Métaphysique & Physiologie

S. m. (Métaphysique et Physiologie) le songe est un état bizarre en apparence où l'âme a des idées sans y avoir de connaissance réfléchie, éprouve ces sensations sans que les objets externes paraissent faire aucune impression sur elle ; imagine des objets, se transporte dans des lieux, s'entretient avec des personnes qu'elle n'a jamais vues, et n'exerce aucun empire sur tous ces fantomes qui paraissent ou disparaissent, l'affectent d'une manière agréable ou incommode ; sans qu'elle influe en quoi que ce sait. Pour expliquer la nature des songes, il faut avant toutes choses tirer de l'expérience un certain nombre de principes distincts ; c'est là l'unique fil d'Ariane qui puisse nous guider dans ce labyrinthe : de toutes les parties qui composent notre machine, il n'y a que les nerfs qui soient le siege du sentiment, tant qu'ils conservent leur tension, et cet extrait précieux, cette liqueur subtîle qui se forme dans le laboratoire du cerveau, coule sans interruption depuis l'origine des nerfs jusqu'à leur extrémité. Il ne saurait se faire aucune impression d'une certaine force sur notre corps, dont la surface est tapissée de nerfs, que cette impression ne passe avec une rapidité inconcevable de l'extrémité extérieure à l'extrémité intérieure, et ne produise aussi-tôt l'idée d'une sensation. J'ai dit qu'il fallait une impression d'une certaine force, car il y a en effet une infinité de matières subtiles et déliées répandues autour de nous, qui ne nous affectent point ; parce que pénétrant librement les pores de nos parties nerveuses, elles ne les ébranlent point, l'air lui-même n'est aperçu que quand il est agité par le vent. Tel étant l'état de notre corps, il n'est pas difficîle de comprendre comment pendant la veille nous avons l'idée des corps lumineux, sonores, sapides, odoriférants et tactiles : les émanations de ces corps ou leurs parties même heurtant nos nerfs, les ébranlent à la surface de ces corps ; et comme lorsqu'on pince une corde tendue dans quelqu'endroit que ce sait, toute la corde trémousse, de même le nerf est ébranlé d'un bout à l'autre, et l'ébranlement de l'extrémité intérieure est fidèlement suivi et accompagné, tant cela se fait promptement ; de la sensation qui y répond. Mais lorsque fermant aux objets sensibles toutes les avenues de notre âme, nous nous plongeons entre les bras du sommeil, d'où naissent ses nouvelles décorations qui s'offrent à nous, et quelquefois avec une vivacité qui met nos passions dans un état peu différent de celui de la veille ? Comment puis-je voir et entendre, et en général sentir, sans faire usage des organes du sentiment, démêlant soigneusement diverses choses qu'on a coutume de confondre ? Comment les organes du sentiment sont-ils la cause des sensations ? est-ce en qualité de principe immédiat ? est-ce par l'oeil ou par l'oreille que l'on voit et entend immédiatement ? Point du tout, l'oeil et l'oreille sont affectés ; mais l'âme n'est avertie que quand l'impression parvient à l'extrémité intérieure du nerf optique ou du nerf auditif ; et si quelque obstacle arrête en chemin cette impression, de manière qu'il ne se fasse aucun ébranlement dans le cerveau, l'impression est perdue pour l'âme. Ainsi, et c'est ce qu'il faut bien remarquer comme un des principes fondamentaux de l'explication des songes, il suffit que l'extrémité intérieure soit ébranlée pour que l'âme ait des représentations. On connait de plus aisément que cette extrémité intérieure est la plus facîle à ébranler, parce que les ramifications dans lesquelles elle se termine sont d'une extrême tenuité, et qu'elles font place à la source même de ce fluide spiritueux, qui les arrose et les pénétre, y court, y serpente, et doit avoir une toute autre activité, que lorsqu'il a fait le long chemin qui le conduit à la surface du corps ; c'est de-là que naissent tous les actes d'imagination pendant la veille, et personne n'ignore que dans les personnes d'un certain tempérament, dans celles qui sont livrées à de telles méditations, ou qui sont agitées par de violentes passions, les actes d'imagination sont équivalents aux sensations et empêchent même leur effet, quoiqu'elles nous affectent d'une manière assez vive. Ce sont là les songes des hommes