaient le nom de minium. Pline dit qu'on s'en servait dans la Peinture ; aux grandes fêtes on en frottait le visage de la statue de Jupiter, et les triomphateurs s'en frottaient tout le corps, apparemment pour se donner un air plus sanglant et plus terrible. Par cinnabre artificiel, ils entendaient une substance très-différente de celle à qui nous donnons actuellement ce nom ; c'était, suivant Théophraste, un sable d'un rouge très-vif et très-brillant, qu'on trouvait en Asie mineure, dans le voisinage d'Ephese. On en séparait par des lavages faits avec soin la partie la plus déliée.

Les anciens médecins ont encore donné le nom de cinnabre à un suc purement végétal, connu parmi nous sous le nom de sang dragon ; ils l'appelaient , cinnabre des Indes. Cependant il parait par un passage de Dioscoride, qu'ils connaissaient parfaitement la différence qu'il y a entre cette matière et le vrai cinnabre.

Aujourd'hui, par cinnabre artificiel, on entend un mélange de mercure et de soufre sublimés ensemble par la violence du feu ; cette substance doit être d'un beau rouge foncé, composé d'aiguilles ou de longues stries luisantes. Il faut avoir soin de l'acheter en gros morceaux, et non en poudre, parce que quelquefois on falsifie le cinnabre avec du minium ; ce qui peut en rendre l'usage très-dangereux dans la Médecine.

En Angleterre, à Venise, et surtout en Hollande, on travaille le cinnabre en grand ; il y a tout lieu de croire qu'on observe dans cette opération des manipulations toutes particulières, et dont on fait un secret, attendu qu'on ne vend pas le cinnabre artificiel plus cher que le mercure crud, quoiqu'il n'entre que fort peu de soufre dans sa composition. Les livres sont remplis de recettes pour faire le cinnabre artificiel, dans lesquelles les doses varient presque toujours. Il y en a qui disent de prendre parties égales de mercure et de soufre, de bien triturer ce mélange, et de mettre le tout dans des vaisseaux sublimatoires, en donnant un degré de feu assez violent. D'autres veulent qu'on prenne trois onces de soufre sur une livre de mercure, etc. On fait de ce mélange de l'éthiops minéral, soit par la simple trituration du mercure et du soufre, soit par le moyen du feu. Voyez l'article ETHIOPS MINERAL.

Voici la manière de faire le cinnabre artificiel suivant Stahl. On fait fondre une partie de soufre dans un creuset ou dans un vaisseau de verre, à un feu très-doux ; lorsque le soufre est bien fondu, on y met quatre parties de mercure, qu'on passe au-travers d'une peau de chamois, et on a soin de bien remuer le mélange jusqu'à ce qu'il forme une masse noire ; on la retire de dessus le feu pour la triturer bien exactement ; on met ensuite le mélange dans une cucurbite au bain de sable, pour en faire la sublimation : sur quoi Stahl observe que si au commencement de l'opération on donne un feu très-doux, le soufre se sublime d'une couleur jaune très-belle, quoique la masse ait été très-noire ; lorsque toutes les fleurs se sont sublimées, si on pousse fortement le feu, on aura un cinnabre d'une très-belle couleur ; parce que si on a la précaution de donner un feu modéré au commencement, le soufre superflu se sépare : au lieu que si on débutait par un degré de feu trop violent, le cinnabre qu'on obtiendrait serait noir, parce qu'il serait trop surchargé de soufre.

Le même auteur dit que pour faire le cinnabre en grand, on prend parties égales de soufre et de mercure ; on fait fondre le soufre dans un creuset sur des charbons ; lorsqu'il est fondu, on y met le mercure, et on remue pour l'incorporer exactement avec le soufre, jusqu'à ce que le mélange ait la consistance d'une bouillie épaisse ; on laisse la flamme se porter dessus le mélange, afin qu'elle consume le soufre qui est de trop ; mais lorsque le mélange commence à rougir, et que le soufre superflu est consumé, on éteint la flamme avec une spatule et cuillere de fer, de peur que le mercure ne soit emporté : alors on fait sublimer le mélange à grand feu, et par ce moyen l'on obtient un cinnabre d'une très-belle couleur. Stahl dit que pour que le cinnabre soit exactement saturé, il faut qu'il ne contienne qu'environ une partie de soufre sur huit parties de mercure. (-)

CINNABRE ARTIFICIEL, (Chimie, Pharmacie, et matière médicale). Le cinnabre natif et le cinnabre artificiel ont été recommandés pour l'usage médicinal par différents auteurs ; il s'en est trouvé même plusieurs ; et il est encore aujourd'hui même quelques médecins qui préfèrent le cinnabre natif ou naturel au cinnabre factice ; mais on peut avancer sans hésiter que toutes les raisons de préférence apportées en faveur du premier, sont absolument chimériques, et que celles qui l'ont fait rejeter enfin par la saine partie des médecins, portent sur un fondement très-solide ; savoir, sur ce qu'on a observé assez communément quelques parties arsénicales qui rendaient son usage très-suspect.

Le cinnabre factice donc, auquel nous accordons la préférence avec juste raison, est recommandé intérieurement, principalement pour certaines maladies de la peau, pour l'épilepsie et les autres maladies convulsives, pour les vertiges, la passion hystérique, l'asthme convulsif, etc.

Mais son utilité dans ces cas n'est pas démontrée par assez d'observations pour détruire une opinion assez plausible, qui conclut de son insolubilité et de son inaltérabilité par des humeurs digestives, et de son insipidité absolue, qu'il ne saurait ni passer dans la masse des humeurs et en altérer la constitution (crassis), ni faire aucune impression salutaire sur le système nerveux, par son action immédiate sur les organes de la digestion. Son utilité la moins équivoque est celle qu'il procure employé en suffumigation, soit dans le traitement général de la maladie vénérienne, soit dans le traitement particulier de quelques-uns de ses symptômes extérieurs, comme chancres, porreaux, etc. Voyez SUFFUMIGATION et VEROLE.

Le cinnabre entre dans plusieurs préparations officinales, à la coloration desquelles son utilité parait se borner. Voyez COLORATION. (b)