éveillés, qui ont une parfaite analogie avec ceux des hommes endormis, étant les uns et les autres dépendants de cette suite d'ébranlements intérieurs qui se passent à l'extrémité des nerfs qui aboutissent dans le cerveau. Toute la différence qu'il y a, c'est que pendant la veille nous pouvons arrêter cette suite, en rompre l'enchainure, en changer la direction, et lui faire succéder l'état des sensations, au-lieu que les songes sont indépendants de notre volonté, et que nous ne pouvons ni continuer les illusions agréables, ni mettre en fuite les fantômes hideux. L'imagination de la veille est une république policée, où la voix du magistrat remet tout en ordre ; l'imagination des songes est la même république dans l'état d'anarchie, encore les passions font-elles de fréquents attentats contre l'autorité du législateur pendant le temps même où ses droits sont en vigueur. Il y a une loi d'imagination que l'expérience démontre d'une manière incontestable, c'est que l'imagination lie les objets de la même manière que les sens nous les représentent, et qu'ayant cause à les rappeler, elle se fait conformément à cette liaison ; cela est si commun, qu'il serait superflu de s'y attendre. Nous voyons aujourd'hui pour la première fois un étranger à un spectacle dans une telle place, à côté de telles personnes : si ce soir votre imagination rappelle l'idée de cet étranger, soit d'elle - même, ou parce que nous lui demandons compte, elle fera en même temps les frais de représenter en même temps le lieu du spectacle, la place que l'étranger occupait, les personnes que nous avons remarquées autour de lui ; et s'il nous arrive de le voir ailleurs, au bout d'un an, de dix ans ou davantage, suivant la force de notre mémoire, en le voyant, toute cette escorte, si j'ose ainsi dire, se joint à son idée. Telle étant donc la manière dont toutes les idées se tiennent dans notre cerveau, il n'est pas surprenant qu'il en forme tant de combinaisons bizarres ; mais il est essentiel d'y faire attention, car cela nous explique la bizarrerie, l'extravagante apparence des songes, et ce ne sont pas seulement deux objets qui se lient ainsi, c'en sont dix, c'en sont mille, c'est l'immense assemblage de toutes nos idées, dont il n'y en a aucune qui n'ait été reçue avec quelqu'autre, celle-ci avec une troisième, et ainsi de suite. En parlant d'une idée quelconque, vous pouvez arriver successivement à toutes les autres par des routes qui ne sont point tracées au hasard, comme elles le paraissent, mais qui sont déterminées par la manière et les circonstances de l'entrée de cette idée dans notre âme ; notre cerveau est, si vous le voulez, un bois coupé de mille allées, vous vous trouverez dans une telle allée, c'est-à-dire vous êtes occupé d'une telle sensation ; si vous vous y livrez, comme on le fait, ou volontairement pendant la veille, ou nécessairement dans les songes de cette allée, vous entrerez dans une seconde, dans une troisième, suivant qu'elles sont percées, et votre route quelqu'irrégulière qu'elle paraisse dépend de la place d'où vous êtes parti et de l'arrangement du bois, de sorte qu'à toute autre place ou dans un bois différemment percé vous aurez fait un autre chemin, c'est-à-dire un autre songe. Ces principes supposés, employons-les à la solution du problême des songes. Les songes nous occupent pendant le sommeil ; et lorsqu'il s'en présente quelqu'un à nous, nous sortons de l'espèce de léthargie complete où nous avaient jetés ces sommeils profonds, pour apercevoir une suite d'idées plus ou moins claires, selon que le songe est plus ou moins vif, selon le langage ordinaire ; nous ne songeons que lorsque ces idées parviennent à notre connaissance, et font impression sur notre mémoire, et nous pouvons dire, nous avons eu tel songe, ou du-moins que nous avons songé en général ; mais, à proprement parler, nous songeons toujours, c'est-à-dire que dès que le sommeil s'est emparé de la machine, l'âme a sans interruption une suite de représentations et de perceptions ; mais elles sont quelquefois si confuses, si faibles, qu'il n'en reste pas la moindre trace, et c'est ce qu'on appelle le profond sommeil, qu'on aurait tort de regarder comme une privation totale de toute perception, une inaction complete de l'âme.